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4 mai 2024 6 04 /05 /mai /2024 08:04
Puissance du Fragile

Cristal de Baccarat

Source : Image du Net

 

***

 

 

Ce jeudi 25 Avril,

sous un ciel infiniment gris,

 il est en défaut d’horizon.

 

 

    Chère Solveig, dont le nom signifie « Chemin de Soleil », quiconque t’eût nommée « Sorgens väg », « Chemin du Chagrin » eût manqué aux plus élémentaires règles de la « bienséance ». En effet, quelle Fée malveillante, aux humeurs tristes, se fût alors penchée sur ton berceau, obombrant ton destin des plus funestes présages qui se fussent imaginés ? Nul n’aurait l’idée d’attribuer un tel prénom, même à un enfant né dans le plus grand des dénuements. Tout comme moi, tu sais l’importance de toute nomination, elle qui te détermine, de la même façon que la teinte de tes yeux, la blondeur de tes cheveux, la pâleur originelle de ton teint livrent de toi l’image brillante de qui tu es. Si l’on peut dire, « Solveig » est un genre d’antidote aux humeurs sombres de ton Septentrion, neige, vent et l’espace infini livré aux caprices d’un fini qui te délimite, t’enclot en toi sans en pouvoir sortir d’aucune manière. Non, il faut dresser et faire claquer, à tous les blizzards et bises, grains blancs, la bannière enchantée de la Liberté. Là, seulement, est la possibilité de quelque félicité. Tu le sais bien, Sol, non seulement tu es mon Égérie, celle qui me souffle les mots de mon texte, mais tu es aussi ma Confidente, celle que je pourrais nommer « Œnone » en souvenir de Phèdre, cette immense beauté de la langue remise au pur rayonnement de l’alexandrin et cette mesure d’exception du rythme !

   Mais je ne poétiserai pas davantage.  Ma venue à toi en cette parenthèse hivernale dans un printemps bien maussade, parfois une brusque chaleur, puis la pluie et le vent de giboulées retardataires, ma venue donc, avance « sur des pattes de colombe » (tu reconnaîtras la belle formule nietzschéenne), une légère empreinte sur le sol pour dire la Fragilité du Monde, la tienne, la mienne singulièrement, thème dont je souhaiterais t’entretenir ce matin. Connais-tu, parmi les Commensaux que tu fréquentes, un seul individu, ordinaire ou bien « aisé », qui, devant toi, trace le portrait de ses faiblesses, fût-ce dans l’estompe, dans l’atténué lavis ? Non, Solveig, inutile de répondre, personne ne souhaite montrer le revers de sa pièce de monnaie, bien plutôt l’avers, celui qui porte l’effigie, livre le motif essentiel de celui, celle, avec qui l’on s’entretient. Pudeur, orgueil, retrait en Soi, nul n’est en mesure de juger, la vie intérieure est un tel mystère, y compris pour qui en est l’hôte. Bien évidemment, je ne fais nullement exception à la règle, je veux seulement la contourner, ouvrir une brèche par laquelle diffusera un peu de ce nectar qui m’habite, que voile parfois, souvent, la douce soie d’une mélancolie.

   Tu pourras d’emblée penser à un jeu pervers, lequel montrant son ubac, ne veut faire signe qu’en direction de son adret, ce versant ensoleillé, lumineux dont nous voudrions qu’il traçât l’indéfectible portrait de qui nous sommes. Tu sais la démesure de l’hubris humaine (pour parler grec), tu sais l’immense plaisir qu’il y a à paraître grimé, fardé, sur les planches du proscenium, de « donner le change », de montrer son « meilleur profil » (seules, dans ma rapide évocation, se donnent à moi ces locutions vides qui, pourtant, sont le lieu d’une vérité !), tu sais la journée ensoleillée qu’ouvre le regard ami, tu sais la chanson douce d’un compliment à propos de ton allure, tu sais ce manège, ce carrousel joyeux après que ton reflet dans le miroir t’a confirmé la sûre valeur de ton être. Et tu sais tellement ces choses que, d’un seul trait de crayon, tu biffes toutes les perspectives qui pourraient contrevenir à cet air épicurien qui te frôle et te reconduit aux plus vives images qui font le tissu de tes réminiscences.

   Au titre de mon texte, j’ai placé cette photographie d’une carafe en cristal de Baccarat. Tu sauras, comme moi, qu’elle n’est belle qu’à l’aune de sa fragilité, tout comme l’est une Jeune Fille au seuil de l’éclosion, rose aux pommettes, corps disponible aux promesses d’avenir, projets pluriels, les uns plus beaux que les autres. Peut-être penseras-tu que mon argumentation sur le Fragile (le tien, le mien, celui des amis et de frères), n’est qu’un prête-nom, une vêture trop seyante, laquelle désignant la grâce, la finesse, la distinction de cet état d’âme, son peu de consistance, n’en dissimule pas moins son envers, à savoir une force de caractère, une détermination sans faille, une puissance inaperçues, toutes qualités qui gommeraient dans l’instant toute faiblesse, toute insuffisance, toute lacune. Ici, se donne à penser la dimension toujours cryptée, dissimulée, occultée de cet inconscient sur lequel repose notre conscient. Si celui-ci, dans bien des cas, est pure évidence, celui-là, a contrario, est inaccessible, que la plus habile des thérapies ne parviendrait à apercevoir que dans le flou, le vague, le nébuleux. Il nous faut donc avancer sur notre goélette, cingler vers l’avenir, oublieux de cette coque qu’étreignent les eaux noires sans pouvoir en percer le secret. Mais tu excuseras cette facile métaphore pour te disposer à de plus substantielles significations.

   Conclusion provisoire : nous ne voyons jamais que ce que nous voulons voir. Mais, ici, je vais m’éloigner de l’abstraction, entrer dans le concret de ma propre existence et dire, si j’y parviens avec suffisamment de bonheur, en quoi cette fragilité me concerne, combien elle tresse le quotidien de mes soucis, mais, paradoxalement, combien elle façonne l’être de joie que je suis lorsque, l’inquiétude rétrocédant, la porte s’ouvre sur la claire voie d’un bonheur immédiatement accessible. Certes mes propos fleurent bon « la fleur bleue » mais tu sais, Sol,  mon attachement viscéral au Romantisme, mon attrait inconditionnel pour la méditation solitaire, mon inclination toujours présente à donner la priorité à l’imaginaire, le réel venant à sa suite, mais dans une manière d’essoufflement. Afin de progresser, il me faut un écran, une zone de repli, la sécurité de quelque refuge (une chambre, une table de travail, un stylo, une paire de ciseaux, de la colle, du papier), en quelque sorte un être de parchemin, juste un signe sur un ancien palimpseste, un halo, un fin brouillard montant d’une mare « Au diable », si possible, l’horizon de labours à l’automne, le versoir d’acier et la forme exacte d’une argile, des braises disparaissant à demi sous le tapis de cendres grises, une alcôve pour mes rêves, l’image douce, presque effacée par le temps, d’une rencontre, peut-être d’une étreinte aussi irréelle aujourd’hui que ces pierres blanches du Causse devant lesquelles j’écris, comme si elles étaient le fin grésil d’une mémoire, le sillage d’une giboulée dans les tresses mystérieuse du vent.

   Mais, écrivant, énumérant mes propres fragilités, je ne fais que donner lieu et temps au tragique humain dont, chacun est en partage, aussi bien Vous qui lisez, que ces Hautes Figures de la littérature, de l’art que je vais maintenant convoquer à l’appui de ma thèse. Vous, moi, y figurerons en abyme comme si, dissimulés dans l’ombre portée de ces singuliers destins, nous en percevions la lumière, à défaut d’en recevoir la douce et inimitable onction. La thèse qu’ici il me faut poser est la suivante :

  

le Fragile contient en soi,

au gré de sa nature particulière,

les plis selon lesquels l’endurance peut apparaître,

la catégorie de l’infrangible peut rayonner,

 le degré de l’invincible peut s’actualiser

et occuper la quasi-totalité de l’espace existentiel.

 

Exprimé différemment :

 

le Fragile, en vertu de la loi dialectique,

est la condition de possibilité de son contraire,

le sol à partir duquel peut s’édifier une confiance en la vie,

se lever une ode à la félicité de faire présence,

peut se déployer l’horizon de tous les possibles.

  

   Mais comment donc, questionneras-tu, Sol, passer ainsi de « l’inconvénient d’être né » (selon Cioran) à l’agrément de fouler le sol de cette Terre qu’habituellement, on qualifie « d’ingrat » ?   Il nous faut maintenant explorer quelques superbes facettes (un diamant), de la pensée hégélienne et faire venir à nous cet admirable concept « d’Aufhebung » dont la « performativité » est l’un des sommets de la Raison. Provisoirement mais de manière déterminée, avant de postuler quelque profil selon lequel envisager le déploiement de cette fameuse et étrange « Aufhebung », focalisons notre attention sur la définition qu’en propose Wikipédia :   

 

    « Le mot caractérise le processus de « dépassement » d'une contradiction dialectique où les éléments opposés sont à la fois affirmés et éliminés et ainsi maintenus, non hypostasiés, dans une synthèse conciliatrice ».

 

   Cette formule présente l’avantage d’une concision dont nous devrons, toi et moi, conserver en mémoire l’essentiel de la signification, laquelle, je l’espère, s’éclairera des exemples ci-après. Considérons, en un premier temps, le trajet accompli par toute conscience dans sa volonté de se dépasser et d’accéder, stade après stade, à cet Esprit Absolu, situé au sommet de la pyramide de l’infatigable Chercheur d’Iéna. Prenons la conscience brute, telle qu’elle se manifeste au premier abord au contact des Choses. Alors, elle n’est guère différente de ce qu’elle vise, une simple excroissance de la matière, une pensée minérale ou végétale, si tu préfères cette métaphore géologique et botanique. Le Sujet qui observe, n’ayant encore nullement fait appel au concept, est entièrement fasciné, subjugué par cette matière qui l’aliène et le retient en son sein. Mais cet état de dépendance ne saurait durer longtemps car il est du destin de l’Homme de poursuivre, tout au long de sa vie, cette belle tâche herméneutique, de faire émerger le sens partout répandu, de tresser la guirlande multiple et polyphonique des significations.

   Demeurer dans cette gangue, s’immoler dans la gemme n’est qu’un état provisoire au motif que l’Homme, prenant progressivement conscience de sa dépendance, n’a de cesse de vouloir conquérir son autonomie. Alors la simple et limitée Conscience se métamorphose, par paliers successifs, en cette Conscience de Soi, premier degré en direction de la Raison, de l’Esprit, de la Religion, de la Philosophie et, pour finir, atteinte de l’Idéal de l’Esprit Absolu. Ce Pur Esprit n’est nulle mystification car le Savoir Absolu qu’il requiert est le pur espace du « savoir conceptualisant ». Ainsi, le mouvement temporalisateur, fondement de la dimension historique des diverses figures de l’Esprit, suppose, qu’en chacune d’elle, soit nécessairement inclus ce moteur génétique, lequel, renversant le schème précédant, lui substitue ce schème nouveau accomplissant le processus du devenir en son effectuation logique et ontologique. Sous la forme ouvrante de la métaphore, cette accession de la Matière inerte au Concept vivant, pourrait recevoir la forme d’une Source jaillissant à partir de sa nuit primitive (la Matière) pour surgir dans la plénitude de son Jour (le Concept). Disant ceci, chère Solveig, j’ai bien conscience de simplifier à l’extrême la densité d’une Pensée qui nécessite de longs efforts avant d’être interprétée et comprise en son exceptionnel foisonnement.  

   Nous avons juste entrouvert la porte qui donne accès à cette dialectique qui emmêle en un seul et même écheveau, le périssable, le frêle, le caduc et leur opposé, le durable, le consistant, le vivace (sans doute rajouteras-tu, toi la littéraire « et le bel aujourd’hui » !). Oui, peut-être « l’art de vivre » est-ce ceci, jongler habilement d’une détresse à une abondance, d’une angoisse à une sérénité, d’une impatience à une impassibilité. Les Écrivains et Philosophes (parfois sont-ils les deux) dont je vais brièvement citer les parcours ci-après, voudraient s’inscrire dans mon projet : poser les emblèmes du Fragile tels qu’ils les rencontrent quotidiennement, en appeler au convertisseur de « l’Aufhebung », afin que, dépassé et totalement accompli, ce Fragile puisse connaître les exhaussements de la Force, de la Puissance, de l’inscription dans un réel, peut-être devenu « sur-réel », en tout cas dégagé des motifs d’un limon compact, inerte, refermé sur soi. Å cet humus, il faut l’Aufhebung, l’élan, la dynamique du soc, l’entaille du coutre, de manière à ce que, fouillé jusqu’en son plus secret, le grain puisse s’y épanouir, y lever, appeler le froment, appeler le pain qui nourrit et préserve les Hommes de demeurer dans les fers de la servitude pour leur dévoiler cette Liberté qui les habite, dont, parfois, ils ne prennent qu’à demi la mesure, blottis qu’ils sont dans leur illusoire fortin.

   C’est à nous-mêmes et à nous seuls de disposer ce tremplin modificateur, de faire venir le processus alchimique qui concourt au Grand Œuvre, de créer les conditions d’apparition de la Pierre Philosophale, d’amorcer en nous, au plus profond, ce procès catalytique au terme duquel nous serons nous-mêmes, certes, mais augmentés d’une dimension nouvelle : être initié à de neuves connaissances qui, autrefois, étaient pur mystère et qui, maintenant brillent de l’éclat des Choses désoccultées. Mais, Solveig, tu le sais bien, je dois me méfier de mon lyrisme, éviter qu’il ne m’entraîne hors des limites de la Raison car, alors, l’outil magique de « l’Aufhebung » se serait confondu avec son envers, la prolifération souterraine de cet inconscient qui nous rive à demeure et pose sur nos sens, la cagoule de la non Vérité.

    Avant de défricher les terres fertiles des Écrivains et Philosophes, je joins à ma parole cette

Reproduction d’une œuvre d’Antoni Tapiès, laquelle en épigraphe, comporte l’habituelle croix,

Puissance du Fragile

un graphisme sommaire de l’ordre du caviardage, les initiales a t et, menstion loin d’être surnuméraire, en caractères italique, inclinés, la remarque très visible : FRAGILE. Å défaut de vouloir me livrer à une herméneutique sauvage, ne vois-tu, comme moi, dans la transparence de l’œuvre, cette belle Assurande de Soi d’un Artiste reconnu, sous laquelle perce la flèche au curare de la mise à mort du Taureau dans l’arène étincelante de blancheur ? Une Chose vient en présence que suspend, remet en question et cloue au pilori, cette inscription presque obscène : FRAGILE. Un genre de compendium vertigineux de la Destinée Humaine, la Finitude perce sous l’Infinitude (de l’Art, de son inscription dans l’ordre de la transcendance) comme si le Catalan nous prévenait du grand danger que nous courrions à nous croire hors de portée de la dévastation, du danger, du cataclysme. Mais, il faut rejoindre le peu de joie que laisse poindre ce texte et convoquer ceux qui, disant haut, pensent loin !

   Car c’est bien là la mission cardinale des Hautes Pensées que de nous prendre par la main, de nous conduire en ce lieu étincelant où rougeoie l’incroyable dimension sémantique, à cet endroit précis de l’aventure humaine édifié sur la clairière de l’entendement, le puits toujours renouvelé de la connaissance, la radiation-réverbération du concept en sa figure étoilée. Oui, ici, je sais que tu me comprends, comment ne pas donner accès à la fonction amplificatrice de l’hyperbole (coalescente à la notion même d’Aufhebung), comment ne pas porter le langage au destin qui, de toute éternité a été le sien (bien occulté de nos jours !), les merveilleux mots semant ici et là les prédicats, les déterminations, les sémaphores qui, au moins provisoirement, revêtent le Néant d’une taie d’oubli infinie, nous mettent à l’abri des plus grands dangers ? La privation du langage, au titre d’une insuffisance de notre vision ou de la perte consécutive à une aphasie, et c’est la porte grande ouverte au plus grand des périls, être privé des outils permettant de le circonscrire, le langage, à défaut de le rendre caduc.

   Dès ici va s’ouvrir le champ fécond de ceux qui, déchiffreurs et défricheurs de la savane humaine, créent les conditions d’une illumination des ombres, à savoir donner à l’intuition manifeste dont ils sont pourvus les moyens de frayer un chemin au milieu des contingences de tous ordres, d’allumer en nous d’insoupçonnées ressources, de nous hisser plus loin que notre corps ou notre esprit pourraient le faire, en ces sites de haute mesure où la juste évidence se substitue aux errements, aux fascinations aliénantes, aux illusions qui tissent notre quotidien d’un long voile d’ennui. Ces Ouvreurs d’espace, ces Lecteurs du temps, s’ils nous captivent, nous enchantent, ils ne le doivent qu’à l’extrême fécondité intellectuelle qui les anime, cependant que le plus haut danger les guette, avançant sur la mince crête de la montagne, toujours ils peuvent soit briller à l’adret,  au plus haut de leur Génie, soit chuter dans l’ubac d’une irréversible Folie. Tu l’auras deviné, Sol, le Génie est l’avers de la pièce, le revers en est la Folie que sépare le très mince et friable liseré de la carnèle. Chez eux, nul répit, nul repos. La mouvementation est constante qui les place (selon l’Aufhebung et la notion de dépassement qui en constitue l’essence), alternativement du côté de la Fragilité aliénante, ou bien du côté de la Génialité proliférante, sensibles qu’ils sont à tout signal perturbateur de leur équilibre originaire. Il suffit d’un événement des plus ordinaires, d’une mauvaise rencontre, de la prise de conscience soudaine d’une faille personnelle, d’une peine à la suite de la perte d’une relation amoureuse et la forteresse que l’on croyait invincible s’effondre à la façon d’un château de cartes.    

   Le processus dialectique, qui est censé métamorphoser la Fragilité en Puissance, n’est nullement univoque, déterminé une fois pour toutes, il est une oscillation permanente, un aller-retour entre deux eaux, celles de surface qui brillent du pur éclat, celles de la profondeur qui s’abîment  dans leur nuit. De ces existentielles possibilités, le Génie est le point culminant, le zénith ; sa chute toujours envisageable, la Folie, son point le plus bas, son nadir. Remarque constante chez la plupart d’entre eux, ils sont placés sous le sceau d’un tropisme féminin, sans doute projection de l’image de la Mère (qui paraît les retenir en son roc biologique), de l’Image de l’Égérie (leur inspiration en dépend), de l’Amante (elle qui semble être la force même et le sens de leur Destin). Et, ici, Solveig, le temps est venu d’en appeler à l’histoire singulière de ces natures hors du commun, qui elles aussi, peuvent chuter dans les ornières que creuse, en toute âme, la violence des sentiments inaccomplis. Tels des enfants grandis trop vite, leur âme romantique (le génie est un des points saillants du Romantisme, je ne t’apprends rien), s’égare pour un rien, perd son orient, verse dans les failles hespériques toujours trop largement ouvertes. Donc la figure féminine hante ces Génies, elle s’inscrit dans la transparence de leur être, elle en est le point d’articulation essentiel, le paradigme indispensable sans lequel leur esprit demeurerait dans l’étroitesse de ses limbes originels.

  

   Cette figure hante Jean-Jacques Rousseau qui perd sa mère dix jours après sa naissance : « Je coûtai la vie à ma mère, et ma naissance fut le premier de mes malheurs. » (Les Confessions). Et puis Madame de Warens, Madame de Larnage, Thérèse Levasseur, Madame d’Houdetot, sont les quatre points cardinaux qui ont inspiré l’Auteur tout au long de sa vie.     

  

   Cette figure hante Friedrich Nietzsche sous les traits rayonnants de la belle Lou Andréas Salomé, elle l’intellectuelle qui cherche plus la profondeur du Génie que son amour charnel ou spirituel. Nietzsche a 38 ans, Lou 21 ans quand leurs destins se croisent en Italie. Brève histoire « d’amour », étrange trinité qui se compose de Lou, de Friedrich, de Paul Rée, riche philosophe allemand fasciné par le personnage de cette étrange Égérie. Douleur de Nietzsche et prévention contre la gent féminine qui se traduira dans le « Zarathoustra », de manière cinglante : « Vous allez voir les femmes ? N'oubliez pas le fouet. »

  

   Cette Figure hante Rainer Maria Rilke. Elle a 36 ans quant le Poète en a 22 (figure symétriquement inversée de sa liaison avec l’Auteur du « Gai savoir »), Leur relation effective s’étend sur trois années. Une longue amitié s’ensuivra, pouctuée d’une correspondance nourrie. De cette rencontre, Freud dira : « elle fut à la fois la muse et la mère attentive du grand poète ».

   Cette figure hante Antonin Artaud en la personne de Génica Athanasiou qu’il a croisée au théâtre de l’Atelier. Cette femme, au début de leur rencontre, il la décrit avec son « beau visage de lait », ses « yeux de topaze ». Mais cet amour n’est pas sans danger, sans créer de vive douleur. Voici ce qu’en dit Gaëlle Obiégly dans « Antonin Artaud, Lettres à Génica Athanasiou » : « Susceptibilité, inquiétude, intensité côtoient les phrases tendres. « Je voudrais caresser tes cheveux ». Artaud est en quête de douceur. L’amour est un anti-douleur naturel, puis il se change en poison. L’amour se retourne, comme la drogue, dont il fait usage pour guérir la vie. »

  

   Cette figure hante Friedrich Hölderlin. Voici ce qu’en restitue Wikipédia :  « Un tournant décisif dans sa vie est l'obtention d'un autre poste de précepteur dans une maison appartenant à un riche banquier de Francfort, Jakob Gontard. Hölderlin rencontre en Susette Gontard, qu'il appelle « Diotima » dans ses poèmes et dans son roman Hypérion, le grand amour de sa vie. Le bonheur de cette relation ne dure pas : le mari la découvre, et elle est incompatible avec l'époque. Pourtant, ils continuent à correspondre et à se rencontrer secrètement. Ils se voient pour la dernière fois en 1800. Les lettres de Suzette adressées au poète renseignent assez précisément sur ce qu'a pu être cet amour. »

   Et encore : « Hölderlin a appris la mort de Susette Gontard et revient à Nürtingen fin 1802. Après deux années à Nürtingen, il obtient un emploi de bibliothécaire à la cour de Hombourg. Son état de santé se dégrade de plus en plus. Le 11 septembre 1806, il est interné de force dans la clinique du docteur Johann Heinrich Ferdinand Autenrieth à Tübingen. »

   Nul ne peut douter que la douleur consécutive à la mort de son seul amour soit constitutive de sa Folie.

   Tu auras compris, Solveig, l’utilité maintenant urgente de laisser parler ces Génies à l’existence foudroyée. Lorsque l’Aufhebung (que, faute de mieux, je nommerai « processus d’accomplissement/dépassement ») s’interrompt, alors intervient l’irrépressible régression vers des postures primitives, archaïques, racinaires. Il n’y a plus de progrès, le processus est bloqué, la Génialité devient radicale et terminale Fragilité. De courts corpus seront les vifs témoignages de cette félicité transmuée en douleur, une porte ouverte sur la mort, si du moins, ton sentiment est identique au mien.

  

   Rousseau

 

   Versant du Génie : « En 1749, lors d'une visite à Diderot, alors emprisonné à Vincennes, Rousseau lit dans le Mercure de France que l'Académie de Dijon a lancé un concours sur la question suivante : « Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? » Cette lecture provoque chez lui ce qu'on nomme usuellement l'« illumination de Vincennes », événement qui va profondément changer le cours de sa vie : « Tout d'un coup, écrit-il, je me sens l'esprit ébloui de mille lumières ; des foules d'idées s'y présentèrent à la fois avec une force et une confusion qui me jeta dans un trouble inexprimable » (Wikipédia).

  

   Versant de la Folie : « Tiré je ne sais comment de l’ordre des choses, je me suis vu précipité dans un chaos incompréhensible où je n’apperçois rien du tout ; & plus je pense à ma situation présente, & moins je puis comprendre où je suis. » - « Les Rêveries du promeneur solitaire »« Première promenade »

  

   Nietzsche

  

   Versant du Génie/Versant de la Folie en une seule ligne réunis. Écoutons « Le prologue de Zarathoustra », lequel, on l’aura compris, n’est que celui de Nietzsche, l’homme qui sera foudroyé par la Puissance de son Génie, la Fragilité y était incluse tel le ver qui habite la pomme à l’insu de clui qui la mange :

  

   « Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne jettera plus par-dessus les hommes la flèche de son désir, où les cordes de son arc ne sauront plus vibrer !

   Je vous le dis : il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante. Je vous le dis : vous portez en vous un chaos.

   Malheur ! Les temps sont proches où l’homme ne mettra plus d’étoile au monde. Malheur ! Les temps sont proches du plus méprisable des hommes, qui ne sait plus se mépriser lui-même.

   Voici ! Je vous montre le dernier homme. »

  

   La prédication de Nietzsche/Zarathoustra est terrible au motif qu’elle n’adresse aux hommes, et au Prédicateur au premier chef, que la profonde aporie constitutuve de la durée humaine : un éclair, une brève fulguration et la chute dans l’infini du Néant. Or, annoncer ceci ne se peut que dans l’orbe du Génie, cette « Étoile dansante », ce regard d’extra-lucide qui porte « en soi un chaos ». Zarathoustra/Nietzsche a décrété la « mort de Dieu » jusqu’à en assumer les terribles conséquences : plus rien, plus aucune croyance en une possible rédemption ne sauveront l’homme de lui-même et il sera le dernier d’une longue lignée, laquelle s’éteint, tout comme se dissout l’essence même de l’Esprit Visionnaire.

   L’effondrement de Nietzsche à Turin le 3 Janvier 1889, témoigne de la faiblesse qui traversait le Philosophe : « Croisant une voiture dont le cocher fouette violemment le cheval, il s'approche de l'animal, enlace son encolure, éclate en sanglots, et interdit à quiconque d'approcher le cheval. » (Wikipédia). Et, sans me livrer à l’exercice d’une psychanalyse sauvage, ne crois-tu, comme moi, que ce cheval, emblème de la Volonté de Puissance, Surhomme en quelque manière, concrétisation des rêves les plus « fous » du natif de Röcken, c’est bien de lui dont il s’agit, Le Prophète, le Mage, du cataclysme qui foudroie son cerveau, du profond délire dont il sera la victime sans pouvoir avoir quelque prise que ce soit à son sujet. Autrement dit l’Aufhebung tourne court, revient à son point de départ comme si l’entreprise de toute une vie se résumait alors à son germe initial. Juste un signe premier sur la margelle du Monde !

   

   Rilke

  

   Versant du Génie - « Quatre conseils aux jeunes poètes » est maintenant devenu un classique, une référence en ce qui concerne la tâche d’écriture. Rilke, prodiguant ses conseils à Franz Kappus, 17 ans, poète en herbe, accomplit par-là même sa profonde introspection. Dictant ses suggestions, en réalité, c’est lui-même qu’il définit en tant que créateur, en tant qu’homme.   

   Écoutons :

 

   “Votre regard est tourné vers le dehors. C’est cela maintenant surtout que vous ne devez plus faire. Personne ne peut vous apporter conseil ou aide. Personne. Il n’est qu’un seul chemin : entrez en vous-même”.

  

   Je crois, qu’ici, s’affirme la Puissance du Génie totalement inclus en sa tour d’ivoire.  Ceci se nommerait simple paranoïa pour un Individu du commun, c’est, a contrario, l’essence au gré de laquelle Rilke est ce qu’il est, se confondant avec son geste d’écriture. L’injonction « entrez en vous-même », bien plus qu’une conduite subjective parmi d’autres, suppose le retournement en chiasme du regard, lequel deviendra vertu autistique. Oui, « vertu » car il faut une grande force de l’âme pour faire face à Soi, rien qu’à Soi, et biffer le Monde alentour, gommer ses facettes de plaisir, biffer le jeu ludique avec l’altérité, cette condition sine qua non de la reconnaissance de son propre Soi. Soi face à Soi ou la redoutable polémique de l’Être aux prises avec lui-même. La solitude, l’immense solitude, seul paradigme d’accès aux forces souterraines qui nervurent l’écrit, lui confère sa profondeur, le marque du sceau d’une radicale singularité. Le Génie tel qu’en lui-même, sinon Rien ! Nul ne peut être Poète par intermittences. Viser la Totalité et araser les contingences du quotidien.

  

   Versant de la Folie –  « Élégies de Duino - Première élégie »

  

   « Sans doute est-il étrange de n’habiter plus la terre,

de n’exercer plus des usages à peine appris,

aux roses et à tant d’autres choses, précisément prometteuses,

de n’accorder plus le sens de l’humain avenir ;

ce que l’on était, entre des mains infiniment peureuses,

de ne l’être plus, et même de lâcher

notre propre nom, ainsi qu’un jouet brisé.

Étrange de ne pas désirer plus avant nos désirs,

étrange que dans l’espace tout ce qui correspondit

voltige, délié. »

 

   Oui, étrange sentiment que « de n’habiter plus la terre », mais alors, vers quel Terrible le Poète est-il en partance ?, lui qui s’est défait « des usages », lui qui ne trouve plus, nulle part, « le sens de l’humain avenir », comme si la tâche du futur consistait « de ne l’être plus », de renoncer même à son « propre nom ». Quoi de plus douloureux, pour le Poète, de se défaire de la fonction cardinale de nomination des mots et des noms, à commencer par le sien, celui qui le définit ici, dans l’exactitude rassurante d’une temporalité ? Telle la marionnette brisée, abandonnée par l’enfant au fond de la pièce de jeu, ne plus figurer qu’à titre de « jouet brisé », nom d’une suprême aliénation. D’une certaine façon, les « Élégies » se donnent, dans ce bref extrait, en tant que contrepoint de la Solitude extatique, sombrant dans une enstase qui en est le revers strictement mortel. De l’infinitude à la finitude.

 

   Artaud

 

   Versant du Génie – L’un de mes articles portait en titre « Le point phosphoreux », lequel citait ce condensé brillant du météore qu’avait été Artaud dans le ciel de la littérature, de la Poésie, de la pensée :

   « CERTAINEMENT L'INSPIRATION EXISTE. Et il y a un point phosphoreux où toute la réalité se retrouve, mais changée, métamorphosée, - et par quoi ?? - un point de magique utilisation des choses. Et je crois aux aérolithes mentaux, à des cosmogonies individuelles. »

 

Antonin Artaud in "L'ombilic des Limbes", Poésie, Gallimard.

 

   Eh bien, vois-tu, Solveig, je suis persuadé qu’on possède là, en ces quelques mots, la frappe singulière du Génie, condensation, en un point ultime, de l’intelligence du Monde. Si « L’Inspiration » existe de manière si puissante (prédicat s’il en est du génie opératoire en ses multiples et toujours renouvelées effectuations,)  c’est de cette façon-ci et non d’une autre qu’elle doit trouver à se dire, dans cette concrétion qusiment minérale du Verbe et cette incarnation de l’Esprit n’est, évidemment, sans faire penser à la Parole divine, au simple motif que le Poète entend sa destinale mission, telle qu’exprimée dans « Comme au jour de fête… » :   

 

« Pourtant il nous revient, sous les orages de Dieu,

/ O poètes! de nous tenir la tête découverte,

/ De saisir l'éclair du Père, lui-même, de notre main

/ Et d'offrir au peuple le don céleste

/ Sous le voile du chant, [...] »

  

   (J’ anticipe l’inimitable style hölderlinien, mais j’y reviendrai bientôt.) Il est bien difficile d’enchérir sur ce fragment d’anthologie, là où brûle, (dans la merveilleuse lampe d’Aladin ?), le mystérieux et scintillant phosphore (stade ultime de l’Alchimie ?), là où le métamorphique change la trivialité du sédiment en ces roches aux noms fascinants, degrés derniers d’une signification de la matière, ces gneiss, quartzites et autres marbres dont il me plaît de penser que nous portons en nous, quelque part dans la profondeur, les traces vives autant qu’inaltérables, comme si nous n’en étions que le chaînon surnuméraire. Des « aérolithes » en nous, avec leurs sillages de feu. Et, à leur suite, ces minces « cosmogonies » que nous sommes, tressés sans doute de réel, mais bien plus des fils de soie du Mythe qui hantent la crypte en clair-obscur de notre inconscient.

 

   Versant de la Folie

 

   « …une fatigue renversante et centrale, une espère de fatigue aspirante. Les mouvements à recomposer, une espèce de fatigue de mort, de la fatigue d’esprit pour une application de la tension musculaire la plus simple, le geste de prendre, de s’accrocher inconsciemment à quelque chose,

   à soutenir par une volonté appliquée,

   Une fatigue de commencement du monde, la sensation de son corps à porter, un sentiment de fragilité incroyable, et qui devient une brisante douleur,

un état d’engourdissement douloureux, une espèce d’engourdissement localisé à la peau, qui n’interdit aucun mouvement mais change le sentiment interne d’un membre, et donne à la simple station verticale le prix d’un effort victorieux.

   [...]

   Un vertige mouvant, une espèce d’éblouissement oblique qui accompagne tout effort, une coagulation de chaleur qui enserre toute l’étendue du crâne ou s’y découpe par morceaux, des plaques de chaleur qui se déplacent. »

 

Antonin Artaud, Description d’un état physique, « Le Pèse-Nerfs », 1925.

 

   Tu conviendras avec moi, Sol, qu’il serait indécent de commenter plus avant ces symptômes artaudiens qui attaquent le corps du Poète, grignotent insidieusement le lumineux glacier de son Génie. Douleur pysique que redouble une douleur mentale et, en un clin d’œil, surgissent devant nous les effets hallucinogènes du peyotl des Indiens Tarahumaras, l’internement à Ville-Évrard, son état jugé incurable, la silhouette de l’Hôpital psychiatrique de Rodez, la tétanisation de l’entière personnalité sous les coups de boutoir répétés des électrochoces :

 

   « Ce traitement est de plus une torture affreuse parce qu'on se sent à chaque application suffoquer et tomber comme dans un gouffre d'où votre pensée ne revient plus. »

  

   Et coment mieux clore ces quelues méditations qu’en citant Artaud dans « Théâtre de la cruauté » :

 

   « Sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n'est pas possible. Dans l'état de dégénérescence où nous sommes c'est par la peau qu'on fera rentrer la métaphysique dans les esprits. »

 

    Artaud : un astre Métaphysique égaré dans le labyrinthe étroit de la Physique, le supplice du corset, l’imposition de la camisole de force. Le Génie a besoin d’espace afin que ses virtualités déployées, il puisse faire droit à ce qui le tient parfois au-dessus de la mêlée : cet Idéal dont il est, dans l’étroitesse de cette Terre, une Étoile perdue au firmament des Hommes.

 

   Hölderlin

 

   Versant du Génie

 

  Sol, tu approuveras mon choix, je le sais, de l’extrait qui va suivre, Second Livre – Hypérion à Bellermin. Hypérion est le double du Poète Hölderlin, Bellarmin l’ami à qui il se confie. « Je la vis », fait référence à Suzette Gontard (qui paraît sous le peudonyme de Diotima), seul véritable amour rencontré par Hölderlin, lequel ne cesse de pleurer sa perte. Ce que je sais, du fond de mon intuition, que seul un Génie pouvait faire rayonner de tels mots, les poser sur la feuille blanche pour l’éternité. Ce texte est sublime et nul ne pourrait s’inscrire en faux contre lui qu’à se renier soi-même, à oublier sa stature d’Homme. Je te laisse lire ce que, sans doute, tu connais mieux que moi et que d’autres Égarés qui ne parcourent la Terre que dans l’oubli de ses sillons. Un rapide commentaire s’ensuivra qui aurait nécessité de nombreuses pages, situées cependant à l’ombre de ce pur chef-d’œuvre.

  

    « Je fus heureux une fois, Bellarmin ! Ne le suis-je pas encore ? Ne le serais-je pas, même si le moment sacré où je la vis pour la première fois avait été le dernier ? Je l’aurai vue une fois, l’unique chose que cherchait mon âme, et la perfection que nous situons au-delà des astres, que nous repoussons à la fin des temps, je l’ai sentie présente. Le bien suprême était là, dans le cercle des choses et de la nature humaine.

Je ne demande plus où il est : il fut dans le monde, il y peut revenir, il n’y est maintenant qu’un peu plus caché : je l’ai vu et je l’ai connu.

   O vous qui recherchez le meilleur et le plus haut, dans la profondeur du savoir, dans le tumulte de l’action, dans l’obscurité du passé ou le labyrinthe de l’avenir, dans les tombeaux ou au-dessus des astres, savez-vous son nom ? le nom de ce qui constitue l’un et le tout ?

Son nom est beauté ».

 

   Assurément, je me sens si petit à côté de cette prose hyperbolique qui est la Puissance-même, l’aura infinie du Génie, l’éclat à nul autre pareil de sa gloire. Je ne me lasserai jamais de le dire, face à la réalité mondaine, c’est le processus dialectique qui nous détermine le plus. Par rapport au Naïf nous sommes Savants, par rapport au Poète des Poètes, nous sommes quantité infinitésimale, nous contentant d’en recevoir l’étonnante lumière, puis nous revenons au repos, comme si, fourbus d’avoir tutoyé l’Éclair et aperçu son Feu, il ne nous restait plus qu’à connaître un plateau de lave morte, une morne plaine de cendres. C’est égal, toujours un peu de braise vive demeurera tout contre le manteau de suie de notre nuit.

   « Je fus heureux », n’est-ce là figure la plus prodigieuse qui se révèle à nous ? Le simple bonheur des Mortels comme breuvage sacré du Poète ? Le cercle du Dieu se confond avec celui des simples Passants, des Silhouettes évanescentes. Et cette merveilleuse expression « l’unique chose », afin de décrire la fabuleuse apparition de Suzette-Diotima, qui donc eût pu se l’approprier sinon l’Auteur de « La mort d’Empédocle » ? Tirer de la consternante réification du réel l’image même de la pure Beauté, n’est-ce là, tour de magie incroyable, processus alchimique de haut rang, voltige intellectuelle qui se perd dans la soie des nuages ? « Le bien suprême » (…) « il fut dans les choses, il peut y revenir », ne serait-ce là la projection de l’admirable procès de l’Aufhebung sous lequel j’ai placé ces quelques mots, les simples choses rétrocédant jusqu’à l’insignifiant pour rebondir et connaître un nouvel état augmenté, infiniment dilaté, celui d’une Joie qui embrasse « l’un et le tout », autrement dit le particulier se métamorphose en l’universel,  en un seul et même geste signifiant ?  Sans doute avais-tu, bien avant moi, reconnu les vertus de la dialectique, elle qui ne pose l’un-relatif que par rapport à lui-même, ne lui octroyant jamais un sens plein, entier, déterminé, qu’à l’aune de ce Tout-Absolu qui en est le répondant, le brillant halo. Mais il faut maintenant entamer une « dialectique descendante », laquelle, du Génie à la Folie, accomplira « le cercle des choses et de la nature humaine » pour reprendre le mot d’Hölderlin.

 

   Versant de la Folie

 

   Tiré de « Poèmes de la folie de Hölderlin », le court poème ci-après, « Moitié de la vie », sonne le glas d’une œuvre pleine de mérites, placée sous l’héritage des Anciens Grecs, sous la haute bannière de l’Idéalisme allemand, de l’efflorescence du Romantisme teinté d’un pur classicisme. Ses dernières années seront, tel Nietzsche, tel Artaud, celles de la folie. Devenu le Pensionnaire du menuisier Ernst Zimmer (il distraira les enfants de ce dernier de quelques pitreries de son invention), enfermé dans sa tour au bord de la Neckar à Tübingen, il sera l’otage de sa propre démence, tristesse infinie d’une vie dont l’épilogue moissonne la tête d’un Génie majeur de son temps.

 

« Suspendue avec des poires jaunes

Remplie de roses sauvages,

La terre sur le lac.

Et vous merveilleux cygnes ivres de baisers

Trempez la tête dans l’eau saint et sobre.

 

Malheur à moi ! où les prendrai-je moi

Quand ce sera l’hiver, les roses ?

Où le miroir du soleil

Avec les ombres de la terre ?

Les murs s’élèvent sans parole et froids

Et les enseignes grincent dans le vent. »

 

   Je crois qu’il est inutile, ici, de rajouter des commentaires à la douleur, à la souffrance, à la perte en Soi d’une des plus hautes pensées du siècle. La fin est délirante. La fin est sans espoir. La fin sonne le tocsin d’une existence foudroyée. « L’orage », celui des Dieux l’a rattrapé et condamné au silence. Là aussi, le recours à la compréhension dialectique vient à notre secours. Les derniers poèmes sont « affligeants » (dans le sens de « nous affliger »), mais ne le sont que dans la perspective des autres poèmes, de pures créations d’un esprit hors du temps. Peut-être est-ce ceci, le Génie, celui qui, gommant toute temporalité, gagne l’Éternité !

 

Å ma Diotima

 

Je sais que tu excuseras mon cruel lyrisme

Il est un peu « ma folie » !

 

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29 avril 2024 1 29 /04 /avril /2024 17:11
D’un chaos originaire

Peinture Léa Ciari

 

***

 

   Quand tout va bien pour Soi, le tout du Monde vient au-devant avec souplesse et naturel comme si l’on vivait une existence, somme toute, sortie d’un Conte de Fées. Tout est joyeux. Les oiseaux pépient dans les haies semées des étoiles blanches des fleurs. Le soleil lisse votre peau d’une onde de clarté bienfaisante, maternelle. La mer bat au loin avec ses flux et reflux, on dirait un jeu d’enfants. La rue est pimpante, les trottoirs ruissellent de lumière. Les Passants vous sourient auxquels vous tendez un visage ouvert, accueillant. Tout dans l’évidence, tout dans le trait droit sans brisure aucune, tout dans la clarté épanouie du ciel. Entre Soi et le Monde, nulle distance. La rivière est là, toute proche avec ses lames d’argent. La montagne est altière qui se détache sur fond d’horizon. Les gens sont heureux, à l’aise dans leurs tuniques de soie, ils glissent infiniment en eux-mêmes comme visités d’éternité.

   Seulement, voici, ce qui se donnait dans le lumineux, le sans-retrait, s’obombre de bien funestes teintes. La rivière est boueuse, lourde, ses rives semées de noires racines. La montagne disparaît sous la taie dense du brouillard. Le soleil se voile, devient blanc, ses rayons repliés au centre de sa fournaise. Ceci est arrivé si soudainement, la nuit a succédé au jour sans même qu’un crépuscule ne s’interposât entre les deux dans la manière d’une transition qui en eût atténué cette brusque métamorphose. Et tout ceci, ce chamboulement a eu lieu à l’ombre des consciences humaines, à l’insu du savoir, au revers des lucidités. Le surgissement d’une aporie au plein d’une immarcescible joie dont on pensait qu’elle n’avait nulle limite. Partout l’on est saisis de stupeur. Partout l’on cherche un refuge, un angle de clarté, un mot visible dans le palimpseste confus des choses. Rien ne fait sens qu'un sentiment d'absurde rivé aux marges de l'infini. L'on se questionne sur la possibilité d’une involution du temps, l'on s'interroge sur sa propre place dans l’Univers, sur la finalité de ce qui vient, de l’avenir, sur Soi. Nulle réponse cependant, sauf parfois les borborygmes d’un langage devenu inconnaissable.

   Qu’est-il advenu de l’Homme ? Ceci : L’Homme, la Femme, l’on ne sait plus très bien à qui l’on a affaire dans cette étonnante physionomie qui vient à nous depuis le plus éloigné du temps. Peut-être la figure de l’androgyne, peut-être la face de quelque mutant en son incompréhensible genèse. « Inquiétude » sera le nom attribué à cet être qui n’en semble nullement un, juste un métabolisme, un mouvement confus, une à peine sortie des limbes. Parler de lui, revient en quelque sorte à évoquer le Néant en personne. La broussaille des cheveux se dissout dans un fond de nuit. Ce qui tient lieu de visage (plutôt une épiphanie barrée), une sourde masse grise qui fait penser aux feuillets d’une ardoise, aux toits de zinc sous un ciel d’orage, aux boulets d’anthracite, enfin tout, sauf une note de bonheur, bien plutôt l’annonce d’une perdition en de bien obscurs abysses. Seul un œil dont on ne voit que la paupière close est visible. Une manière d’Oeil-Tombe si vous voulez, de vue scellée dans son douloureux cénotaphe. La barre du nez s’efface sous une ombre qui en envahit la racine. Deux mains (mais s’agit-il encore de mains, ces larges battoirs pourvus de griffes en leur extrémité, n’est-ce l’émergence de la pure animalité, l’emblème d’une sourde violence ?), les mains donc, encagent le visage, les barreaux des doigts sont la geôle dont nulle parole ne pourra sortir, nul cri émerger puisque le merveilleux langage semble être condamné à trépas.

    La vêture, dans le prolongement du non-visage, est de la même teinte lugubre de schiste, rien ne s’y distingue qui pourrait indiquer une possible sortie, l’éclosion du plus mince espoir. Å côté, le bon Sisyphe est exultation de joie, rayonnement de félicité. Vous pensez que je force le trait, que je noircis à plaisir la scène qui se présente à moi pour lui donner la physionomie d’une Tragédie Antique ? Eh bien, s’il en est ainsi, vous aurez raison au motif qu’en ce jour de Novembre, mois des feuilles mortes et des Morts dont on honore le souvenir, mon projet le plus immédiat est de dépeindre l’Humaine Condition, sous les auspices les plus fâcheux qui se puissent imaginer. « Qui aime bien, châtie bien », dit le proverbe et je ne veux pour l’humain que le Destin le plus heureux, que les joies les plus évidentes. Et, afin de brosser le portrait d’Inquiétude avec un souci de précision, je dirai qu’il pourrait être semblable, en bien des points, aux figurations tout en chantournement, anamorphoses diverses, pliures, chiasmes et autres fantaisies formelles qu’un Francis Bacon a peintes en son temps dans ses célèbres  « Autoportraits » dont chacun se demande bien quelles sombre motivations inconscientes l’ont conduit à produire autant de chefs-d-œuvres qui, en même temps, figurent l’Humain en ses plus navrantes et effrayantes représentations.

   Et maintenant va débuter une « Fable Biblique » dont bien des aspects seront à verser au compte du Réel le plus pur. Adam et Ève, tout juste chassés du Paradis après qu’ils ont mangé le fruit défendu de « l'arbre de la connaissance du bien et du mal », se retrouvant en de riantes contrées terrestres, vont de-ci, de-là, insouciants, grapillant ici quelques baies de délicieuses framboises, là des mangues à la chair odorante ou bien des mets inconnus qui flattent leurs palais, leur donnent un vif plaisir et finissent par fouetter au sang la lame de leur incorrigible désir. Aiguillonnés par une audace constitutive de leur état, poussés par leur gourmandise sans fin, ils se sustentent à toutes les fontaines et cormes d’abondance terrestres. Et, bien entendu, selon leur propre logique interne, un plaisir en appelant un autre, une curiosité s’ouvrant sur une autre, ils consomment à satiété tout ce qui leur tombe sous la main.

   Sous la férule d’un inextinguible progrès, ils n’ont de cesse d’explorer des territoires inconnus, d’extraire de leur sein tout ce dont ils pensent qu’ils pourront tirer quelque profit. Les années passent, les siècles passent, les millénaires passent et Adam et Ève, respectant à la lettre l’injonction divine :

   « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là ; ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout ce qui est vivant et qui remue sur la terre. »

   Adam et Ève donc, crûrent et multiplièrent, donnant le jour à la ribambelle des Seth, Enos, Cainan, Mahalaleel, Jared, Enoch, Methuselah, Lamech, Noah, Shem, lesquels, à leur tour, enfantent et enfantent à nouveau, si bien que, sur la Terre, il ne demeure plus un seul pouce carré qui ne soit investi de la présence humaine. Et le « mal » se serait limité là si les descendants d’Adam et Ève n’avaient eu, chevillé au corps, un insatiable désir de « soumettre » la Terre, en effet, de la dépouiller jusqu’à l’os des infinies richesses dont elle était prodigue. Ainsi au cours de la suite interminable des jours, ils se livrèrent à un pillage en règle de cette généreuse Fontaine, la laissant à son étiage, un mince filet d’eau coulait entre d’étiques racines. Les Héritiers de l’Éden n’eurent de cesse de piller les Océans, de les vider de leurs poissons d’argent ; de mettre le feu aux forêts, d’incendier la moindre parcelle de garrigue ; n’eurent de cesse de rouler en tous les sens sur la Planète au volant d’automobiles qui crachaient leurs nuées de fumées délétères ; de manduquer la chair des animaux les plus divers ; d’inventer des machines qui foraient le sol jusqu’en d’insondables profondeurs, extrayant cet « or noir » qui les enivrait ; n’eurent de cesse de sillonner les vastes travées du ciel dans de puissants aéronefs aux sillages écumeux ; de pianoter des journées durant sur de minuscules écrans qui étaient leurs Nouveaux Dieux et qui, à la vérité, les rendaient FOUS ; de se presser selon des foules compactes dans des Parcs d’Attraction qui n’étaient que les Temples de l’Argent ; n’eurent de cesse de prendre la Planète qui les accueillait avec gentillesse et douceur pour un vulgaire agrume dont ils pressaient les flancs jusqu’à ce qu’ils fussent sur le point de se rejoindre. Enfin, en un mot, ils n’avaient cessé de « scier la branche sur laquelle ils étaient assis », si bien que leur Chute était un facsimilé de la Chute Originelle que, du reste, ils n’avaient plus en vue, s’interrogeant sur la raison de leur précipitation de Charybde en Scylla. Je vous avais prévenus, je voulais brosser un portrait de l’Humaine Condition en ses plus extrêmes valeurs, persuadé cependant n’y être parvenu que très partiellement, les mots, parfois, étant malhabiles à traduire la complexité du réel.

   Cette rapide épopée humaine se veut en tant qu’allégorie d’une inconscience généralisée, d’une manière d’hébétude dont la toile de Léa Ciari pourrait figurer un possible emblème. Rien de plus précieux, en effet, que le visage humain, ce magnifique porte-enseigne de la conscience des Hommes lorsque, porté à ses plus hautes qualités, il détermine leur Destin tel un lumineux trajet de comète qui illumine le ciel et lui donne sens. Certes, bien des vertus encore brillent au firmament : de Grands Chercheurs innovent dans tous les domaines, des œuvres d’art surgissent ici et là, des gestes d’oblativité se donnent à travers le Monde. Mais combien toutes ces vertus sont contrebalancées par des comportements inconscients qui mettent la Planète dans le plus grand danger : celui de mourir. Le Poète et Visionnaire Paul Valéry (mais c’est un seul et même état), disait en un temps qui n’est guère lointain :

 

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. »

 

   Toutes les civilisations, ou presque, ont connu leur fin sous de funestes figures. D’elles, ces sublimes créations des Hommes, que demeure-t-il ? Des Moais aux yeux vides qui scrutent énigmatiquement le ciel de l’Île de Pâques ; quelques fresques de la Civilisation Minoenne à Cnossos ; des temples Khmers envahis de végétation à Angkor ; quelque bas-reliefs Assyriens ; le Temple Maya des Inscriptions à Palenque au Mexique. Que demeure-t-il sinon des cendres, une fumée qui se disperse à tous vents ? Ceci est d’autant plus dommageable que tout ce que ces hautes Civilisations avaient crée en matière de connaissance, d’art, de manière de vivre, tout ceci a été balayé par on ne sait quel typhon dont, sans doute, l’Humain possède le secret au plus haut point.

   Alors, faut-il désespérer ? Faut-il enfouir sa tête d’autruche dans le sable et vivre d’inconscience ? Faut-il démultiplier les « prodiges » d’un Progrès sans fin qui nous aliène bien plutôt qu’il ne nous élève et nous place au faîte de notre Condition ? Ces questions sont par nature interminables, tout comme la Dimension Humaine semble illimitée dans la voie de son Destin ? Y a-t-il une fatalité, une Volonté abstraite, qui nous dépassent et nous intiment l’ordre de toujours plus avancer en direction de ce foisonnement qui nous fascine, dont nous sommes, à l’évidence, partie prenante ? Pouvons-nous demeurer en qui-nous-sommes, c’est-à-dire éprouver la profondeur de notre liberté à seulement nous situer dans un temps lent, à ne connaître que l’espace qui nous est proche, renonçant à nous approprier le Tout du Monde, cette mesure étant, bien entendu, pure illusion ? Aurons-nous la force d’évaluer les enjeux de notre fuite en avant et, en conscience, faire de la sagesse, du repos, de la sérénité les lignes selon lesquelles nous retrouverons les lois imprescriptibles de notre Essence ?

   Il en va de notre avenir, de ceux de nos Descendants, de l’avenir du Monde, du contenu de la Civilisation qui sera notre miroir. Certes, le propos est sérieux et comment ne le serait-il ? Il est question de l’Homme s’inscrivant ou non dans la perspective d’une éthique. La Belle Image commentée ici, de par son caractère inquiet, me fait naturellement penser aux Grotesques de la Renaissance, ces visages mi-humains, mi-végétaux versant en direction d’une minéralité quasi préhistorique, Grotesques qui ornaient les parties les plus secrètes, les plus ombreuses des jardins.  Est-ce ceci que nous voulons, perdre notre épiphanie humaine et sombrer dans quelque obscure grotte dont, jamais, nous ne ressortirons ? Est-ce ceci ? Non, nous avons bien mieux à faire, suivant la Voix de notre Conscience !

 

 

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24 avril 2024 3 24 /04 /avril /2024 07:38
Affligée de nudité

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   Elle avait compté sur son âme, en avait sondé la profondeur, mais c’était pure vacuité qui s’était présentée à elle, comme si son âme n’avait jamais été qu’un mot, un concept vide, une voile flottant dans l’air sidéré, au milieu des tourbillons du Rien. Certes, ces pures évanescences étaient appréciables au plus haut degré pour des Saints, des Savants en méditation, des Artistes convoqués au jeu raffiné avec la transcendance, mais pour Elle…

   Elle avait compté sur son esprit, en avait attisé les ressources polyphoniques, avait appelé à son chevet les Poètes, les Écrivains, les Philosophes mais, à mesure qu’elle mettait sur le métier, odes sublimes, anthologies précieuses, philosophèmes subtils, tout se détissait, tout se dispersait en lambeaux et ses mains nues n’étreignaient que du Négatif, de l’Indicible, du Mouvant. Certes cette tripartition du réel selon la mesure de l’Inaccessible était remarquable pour des Êtres aériens, diaphanes, doués d’une vivace ubiquité, mais pour Elle…

   Elle avait compté sur son corps en dernier ressort, sur l’assurance de son anatomie, sur la solidité de la chair, sur l’écran immarcescible de sa peau, mais ce n’étaient qu’entier dénuement, savane d’herbe illisible, hauts plateaux traversés du cri aigu des rapaces, sommets couronnés de neige en leur inaccessible éclat. Certes, ces géographies hauturières avaient pénétrante valeur pour la race des Explorateurs, le peuple des Aventuriers, l’étoffe des Héros, mais pour Elle…

   Elle n’était qu’Elle, sans autre assise patronymique. Nul, pas même, ses Pourvoyeurs de vie, n’avaient réussi à la nommer. C’était de l’ordre de l’impossibilité, cela avait la consistance gluante d’une confondante aporie, cela sonnait faux, à la manière d’un violon mal accordé, d’un tocsin à l’airain fêlé, d’une voix dysphonique, mal assurée de l’étendue de sa tessiture, de la portée presque nulle qu’elle aurait manifestée à l’encontre de tout Autre. Elle n’était Elle qu’à être ce pronom impersonnel sans quelque prédicat qui se fût affairé à préciser les contours de son être. Peut-être même, n’était-elle « être » que par défaut, pareille à la diatomée dans sa cellule de verre, à la méduse transparente, au papillon Greta oto aux ailes translucides.

    Autrement dit, elle n’était que sa propre nudité, dépourvue de quelque banlieue, fût-elle prise dans les mailles grises des lieux amorphes, indéterminés. Or, cette hésitation à être se lisait, comme on interprète un cliché radiologique, à même les nervures qui la soutenaient avec quelque difficulté, à peine plus haut que sa propre ligne de flottaison. Et cette inclination à la contradiction, à l’énoncé sophistique, à l’exercice du contresens, la plaçait dans une énigmatique posture qui tenait, à la fois, de l’androgyne, de l’hermaphrodite, de la substance monoïque peinant à trouver sa voie parmi la pluralité sexuée d’un Monde indistinct, nébuleux, inarticulé en quelque sorte, une manière de doute originaire non encore dépassé.

   Et pourtant, il fallait bien vivre, sortir, certes avec difficulté, de la tunique de sa chrysalide, s’essayer à rayonner, un tant soit peu, tel le brillant imago, oh, à l’évidence, dans la modestie, le sourd éclat crépusculaire, la faible lumière aurorale, l’hésitation d’un clair-obscur. Vivre à demi, sur la pointe des pieds, telle la timide Ballerine qui n’ose encore exercer son talent, cintrée dans son corset étroit qui la confond, la contraint, bien plutôt que de la faire se déployer tout contre la palette polychrome de l’exister. Vivre entre deux portes. Vivre dans l’intervalle entre deux notes. Vivre dans la zone interlope qui anticipe toute relation, tout contact, tout essai de paraître au grand jour alors que la pupille des yeux s’ourle de cataracte. Vivre avant même la parole, dans cette feuille de silence qui cloue les Amants les plus impétueux sur la planche d’entomologie de leur passion. Vivre à la limite du goût, juste sur le bord d’une sapidité, ni dans le sucré, le salé, l’acide, seulement dans le geste devançant toute sensation, avant toute idée de fumet, de piment, de bouquet. Vivre à l’orée des gestes, en suspens, imiter la marche immobile des Mimes et grimer son visage de blanc, annuler sa progression vers l’avant, annihiler tout projet, faire du Soi un signe avant son émission, le faire rétrocéder dans la touffeur des limbes amniotiques. Vivre et s’immoler dans l’abîme existentiel. Voilà, à peu près où Elle en était de sa progression vers Soi. Elle face à sa Vie : vol stationnaire du colibri, nectar qui ruisselle à portée de bec, mais dans le retrait, dans le fanal du pollen qui meurt à même sa profération. Certes, l’on pourra trouver belle, admirable même, cette insertion dans l’à peine vivre, cette disposition à n’être pas, ce refuge dans la nacre de la coquille existentielle. Mais, toujours, « il y a loin de la coupe aux lèvres ». Toujours il y a faille entre l’Idée et l’Acte ; entre le Rêve et la Réalité. Endurer cette non-venue à Soi : castration de Soi, pliure du Soi sur son germe inaccompli, ablation du Soi jusqu’au « risque de se perdre », pour parodier le beau titre du roman de Kathryn Hulme.

   Son corps était de solitude. Son corps était de courte venue. L’esprit le devançait, ce corps amorphe, ce corps pareil au suif blafard d’une bougie. Å peine la consistance d’une eau savonneuse dans le jour avare d’une blanchisserie, d’une laverie usant le monotone des jours, le réduisant à l’état d’une cendre volatile. Mais était-ce vraiment un corps de tissus, de nerfs, d’aponévroses, un corps de sang et de lymphe ? N’était-ce simplement un corps chimérique, illusoire, un mirage se levant au contre-jour du croissant des barkhanes ? Une triste lagune habitée d’êtres tous plus étiques les uns que les autres ? Nul n’aurait pu prononcer quelque chose à son sujet qu’à se fourvoyer dans les fosses insondables de l’absurde. Était-elle au moins inscriptible dans le contour de quelque figure vraisemblable ? Certes, pour donner corps au récit, force nous est imposée, sur le mode de l’approche, de l’approximation, de traduire en des mots de peu de densité, ceci même qui vient à nous dans le silence et la pure étrangeté.

   Le charbon des cheveux, de simples lianes qui encagent le triangle aigu du visage. Des mèches, plus violentées que rebelles, tombent dans une manière d’à-pic vertigineux. Le regard (mais s’agit-il de regard ou bien de la vision torturée d’une Égarée ?), le regard est perdu au loin de Soi, explorant la vastitude des espaces infinis. Un regard de comète avec la tresse brillante des cheveux à sa suite, une vive lumière qui, bientôt, devient simple sillage indistinct dans la haute bannière du temps. Le visage, le masque du visage est issu de quelque tragédie antique dont les Personnages sont absents, gommés par la vacance de leur archéologie biffée, réduite à quelques mots fragiles absorbés par le livide de la page blanche. La bouche prononcerait-elle le début de quelques syllabes, qu’un bleu de vitriol en réduirait à néant la prétention à paraître. Le corps (oui, il faut bien l’appeler ainsi), se confond avec ce qui l’enserre, une toile de neige seulement délimitée par de flexueuses et hésitantes lignes. Ce corps, pesé au trébuchet de l’esthétique, n’est rien de moins qu’une esquisse se maintenant en soi, n’ayant nulle postérité qui la conduirait à l’œuvre achevée, synthèse des moments qui la précèdent. Ce corps porte, en sa consternante biffure, les stigmates manifestes de sa propre finitude. Il ne tient à l’intérieur de ses frontières qu’à se constituer en ce fond qui l’absorbe et le reprend en lui comme sa provende quasi-métaphysique. Oui, Elle aux bras croisés devant le trou de l’ombilic, oui, Elle dont le sexe est occlus par le pli des jambes, oui, Elle dont la chute des reins est écho de sa propre chute, ne vit qu’à trouver abri provisoire dans le corridor étroit de notre matière grise que l’on suppute pensante. Mais l’est-elle vraiment ? Nous avons tellement de motifs de nous absenter des obligations de notre essence !

   Mais, ici, nous avons assez dit, dans le genre négatif, le positif se donnant sous la forme d’un mince filet d’eau bientôt repris par la faille d’une diaclase. La fente d’une brisure. Oui, Elle est sans espoir. Elle correspond à nos jours de tristesse, au chanvre resserré de notre mélancolie, au lien étroit qui serre nos poignets lorsque, vaincus par quelque menace, tout geste nous est ôté, toute initiative amputée de son possible avenir. Elle est la résurgence de notre angoisse fondamentale. Elle est notre nuit, l’assise au bord de la couche avec les mains qui tremblent et le moite au front. Elle est notre vision qui, parfois, se recourbant, se penche sur la jarre vide que nous sommes où ne résonne que le son de notre voix blanche. Silence sur silence qui efface le sens et nous reconduit en-deçà de notre être en d’inconnus territoires, genres de voiles exsangues qui faseyent longuement le long de rivages se perdant dans les brumes d’un non-savoir.

   C’est ceci, le terrible : interroger le Monde et n’avoir pour réponse que cette affligeante impéritie, cette absence de compréhension qui font de nous de simples esquifs ballotés en tous sens par un océan en furie. Jamais nous ne voulons être de simples pronoms personnels indéfinis. C’est le défini, le strictement limité, le stable, le dicible, le nommable, l’accompli dont nos mains, notre corps, notre esprit veulent se saisir. Hormis ceci, l’horizon est vide et l’univers privé de parole ! « Affligée de nudité », nous la voulons vêtue des emblèmes singuliers, infiniment présents, qui feront d’Elle, peut-être une Pénélope, une Eurydice, une Virginie, une Odette de Crécy, ces si belles figures féminines en quête de leur Ulysse, Orphée, Paul, Charles Swann. Oui car à chaque âme il faut sa concordance, son analogie, son écho.

 

Faute de ceci :

 Seul le Vide !

 

 

 

 

  

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21 avril 2024 7 21 /04 /avril /2024 08:20
Å hauteur de roseaux

Back to black

La roselière...

Vendres...

 

Photographie : Hervé Baïs

 

***

 

   Avant même de se porter en direction de la Roselière de Vendres, convient-il de prendre de la hauteur, au sens propre, de gagner ce magnifique Massif des Albères d’où re révèle un étonnant panorama semi-circulaire, un peu comme si la vaste Plaine du Roussillon vous appartenait en entier, sans partage. Une manière de point de vue macroscopique, en lequel, par une sorte d’écho, se réverbèrera le singulier biotope microscopique du Peuple des Roseaux. Il faut quitter Collioures, serpenter au milieu des vignes en terrasses et, par une côte en lacets étroits, gagner la crête sur laquelle se détache, sorte d’hiératique figure, la haute Tour de la Massane. Cette tour à signaux du XIII° siècle est belle dans son austérité, elle s’affirme à la proue du massif, circulaire, taillée dans de gros moellons de pierre grise, avec ses étroites meurtrières à la base, ses trous dans la bâtisse, son sommet dentelé, vestige d’une ancienne splendeur. Longtemps il faut apprivoiser son regard à la dimension de la vastitude, accommoder et plisser ses yeux afin que la brume à l’horizon consente enfin à délivrer ses richesses. Loin, là-bas, le tapis immobile de la « Grande Bleue ». Loin, là-bas, la chute des Albères en direction de la Péninsule, vers Cerbère, puis Llança, El Port de la Selva, Cadaquès, la fabuleuse Espagne.

   Loin, là-bas, dans une espèce de fourmillement, le troupeau des maisons blanches de Vendres ; loin là-bas, genre de répondant de l’écrin singulier des Albères, un genre de clapotis couleur de terre, troué de mares d’eau, miroitement d’un lac et le frémissement presque inaperçu de la végétation des Roselières. Pur bonheur que de rencontrer tout ceci dans un espace si resserré, si assemblé, que sa variété n’est que le reflet de son unité, du don qu’elle nous fait, qui nous rassure et nous émeut. Tout, ici, est si naturel, si immédiatement donné ! Il faut gagner la zone marécageuse en passant près du vestige d’une villa Romaine, dite « Temple de Vénus » dont les « murs en petit appareil de calcaire coquiller local, liés au mortier de chaux et matériaux d’importance signent le luxe de la décoration. »  Aujourd’hui, il ne demeure, de la magnificence passée, que quelques murs ruinés de pierre blanche, le chapiteau d’une colonne, quelques minces fûts de calcaire, tout juste de quoi alimenter le phosphore de l’imaginaire.

   Mais rien ne nous sera plus précieux, dans cette découverte, que de commenter cette belle photographie en noir et blanc, due, comme toujours, à l’art du paysage d’Hervé Baïs. Le ciel est si peu un ciel, un genre de lagune, avec ses courants lents, ses méandres paresseux, ses remous à peine affirmés, ses semis d’euphorbes claires, le brouillard jaune et vert de ses luzernes, les corolles blanches de ses cakiliers. Les roseaux sont si peu marins, avec leur allure de Tramontane, leurs bourgeonnements de nuages lenticulaires, la dentelle de leurs cirrus, les boules de leurs cumulus. Ce que veulent exprimer ces rapides métaphores, la fluence d’un élément en l’autre, l’amitié des choses, les « affinités électives » qui assemblent en un seul lieu, en un seul instant, des peuples que l’on croirait différents, alors qu’ils ne sont, à l’évidence, que la simple phénoménalité d’une Nature qui, elle est Unique, profondément Unique. Mais il faut reprendre l’évocation et la porter plus avant, au risque de diviser l’indivisible, de fragmenter ce qui ne peut l’être, de réduire selon les catégories la belle harmonie ontologique.

   Le ciel est cette mince bande, ce passage discret (souhaite-t-il se faire oublier ?), cette à peine énonciation dont, seuls les Poètes, ont à connaître. De fins nuages en sont les passagers clandestins, ils ne s’attardent guère, leur voyage est au long cours. Au milieu d’eux, la lumière se fraie un chemin tissé de silence, elle tutoie ce beau gris Souris, lui dont le secret est la pure élégance. Et la ligne d’horizon est ce mince fil noir qui court d’un bord à l’autre sans alerter qui que ce soit. Il paraît être là de toute éternité, assuré de son destin, lui qui est le médiateur des choses célestes et des choses terrestres. Il est une pointe avancée, un élément de liaison, un intervalle entre deux mots d’où naît l’incomparable nature du Sens.

 

Signifier : voici la tâche assemblante de l’Horizon,

voici la tâche essentielle et immémoriale de l’Homme.

 

   C’est bien en quête de significations vers quoi pointe l’interrogation de notre conscience, sans doute n’y a-t-il de secret si aisément accessible.

    Et les Roseaux, le Peuple admirable des Roseaux, il faut lui ménager une place de choix, dire le visible et, aussi bien l’invisible qu’il recèle en lui afin que, connaissant l’avers et le revers de sa nature, nous puissions en sonder la profondeur. Ils sont là, dans la claire et discrète effusion de leur être. Ils sont traversés de vent, comme les Hommes et les Femmes sont traversés d’amour. Ils sont doucement inclinés et leur fin tropisme semble vouloir indiquer le lieu même de leur provenance, cette mesure strictement orientale, nette, sans équivoque, qui s’oppose au versant brumeux, opaque de leur chute hespérique. Une Vérité s’allume, loin là-bas, qu’un mensonge (nous en sommes coutumiers) rabat dans les fosses carolines des approximations, des dissimulations, des compromissions.

   Ce Peuple est beau, lui qui fait ses taches de lumière parmi la simple agitation de la sansouïre, on dirait des lacs communiquant entre eux, nullement dans l’exposition, seulement de façon racinaire, rhizomatique, comme si tout ne pouvait signifier qu’à l’aune du retrait, de la discrétion. C’est ainsi, le Peuple des Marais est un peuple libre de soi, allant à l’aventure, d’un côté ou de l’autre, intimement mêlé au milieu qui l’accueille, près du ciel léger, près du remuement presque inaperçu des massettes, que l’on nomme aussi, poétiquement, « roseau-de-la-passion », métaphore qui ferait craindre l’éparpillement, la vivacité, la turgescence incontrôlée. Or, il n’en est rien, les roseaux sont de nature modeste, intimement réservés, habitués qu’ils sont aux clartés lagunaires de plomb et d’étain. En leur constant et doux balancement, se laisse deviner la modestie de la Pie-grièche à poitrine rose, se laisse entendre le son mystérieux de la corne de brume du butor étoilé. C’est, parfois, le cri de gorge du Blongios nain qui sourd d’entre les tiges assemblées. Parfois l’envol blanc de l’aigrette garzette au-dessus des nuages des massettes brunes. Parfois le cri suraigu, manière de scie musicale, du sterne pierregarin.

   Oui, les roseaux chantent au rythme des oiseaux migrateurs, cigognes et canards, mais aussi sous la caresse amicale et salée du vent Marin ou bien sous les coups de boutoir de la rapide et tranchante Tramontane. Et, comment ne pas deviner, sous la surface argentée du Lac, au milieu de l’enchevêtrement des tiges, le long glissement des anguilles noires, on les dirait de simples métamorphoses du limon qui tapisse le fond, un prolongement, si l’on veut. Et puis, perçoit-on, auprès de ces arbres mincement levés de la houle de la roselière, toute cette multitude inapparente, ce foisonnement discret, la disposition en étoiles des minuscules archées, l’agitation vert-Menthe de la bette maritime, est-on touché de la vacillation souple des algues, genres de cerfs-volants aquatiques ? Ce que nous laisse deviner cette belle photographie, dans la profondeur de ses sels d’argent, une géographie de mangrove dans la belle complexité qui anime la luxuriance de ses invisibles profondeurs.

   Nous ne sommes, nous les Voyeurs, nullement immobiles, passifs devant cette beauté à « fleurets mouchetés » et ondoyante de la Roselière, loin s’en faut. Cela bouge en nous, cela chante en nous, cela fait sa forêt de sombres palétuviers, sa litière de feuilles mortes, ses sinuosités d’eau verdâtre, ses courants ascendants et descendants, son lent bruissement de joncs sous la ligne de flottaison de notre regard. C’est ceci, une photographie juste, une image énoncée en vérité, elle nous prend au centre du corps, et vrille en nous mille impressions jusqu’ici inexprimées, latentes, lesquelles ne demandaient qu’à être mobilisées.

   Regarder cette image, c’est être Soi et gagner de la profondeur, être scirpe, échasse blanche, héron pourpré, jonc, salicorne. C’est se placer à l’exact milieu de la faveur unique de la sansouïre et y demeurer, loin encore du temps de la première sensation, y tisser ces minces filaments qui, de l’autre de l’image à qui nous sommes en notre for intérieur, font se tendre ce fil d’Ariane ininterrompu garant d’une joie qui demeure et, toujours se réactive à l’endroit singulier de sa source plénière. La Roselière est à nous ce qu’est le pollen au Printemps, une annonce, un mystère, le début d’une aventure qui n’aura nulle fin si, inquiets du destin des Choses, nous savons correctement en interroger la pulpe intime, la mince effectuation, nous frayer un chemin en direction de leur attente. Oui car nous sommes attendus, tout conne nous attendons. La vie est une conque habitée des multiples échos qui nous ont traversés, de ceux qui verront bientôt le jour. Toute Chose est là qui ne souhaite qu’être saisie !

 

 

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20 avril 2024 6 20 /04 /avril /2024 17:22
Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

" Dans la baie de Wissant ".

Photographie : Alain Beauvois.

« Un soir, la Baie de Wissant,

entre Cap Blanc Nez et Cap Gris Nez,

entre le clair et l'obscur,

comme divinement illuminée... » A.B.

 

      Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

Nous croyons sentir et nous ne sentons pas. Nous croyons vivre et nous ne vivons pas. Nous pensons toujours être au bord d’une révélation et nous sommes à la périphérie de notre propre corps que, rarement, nous habitons adéquatement. Nos yeux sont des globes de porcelaine sur lesquels ricoche la lumière. Nos mains des sarments qui griffent l’air de leur inutile gesticulation. Nos ventres des désirs de plénitude que le vide anéantit. Nos sexes des emblèmes livides évanouis avant même que d’être comblés. Nos jambes des pieux hémiplégiques. Nos pieds des ventouses collées aporétiquement au sol de poussière. Nous croyons avancer et nous demeurons. Nous croyons exister et nous avons peine à seulement respirer. Nous vivons trop à l’heure de midi et les trombes zénithales nous clouent à notre solitude de chair. La nécessité entre en nous et nous sommes au supplice. Corps lourd sous les coups de gong du jour. Sang pourpre qui n’en finit pas de faire ses lacs inutiles et ses stases abortives. Partout le jaillissement de la blancheur ossuaire, les éclats de phosphore, les cryptes fermées du doute. Les nerfs sont enroulés en pelotes grises. Les éclairs fusent sur les fils des axones, la lumière crépite dans les pièges des dendrites, les gangues de myéline fouettent l’air vide comme de pathétiques flagelles. Cage d’os de la tête parcourue du réseau étroit des idées élimées. Bassin lourd d’être sidéré de la chute de la verticale clarté. Partout est la folie qui enchaîne et pousse ses mors acérés. Boulets des genoux pareils à des gueuses de fonte. Mollets arborescents que soudent les réseaux de lierre, les complexités illisibles des lianes végétales. Bruit de crécelle des métacarpiens et des calcanéums sur le sol poncé de chaleur. L’heure de midi, l’heure de la quotidienneté plonge son glaive dans le mitan de la pierrerie charnelle et les existants font du surplace à la manière des mimes, talon-pointe, talon-pointe et les vagues de la locomotion figées dans la glu du réel et le tragique en gelée qui métamorphose en cierge apatride.

  Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

Le proche est dans l’obscur comme si une langue de nuit s’emparait déjà de la terre. On est là, dans la réserve, le retrait, la contemplation de ce qui va paraître avant que toute chose ne retourne dans la densité d’un oubli originel. On respire si peu, juste ce qu’il faut pour maintenir la veilleuse allumée. Modeste lumignon de la vie attentive, simple étincelle de l’esprit en quête d’ouverture. Les hommes sont loin, là-bas, dans le crépuscule qui frémit, au-delà de la plaine d’eau qui se colore d’or, une poudre si légère, une poussière, une à peine insistance dont le ciel est le messager discret. L’heure crépusculaire, tout comme l’aurorale, est ceci qui dit en mode discret le temps de l’évanescence, de la légèreté, du souffle aérien, du glacis des étoiles, de l’échelle céleste reliant au lointain cosmos, de la souplesse des tiges florales, des fils d’Ariane qui tiennent le monde en suspens, de la courbe grise de l’oiseau, du tube de roseau où glisse l’air léger des Andes, de la résille du silence, du chant lors de ses premières trilles, juste un tintement ; c’est l’heure où tout est sur le point d’éclore sur le bord de la lueur matinale ou bien de s’évanouir dans l’étoffe nocturne, c’est l’heure du bercement sans fin de l’imaginaire, l’heure de l’innocence pareille au sourire de l’enfant visité par la palme du rêve. C’est l’heure du poème qui fait dire à Jules Supervielle dans « Gravitations » :

 

« Alentour naissaient mille bruits

Mais si pleins encor de silence

Que l’oreille croyait ouïr

Le chant de sa propre innocence.

Tout vivait en se regardant,

Miroir était le voisinage,

Où chaque chose allait rêvant

A l’éclosion de son âge. »

Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

« Impression, soleil levant ».

Claude Monet.

Source : Wikipédia.

   

   « Impression, soleil levant » tout comme l’on dirait « Impression, soleil couchant ». Impression d’impression qui susurrerait la justesse des choses, l’accomplissement sans fin de l’intuition, l’éclosion de la chair prolixe du monde, là, tout contre notre joue, dans le cercle étroit de l’ombilic, dans le golfe de l’oreille où se joue la symphonie d’être, là dans l’angle de la conscience, cette dimension qui nous place au-devant de nous et nous dépose sur la rive accueillante de ce qui ne paraît qu’à être révélé, porté à son acmé, chauffé jusqu’à l’incandescence. Nous n’avons d’autre lieu où nous manifester qu’ici et maintenant face à ce ciel de corail, au bleu des nuages, au disque rouge du soleil, à sa trace hésitante dans l’eau, tout près de cette barque d’ombre avec laquelle se confondent deux silhouettes, peut-être celle du peintre, peut-être la nôtre.

Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

William Turner.

« Les plages de Calais ».

Source Wikipédia.

   

   « Impression, soleil couchant ». Nous sommes sur cette plage de Calais que l’or illumine de son étonnant ruissellement. Nous sommes ces personnages penchés dans la cueillette d’eux-mêmes, nous sommes le ciel, son marécage traversé d’agitations colorées, ce frémissement du nuage gris, cette encre légère bleu-cendrée, ce mince fil d’horizon qui unit les mondes plutôt qu’il ne les divise, cette eau à la teinte de tournesol qui nage vers nous avec ce bruit de métal en fusion. Nous sommes tout cela ou bien nous ne sommes rien car, jamais, nous ne nous absentons du monde. Nous sommes le monde.

   Sentons-nous, au moins, cette lumière crépusculaire ?

Chacun à sa façon, Alain Beauvois avec sa belle photographie « divinement illuminée », Monet avec la vibration de sa peinture impressionniste, Turner avec le tremblement si caractéristique de son pinceau, tous nous disent la beauté du monde, tous nous invitent à la contemplation de cette lumière aurorale-crépusculaire par laquelle nous sommes au monde poétiquement, cette lumière qui se lève au bord de l’épiderme et fait ses efflorescences jusque dans cette « chair du milieu » dont nous sommes tissés mais que trop souvent nous oublions ! Nous voulons être cela. Que cela !

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17 avril 2024 3 17 /04 /avril /2024 07:48
Décision de Retrait

Photographie : Léa Ciari

 

***

 

   Partout, dans le vaste Monde, sont les éclats, les déflagrations de la lumière, les scènes où rutile la mesure largement ouverte des choses. Partout des spectacles, des étals et la luxuriance de leurs provendes multicolores, partout la scansion syncopée des barres de néons, partout les Carnavals, leur amusants déhanchements, partout les Fêtes Foraines, leurs étincelantes Montagnes Russes, le flamboiement de leurs Scenic Raylways. Partout l’exhibition des visages exigés par les étonnants « selfies », partout l’ostention des vêtures à la mode, les tréteaux constamment dressés de la Commedia Dell’arte, partout les proscéniums où parade la « multiple splendeur » des Acteurs et Actrices grimés, ils disparaissent à même la lourde pellicule de leurs fards. Eh bien oui, notre contemporaine Société ne se donne qu’à l’aune d’une constante représentation comme si, faire phénomène à partir de son simple et modeste Soi, devenait imposture, trahison, exposition impudique d’une naturalité n’appelant que dissimulation, abri dans quelque grotte prise de nuit. Nul, aujourd’hui, dans ses échanges, n’appelle de sincérité, d’authenticité, bien plutôt un vague facsimilé de ce que serait sa propre Vérité, si, par extraordinaire, traversant le derme du réel, elle figurait telle une eau de source limpide, translucide, ne nécessitant nulle herméneutique avant même d’être déchiffrée. L’Artificiel en lieu et place du Naturel. Mais nous avons déjà trop dit sur l’irrationnel de ce surgissement, mieux vaut fouler un sol de plus exacte texture, un sol de glaise et de limon, un sol originaire, lequel ne se dérobera nullement à l’exigence de notre regard.

   Ici, maintenant, nous voulons faire quelques remarques sur l’Art de Léa Ciari, dont chacun, chacune aura compris qu’il est l’exact inverse de ce qui a été évoqué plus haut. Une simple description phénoménologique de quelques unes de ses œuvres suffira à en établir la singularité en même temps que l’évident intérêt. Son travail multiforme nécessiterait de longs développements.  Ici, il ne s’agira que d’une synthèse, d’une approche dans ses grandes lignes. Parfois, le traitement de l’image est si réduit à l’essentiel, qu’il en résulte une manière d’abstraction. Or, selon nous, l’Abstraction est l’Art porté à sa plus haute manifestation.  Art de l’effleurement s’il en est, art de l’évocation, art du « peu et du rien », lequel se retourne en chiasme pour nous offrir la chair intime, vibrante, luxuriante de ce qui vient à nous sur le mode du retrait, qui n’est jamais que la trace d’une lumière ouvrante : celle de notre esprit au contact de la matière et, ici, nous en appellerons à l’excellente formule reverdienne « l’effervescent contact de l’esprit avec la réalité. » Cette expression tirée du « Gant de crin », prétend rendre compte des images poétiques, tels ces cristaux bourgeonnant au contact du réel. La formule n’est pas seulement belle, elle insiste élégamment sur ce point de rencontre invisible entre notre âme et la métaphore lorsque celle-ci, portée à sa plus haute incandescence, supprime l’intervalle entre le Sujet que nous sommes et l’Objet qui nous atteint en notre fond le plus réceptif. Il y a union, il y a fusion et c’est donc un geste de nature transcendante qui, nous arrachant à nous-mêmes, nous dépose là où le sens s’accomplit en son entièreté.

  

Décision de Retrait

Ces gris, d’Ardoise soutenu, de Souris presque inapparent, de Bitume à la limite, ces teintes donc constituent le fond doucement armorié sur lequel « Silhouette » se donne telle qu’en elle-même, offrande aussitôt nous dessaisissant du don qu’elle paraît nous attribuer, venue et migration vers un en-deçà de qui elle est, comme si, existante, elle ne pouvait l’être, nullement dans la captation, mais dans une manière de refuge en Soi, lequel est sa marque, son indéfectible sceau. Cette donation/retrait est d’une extrême efficacité sémantique. Appel qui s’éteint aussitôt dans d’énigmatiques volutes de cendre, la voix est devenue mince filet d’eau absorbé par les lèvres jointives du Néant. Nous sommes tenus en un étrange suspens, ne rêvant que d’ôter les voiles qui dissimulent « Silhouette », tout en nous retenant de le faire, conscients que nous sommes que le charme, aussitôt, s’éclipserait, que la nudité-vérité n’a nul droit de sourdre de son essence pour se donner comme existence. Il est des « choses » que l’on ne peut approcher que nuitamment, sur la pointe des pieds, se retenant de respirer, de parler, car toute effusion de Soi nuirait à la guise sauvegardante de l’apparaître. La palette des tons, extrêmement retenue, un Blanc à peine plus haut que les Gris ; la grande économie de moyens, juste une forme demeurant dans l’ébauche, l’esquisse, tout ceci détermine un lexique formel si restreint que notre regard de Voyeurs s’enclot nécessairement dans ces limites et tend à y demeurer car rien n’y fait obstacle, nulle couleur ne se lève à l’horizon, nul cri ne provient du long repos de la toile.

Décision de Retrait

   Et ce « Jeu de piste » pictural trouve son naturel prolongement dans l’œuvre suivante où le propos demeure humble, pudique, réservé dans ces teintes sépia, teintes du souvenir, de la douce réminiscence s’il en est, colorations proustiennes, manière de Combray photographique où se dessinent les entrelacs de personnages flous, peut-être même un peu falots, mais cette inconsistance, cet à peine achèvement contribuent à leur attribuer une grâce infinie, celle que l’on destine, habituellement, aux êtres de passage, aux êtres des lisières, aux êtres des seuils et des zones interlopes. Curieux, tout de même, cet Autoportrait qui, plutôt que de dire son nom, se cloître dans le silence ! Curieux qu’un Personnage autre que celui de l’Artiste fasse phénomène dans le reflet du miroir, genre de piste brouillée, d’énigme satisfaite de son verbe équivoque, un balbutiement à l’orée de l’heure ! S’affirmer tout en se dissimulant, voici qui « donne à penser », peut-être à penser plus grandement qu’à être confronté immédiatement à l’ordre des évidences.

Décision de Retrait

   Et cette posture quasiment amniotique, cette façon de se ressourcer à sa native origine, n’est-elle le processus par lequel, notre âme convoquée au paraître, fait écho avec ce temps primitif, archaïque, certes hors de portée mais qui hante les coursives de notre foncière inquiétude ? Ici encore le chromatisme est mince, de feuille morte à peine nervurée par les morsures du temps, un genre de longue éternité si l’on veut. Cette image est empreinte de tant de quiétude qu’elle nous invite, nous-mêmes à cette halte en Soi, à cette ferveur muette, à cette considération bienveillante qui, plutôt que d’être lustration de l’ego narcissique est retour vers des terres fondatrices se dissolvant dans la trame complexe des jours. L’on comprendra aisément que cette physionomie plastique, loin d’être attaque à la pointe sèche, agression au burin, morsure à l’acide, est entièrement dédiée au motif de la taille douce, là où les choses, laissées en repos, dévoilent leur être avec une pure générosité, une exacte simplicité.

Décision de Retrait

Et il nous faut en venir à cette merveilleuse image située à l’incipit de ces quelques mots. Cette chorégraphie saisie en plein vol, ce mouvement suspendu, ce flou subtil, ce geste équivoque qui disent une fois l’envol, une fois le repos, comment n’en pas sentir, à l’intérieur de Soi, la « lénifiante urgence ». Non, cet oxymore osé ne se donne nullement gratuitement, à la manière d’une représentation, d’une allégeance à quelque mode, il veut simplement exprimer, à l’aune de sa brusque césure, cette mi-distance qu’il installe en nous, du cri qui hurle à l’intérieur, du silence qui y fait suite. C’est toujours dans le suspens spatio-temporel que se donne, dans l’intervalle du Sujet à l’Objet, la dimension exacte du réel. En soi, le réel n’est ni généreux, ni privatif, ces prédicats, il ne les profère qu’à l’ombre portée de notre subjectivité qui colore les phénomènes selon l’obscurité ou la lumière, selon la grâce ou la défaveur, selon encore le beau ou le déplaisant. C’est peut-être dans la trêve, le répit, la pause, que notre esprit libre de soi se rapproche le plus de cette Vérité toujours en fuite dont on n’aperçoit guère, telle la queue de la comète, qu’un sillage se diluant dans la vastitude du ciel.

   Figeant qui-elle-est dans cette résine intemporelle, l’Artiste nous invite à la recevoir telle qu’elle souhaite figurer, dans cette indécision, ce doute de Soi configurateurs du destin. L’ambiguïté, la nébulosité, le sibyllin dessinent toujours la ligne flexueuse, insaisissable, de l’aura humaine. Postulant ceci, le jeu, l’intervalle, l’abîme, elle nous requiert en tant que Voyeurs décidant de notre volonté oculaire et, partant, de notre choix éthique. C’est Nous et seulement Nous qui sommes conviés à faire de l’œuvre ce qu’elle est en son essence, à savoir l’ouverture d’un pouvoir qui ne peut être que le nôtre car c’est bien l’entièreté de notre être qui est mobilisée en regard de l’énonciation esthétique. L’œuvre Nous fait, en même temps que Nous la faisons. C’est cette coalescence des puissances existentielles qui est belle à penser, laquelle désopercule, pour Nous, le champ total des possibles. Nul ne pourrait le refermer qu’au risque de Se perdre, de perdre l’Art lui-même à sa dimension de déploiement du Sens.

    Merci donc à Léa Ciari de tremper ainsi sa brosse dans cette profonde texture ontologique selon laquelle l’être n’apparaît jamais qu’à être provoqué, poussé dans ses derniers retranchements, occulté toujours, c’est bien là son aventure essentielle.

 

 

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14 avril 2024 7 14 /04 /avril /2024 08:36
Une bouteille à la mer

Source : Image du Net

 

***

 

Depuis mon pays de pierres blanches, ce Jeudi 11Avril

 

 

              Å toi qui vis si près des aurores boréales,

 

   Décidemment, Solveig, je ne te laisserai nul repos. Est-ce un effet de l’âge ? Une nouvelle manie qui s’installerait sournoisement ? Un subit pincement au cœur que, seule, tu serais en mesure d’apaiser ? Peu importe l’origine, l’essentiel, ce mince fil d’Ariane, cette buée invisible qui nous mettent en relation, à l’abri des regards du Monde. Je ne sais si l’idée que je vais maintenant t’exposer est née du hasard, si elle résulte de quelque songe nébuleux, si elle est simple réalisation d’un vœu d’enfance. C’est égal, rien ne me laissera en repos tant que je n’aurai résolu de donner corps à cette « bouteille à la mer », lui trouver forme et contenu. Tout comme moi, tu sais que de vivants archétypes, suspendus au-dessus de nos têtes, dictent les pas de notre destin à notre insu et ceci est précieux. En serait-on conscients et notre esprit, encombré de ces décisions de l’exister, ne ferait que s’égarer, divaguer, perdre la trace d’un chemin dont, depuis toujours, nous pensions que nous étions les seuls à en tracer le futur. Au regard de tout ceci, nous sommes bien peu de choses et, bien sûr, se pose à nouveaux frais la question de notre liberté. Mais cessons d’épiloguer. Notre cible est ailleurs qui attend dans l’impatience.

   Donc, cette antienne en tête, je n’ai eu de cesse, depuis que l’aube a pâli, de me mettre en quête de cette fameuse bouteille, afin que, lui correspondant enfin, quelque chose de concret, de palpable vînt se loger, tel l’iceberg, dans la partie émergée de mon imaginaire. Dans l’une de mes remises, éclairée par la lumière mesurée d’un clair-obscur, j’ai fini par deviner, à l’ombre de son faible éclat, cette présence qui n’attendait que d’être découverte. Saisissant la bouteille dont je n’avais plus nul souvenir, je sus immédiatement qu’elle était le site d’un événement rare puisque, aussi bien, je devais te la destiner selon un impératif auquel échapper aurait été simple forfaiture. Tu vois, mes décisions les plus ordinaires sont pesées au trébuchet de la raison et je crains bien que mes multiples préventions ne te laissent dans l’indécision de qui-je-suis. Toujours, pour l’Autre, nous sommes pur mystère, à commencer par nous-mêmes qui ne nous sondons qu’à demi, enveloppés que nous sommes dans une résille de ténèbres. Pour aujourd’hui, la tâche d’introspection demeurera sur le seuil d’une réponse.

   Dieu sait si le thème déjà très ancien de « la bouteille à la mer » a connu diverses fortunes, pas toujours des meilleures, il faut bien l’avouer. Dès qu’un concept, une notion, une image tombent « dans le domaine public », il y a fort à parier que leur sens soit non seulement euphémisé (ce serait là moindre mal), mais que la perversion, l’artifice aidant, il ne demeure de l’origine qu’un bien pâle reflet, sinon une farce digne de figurer sur la scène d’un comique troupier. Et figure-toi que j’ai bien failli me laisser prendre au jeu des contingences, aux miroitements de la mode, aux mille inventions dont notre société est prodigue pour nous métamorphoser en moutons de Panurge. Tourner cent fois son stylo dans sa main avent de poser, sur la page blanche, ces petits signes noirs qui nous possèdent plus que nous ne les possédons. Donc, en toute bonne foi, je m’apprêtais à jeter sur de petits morceaux de papier, quelques unes de mes affinités (qui sont aussi les tiennes), de mes inclinations d’âme (tu leur corresponds, le plus souvent), et, connaissant ton goût pour la géographie, je t’aurais invitée à voyager parmi les hauteurs de l’Altiplano andain, par exemple au-dessus du magique Salar d’Uyuni, posant, par l’imagination, la plante de tes pieds dans ces cellules géométriques qui le nervurent si élégamment. Invitée à voyager tout près du miroitement des rizières en terrasse du Sichuan, cette alliance parfaite de l’Homme et de la Nature. Invitée encore à voyager au milieu des hautes steppes mongoles, à croiser les Nomades dans leurs yourtes blanches, à traverser un troupeau de yacks hirsutes.

   Tout ceci, j’aurais pu t’en faire l’offrande, naviguant de concert avec toi, mais, prenant un peu de recul, je m’aperçois qu’ainsi je t’aurais placée, à ton corps défendant, dans ce fameux « village mondial » dont je sais qu’il te désespère, tout comme il me pose la plus urgente des questions : vers quels cieux obscurs, laineux, opaques, se dirige notre Humanité ? Existe-t-il encore une place pour la sincérité, la recherche de l’origine, existe-t-il, quelque part, une singularité qui n’ait été atteinte par ce déferlement médiatique qui moissonne les traditions, gomme les rituels, confond les langues, cloue au pilori les coutumes locales, condamne les langues vernaculaires à faire silence ? Existe-t-il, sur Terre, un sol qui ne soit défriché, une source intime à la pure beauté,  un sentier qui serpente parmi les frondaisons de chênes antiques et de pierres usées par le long polissage du temps ? Ceci, cette mémoire immémoriale, n’est-elle en voie de dissolution rapide, je t’interroge, Sol, connaissant par avance la sévérité de ta réponse : partout, l’Homme est responsable de ce qui lui arrive et sans doute me citerais-tu la belle assertion de Sartre :

 

« L’homme est condamné à être libre. »

 

Ici se pose, comme jamais, l’interrogation fondamentale :

 

 L’Être ou le Néant » ?

  

   Mais, je suis sûr que tu as repéré dans mes mots, la faille, la chute volontairement ouverte, la manière de gouffre vertigineux qui se creusent entre le nomadisme mondial et les ressources encore intactes d’un terroir pour qui sait le voir, pour qui s’y attache avec suffisamment d’attention. (J’allais dire : « de considération »). Ce que je veux t’offrir aujourd’hui, dans mon message « marin », n’est rien de moins que ce que je nommais plus haut sous la formule :

 

« les frondaisons de chênes antiques et

de pierres usées par le long polissage du temps ».

 

   Je te sais assez perspicace pour avoir repéré, dans mes propos, que les minces papillotes qui viendront à toi par bouteille interposée, ne parleront que de modestie, de retrait en quelque belle clairière, de hautes falaises blanches creusées de trous, de larges dépressions de dolines à la forme parfaite, d’aiguilles de genévriers contre lesquelles frotter la douceur de ses chevilles, de « cayrous », ces tas de pierre uniques en leur genre, ils portent encore la marque de ceux qui les ont façonnés. Oui, c’est ceci que j’ai à t’offrir, nullement l’espace d’une tablette ou abîmer tes yeux (au sens de l’abîme) et te perdre pour ne jamais te retrouver ; l’image, son continuel déferlement, sa déflagration insolente détruisent le merveilleux Langage, comme s’il n’était plus qu’une valeur de second rang à archiver dans les tiroirs poussiéreux de l’Histoire. Mais avancer dans cette aporie n’aurait pour immédiat effet que de nous désespérer davantage, nous pousser dans les derniers retranchements, là où plus rien ne serait touché par la lumière.

   Å partir d’ici, oubliant tous les dépliants touristiques, biffant toutes les Venise, les Florence, les Dubrovnik (ces pures merveilles !), empruntant des itinéraires solitaires, ces manières de neiges immaculées, nous orienterons notre regard commun en direction de ces riens si authentiques, de ces paysages modestes de chez moi qui, pour mon plus grand bonheur, demeurent encore des terres du lointain, des refuges discrets pour qui a le souci de découvrir, en son exacte dimension, le dissimulé, le voilé, ce qui, de soi se dérobe au regard des Curieux. Bien évidemment, tu auras reconnu sous ces quelques digressions, le visage du Quercy Blanc, ce territoire dont encore je puis dire qu’il est mien, que nous dialoguons, qu’un lien coule de source de lui à moi, que sa conformité à mon attente est sa pure vérité, autant que la mienne, il va de soi.

   Et maintenant, voici ce que j’imagine : matin de bonne heure. Tout est calme. Je quitte mon nid d’aigle. Å ma main droite, cette bouteille que je te destine. Elle contient, entre ses flancs fragiles, mille petits bouts de papier sur lesquels j’ai posé de modestes descriptions des lieux qui me sont familiers dont je voudrais, avec toi, partager l’intime bonheur. La combe est encore dans l’ombre, une ombre d’encre marine que ne dilue encore qu’une mince lueur venant d’un ciel diffus. Le Ruisseau des Hulottes brille à peine dans sa parure d’étain. Je franchis un petit pont (il pourrait figurer dans un album pour enfants), parmi quelques touffes de cresson, l’eau cascade sur des pierres et fait son ébruitement léger. C’est bien là la Nature qui me parle, m’interroge, me tient en suspens sur le bord d’un étonnement : comment mes Frères Humains peuvent-ils être insensibles à la diction de ce poème bucolique, lui qui ramène à une joyeuse Arcadie, à la laine bise de ses troupeaux de mouton, à ses vergers semés de pommes odorantes ? Je m’accroupis, dépose la bouteille maintenant traversée des reflets d’acier poli du ruisseau. Lentement, avec de jolis tressauts qui font penser à des frissons, la bouteille commence son long voyage. Ai-je alors un pincement au cœur ? Suis-je triste ou bien ravi que ma missive te parvienne au gré d’un impossible miracle, Toi-la-Lointaine dont l’image m’habite bien plus que tu ne pourrais le soupçonner ? Je ne sais. Sans doute ma missive de verre et de papier échouera-t-elle quelque part sur une plage de sable, non loin de chez moi. Tant pis, seul pour moi le symbole comptera.

   Bien des semaines, des mois et, peut-être des années plus tard. Tu as quitté ta Suède natale pour rejoindre les rivages de la Baltique afin d’y prendre un repos bien mérité, d’y écrire, d’y méditer longuement sur tes chers livres. Tu as loué un minuscule chalet de bois au toit de chaume gris, tu y accèdes au moyen d’une passerelle tortueuse qui s’avance dans le marais semé des tiges des quenouilles, du fouillis des alismas, de la prolifération des feuilles plissées et dentées des bouleaux blancs. Chaque jour qui passe te voit cheminer songeusement le long de ces hautes falaises blanches qui sont l’écho des miennes, ici, dans ce Quercy si singulier, si attachant. Le plus souvent, pieds nus dans l’eau mousseuse et froide, tu te baisses pour ramasser ces merveilleux galets gris poncés par l’eau, plus tard ils seront la mémoire du lieu. Un jour parmi d’autres (pour moi marqué d’une pierre blanche), parmi le peuple des galets, un éclat attire ton œil. Cet objet recouvert partiellement de minces algues, de mousse, tu l’identifies telle cette bouteille à la mer qui, au premier regard, t’apparaît comme une légende, un conte pour enfants, un divertissement pour doux Rêveurs.  Du plat de la main, tu lisses sa surface, le limon s’écarte, dans ses intervalles tu devines ces papillotes enroulées, attachés par un simple fil. Tu dois t’y prendre à deux ou trois reprises pour dévisser le bouchon durci par le sel. Å l’aide d’une tige échouée sur le rivage, tu entreprends d’extraire ces bouts de papier qui t’intriguent. Y reconnaîtras-tu mon écrire serrée, nerveuse, rapide (autrefois on la qualifiait « d’écriture de chat »), y devineras-tu cette mélancolie latente qui est ma marque, y repéreras-tu mes thèmes de prédilection ? ils sont quasiment obsessionnels.

   1° papillotte : la Blancheur torturée – Voici la Combe de Lizérac, une mince vallée s’ouvrant entre deux lèvres de calcaire, ces merveilleux « pechs », plateaux horizontaux que coiffe de sa teinte vert-de-gris, le peuple des chênes rouvres. Peu de Marcheurs ici, peu d’Amateurs de pur dépouillement et ceci en fait tout particulièrement le charme. Bientôt un étroit chemin serpente qui gagne le haut de la combe, puis le plateau. De chaque côté, des taillis de noisetiers aux tiges si droites, des alisiers avec leurs grappes de baies brun-rougeâtres prisées des passereaux, des aubépines qui éclatent de fleurs blanches au printemps. Les bois sont clairsemés en raison des pierres qui, partout, jonchent le sol. Å mi-distance du sommet, une sorte de clairière s’ouvre d’où l’on découvre un horizon certes restreint, une miniature, un résumé du Causse alentour. Le plus remarquable ici, ces chênes tors dont les branches dessinent dans l’air d’étonnantes arabesques, tantôt montant rapidement en direction du ciel, tantôt obliquant de façon fort étrange dans telle ou telle direction, menaçant parfois de devenir simples racines rejoignant le sol dont elles sont originairement issues. On a la soudaine impression d’avoir rejoint une lointaine période géologique, premiers remuements d’un végétal presque minéral, ayant du mal à s’extraire de sa gangue de pierre, si bien que, les observant, l’on hésite entre la turgescence de la stalagmite, la fossilisation du bois. Oui, c’est bien ceci qui vous saisit, cette impression antédiluvienne identique à un retour à l’Origine.

   2° papilloteBlancheur du chaotique. Le tour de Lanzac. Ici, peu connaissent ce que je me plais à nommer « le tour de Lanzac », un si simple et discret itinéraire parmi l’insignifiant et l’ôté à la vue. Tu sais, comme moi, Solveig, tout l’intérêt de ces lieux encore indéchiffrés, si proche d’une Nature sauvage, indemnes des longues caravanes des Pressés et des Curieux. Il faut emprunter un chemin creusant son tunnel parmi les frondaisons claires des arbres. Tout en haut, le paysage s’ouvre soudain et il faut porter les mains devant ses yeux pour ne risquer l’éblouissement. Une plantation de chênes verts se dresse au milieu d’un plateau uniquement minéral, sec, sans concession aucune à une mode qui serait « dans le vent ». Puis un sentier étroit pris entre deux hauts murets de pierres. Une dépression se creuse sur le flanc gauche qui recueille d’anciens ceps de vigne, des rouleaux de fil de fer rouillés, quelques vieilles bassines émaillées, écaillées en maints endroits.

   Puis, tout au bout du plateau, une manière de paysage minuscule, on pourrait l’enclore sous ces chromos d’autrefois, si touchants avec leur verre bombé, leur cadre doré et, partout, les reflets sur lesquels butent les yeux à la recherche d’un paradis perdu. Une cabane façonnée de gros moellons du Causse, elle sert d’abri à quelques outils agricoles. Combien de fois, Sol, bien des années en arrière, ai-je songé m’installer ici, avec mes livres et écrire à la faible lueur d’une fenêtre étroite, jetant parfois un œil rapide tout autour, dans ce qui me constitue et me fait avancer chaque jour un peu plus. Rêve d’enfant, certes, mais qui, aujourd’hui n’a nullement perdu de sa saveur. Sur la partie arrière, une mare ovale qui, invariablement, me fait penser à « La mare au Diable » de Georges Sand. Son fond est tapissé de larges dalles claires, son eau est translucide. Quelques plantes aquatiques y croissent et il n’est pas rare que des têtards en traversent la miniature, poussant de leur mince flagelle l’amusante boule ronde de leur tête.    

   Puis, à nouveau, un sentier qui amorce un virage en direction de la combe. Bientôt, il débouche sur un chaos de roches blanches au milieu desquelles quelques maigres genévriers affirment modestement leur droit à exister. Ici, tout est de calcaire et de géologie. Ici, le végétal n’a guère droit de cité et c’est quasiment un paysage lunaire qui se donne à voir avec ses cratères dentelés, ses crevasses et ses failles. Scène tout droit sortie d’une mémoire si ancienne, érodée en quelque sorte, témoignage des premiers soubresauts de la Terre, de ses premières convulsions dans les mystérieux fonds océaniques du Crétacé ou du Jurassique, il n’en demeure aujourd’hui qu’une immobile fossilisation du temps. Puis le tour de la découverte, puisqu’il y a tour, se termine dans le Hameau de Lanzac, quelques vieilles bâtisses qui se fondent, tout comme leurs rares Occupants, dans l’air gris du Causse.

   3° papilloteBlancheur à perte de vue – Les hauteurs du Pech Alabert – Å quelque distance de chez moi, mais tout se donne dans l’unité, la continuité, ce Pech qui, par sa position dominante, offre une vision totalement circulaire. Un peu à l’écart de la route, un chemin de poudre blanche perce sa voie parmi les éboulis de l’érosion. Le calcaire se délite, devient boue argileuse et des chaussures de randonnée sont conseillées. Au sommet d’une petite butte, quelques maigres arbres battus par le vent, ils sont identiques à des épouvantails. En direction du Sud, la vue est vite comblée, saturée de blancheur à l’infini. Ce ne sont que succession de pechs horizontaux entre lesquels s’érigent des collines, pour la plupart dénudées. C’est en automne que la vue se donne avec le plus de générosité, mais aussi d’exactitude. Il y a correspondance entre les teintes douces des chênes et le moutonnement opalin de la terre, elle qui hésite encore entre la texture dure du calcaire et la souplesse de la marne. Rares sont les terres cultivées, mais toujours dans le respect du lieu, les minces sillons font remonter l’esprit du sol et c’est un peu comme si un passé depuis longtemps oublié voulait manifester sa présence, faire phénomène sur le mode silencieux, pudique, délicat. On n’a de cesse de girer sur soi-même, d’apercevoir, au Nord, la brume blanchâtre des hameaux, à l’Est les larges entailles des carrières, à l’Ouest le quadrillage des vignes clairsemées, attentives à ne rien déranger. Là est le Causse dans toute sa dimension ouvrante. Le contraire d’un spectacle, l’opposé d’une exhibition, l’inverse d’une image d’une mode conformiste sans grande valeur.

   Oui, Solveig, tout comme chez toi, sur les bords immaculés du Lac Roxen, ici ce qui vient à Soi nécessite respect et recueillement. Tout est si net, entièrement déterminé par une conformité à une loi ancienne qui prescrit de ne nullement s’égarer dans des approximations, de demeurer en sa constance, d’adopter une immuable ligne de conduite, la seule capable de s’énoncer selon la belle exigence d’authenticité. Je sais que, dans ces mots, tu discerneras cette volonté de coïncider avec l’être des choses et, partant, avec Soi, dans la lumière droite d’une Idéalité sans concession. Oui, Sol, seul le regard droit, à l’abri de toute compromission, pourra nous remettre à notre tâche éminemment humaine : préserver la source, sa fraîcheur, sa clarté, sa blancheur, elles seules sont garantes de notre propre vérité, de notre accomplissement dans un futur qui, il faut le souhaiter, sera éclairé encore de quelque lueur d’espoir.

   Voilà ce que contient cette bouteille à la mer qui est venue s’échouer sur le rivage d’une Baltique certes hallucinée, mais si réelle au seul motif de ta présence.

 

Tu l’auras compris, la Blancheur est le signe singulier du Causse :

 

Blancheur torturée ,

Blancheur chaotique,

Blancheur à perte de vue,

 

   trois déclinaisons d’une source originaire qui fait résurgence parmi les chênes tors, près de la Cabane de pierres, à l’orée du vaste horizon du Pech. Seuls, nous les Humains sommes garants de ceci : entretenir la flamme, admettre sa vacillation, jamais son extinction.

 

De la blancheur de mon ciel à la diaphanéité du tien

 

Que longue soit notre route au sein de ces cairns levés vers l’Infini !

 

Celui que le hasard t’a destiné afin qu’un écho se rende visible.

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10 avril 2024 3 10 /04 /avril /2024 08:09
Ton écho en moi

Source : Image du Net

 

***

 

                                               Depuis les hauteurs de mon Causse, ce Samedi 6 Avril

 

 

                                    Ma chère Sol,

 

   Rien ne t’étonnera venant de ma lointaine fantaisie. Je ne sais plus quel est le jour dédié à ta fête, pas plus que la date de ton anniversaire ne s’est gravée dans ma mémoire. Pour autant, je ne suis nullement un être qui papillonne et oublie au fur et à mesure de son vol la corolle qu’il vient de quitter. C’est bien plutôt ce que je nomme « ma chrono-déficience » qui creuse en moi des avens sans fond, je suis toujours en décalage avec le temps, ne sachant jamais quel jour précède l’autre, quelle heure anticipe la suivante. Mais je ne parlerai plus longtemps de moi. J’ai eu, ce matin, en cette belle humeur printanière, le soudain désir de tracer ton portrait, cependant sans complaisance, une œuvre à la pointe sèche préférée au flou d’un pastel où à l’irisation d’un fin glacis. Å ma correspondance, je joins cette photographie d’une jolie femme agissant dans le milieu culturel suédois. Je la souhaite tel ton emblème, certes nullement présent, mais comme l’image de qui tu étais, il y a de ceci de très longues années, lors de notre rencontre dans ce merveilleux comté d’Östergötland qui fut témoin de notre amour passager, le temps de cette Midsommar qui, dans votre pays, désigne le Solstice d'été. Partout des feux brasillent qui montent jusqu’aux étoiles dans le ciel du Septentrion. Un éclair entre nous, de rapides étreintes puis le long fleuve du temps et l’âge qui, maintenant, creuse d’identiques sillons sur nos visages séparés par la distance et la longue cohorte des jours. La liaison qui s’en est suivie : cette correspondance assidue, quelques clichés et, surtout, les invisibles liens d’une affinité qui, jamais, ne s’est démentie.

   Certes il est difficile de parler de Soi et encore plus risqué de s’aventurer dans l’intimité de l’Autre car, en ce mystérieux endroit, se déclinent d’infinis hiéroglyphes semblables à ces palimpsestes usés qui nous racontent leur vie tout en en voilant la profonde substance, celle, précisément, dont nous voudrions atteindre la fluence, y puisant ces significations indispensables à une compréhension de ce qui ne nous est donné que sur le mode du retrait. Se contenter de cet effleurement est déjà beaucoup. Je vais donc avancer sur une fragilité de cristal, poser mon empreinte sur cette illisible soie si douce au toucher qu’on la penserait invention de notre imaginaire, fantaisie d’un simple rêve éveillé. Mais, plutôt que de me livrer à quelque pompeux dithyrambe, à une creuse flatterie, à une adulation un peu surfaite, je vais choisir de décrire l’une de tes journées, elle parlera, bien mieux que je ne pourrais le faire, de Celle-que-tu-es en ton fond, une personne estimable qui court en filigrane, le plus souvent, ombre invisible doublant chacun de mes pas sur les longs sentiers blancs de mes collines Quercynoises.

   Donc, voici le jour que j’offre à ta méditation. Aujourd’hui, Samedi, tu es au bord du Lac Roxen, cette sorte de mer intérieure sur laquelle se reflète le ciel couleur ardoise de ces hautes latitudes. Le jour est encore lent à se lever, il a peine à sortir de sa torpeur hivernale. Dans la petite pièce à vivre, le poêle ronronne doucement, lançant dans l’espace sa mince lueur boréale. Tu prends ton petit déjeuner, toujours frugal car tu as la délicatesse du colibri faisant son vol stationnaire devant la corolle emplie de nectar. Tu mâches silencieusement cette Pink Lady, cette pomme rouge acidulée, craquante, à l’arôme subtil. Chaque bouchée est un événement que tu relies à d’autres sensations du même genre, saveur d’un adagio, douce chair d’une œuvre Romantique, sensualité d’un nu à la Modigliani. Tu sais, ces fameuses « correspondances » dont parlait Baudelaire dans « Les Fleurs du mal » : 

 

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent »

 

   Oui, c’est bien ceci, tu es une hyperesthésique, chaque stimulus résonne longuement en toi, un peu comme le feraient de lentes gouttes d’eau s’écoulant dans la gorge d’un puits, semant leur clair écho sur la lentille d’eau pareille à un métal luisant. C’est pur bonheur pour toi, de te sentir en harmonie avec le Vaste Monde, avec ses rythmes, ses balancements, ses étranges messages que perçoivent, comme toi, les Poètes, les Rêveurs, les Magiciens, les Saltimbanques, les Faiseurs de miracles. Sur la surface ovale de ton krisproll, tu étends une mince couche de lingonsylt, cette confiture d’airelles dont la teinte est à mi-distance du Vermeil, du Rosso Corsa, comme un éclat solaire à la pointe de l’heure. C’est tout de même étonnant, cette attention que tu portes à la polychromie, aimant aussi bien les couleurs d’argile de la terre que celle limpide du ciel, que celle invisible de l’air, que celle, passionnée du feu. Tu es au centre exact de l’élémental, pareille à la feuille portée par le vent, au nuage bercé par les doux alizés. C’est heureux d’avoir une telle nature, Sol, et, souvent, je dois avouer que j’envie ta naturelle inclination à te laisser féconder par tout ce qui fait sens pour toi.

   Puis, ton petit déjeuner pris, rien ne vient te distraire de cette longue promenade matinale qui se signale comme lueur aurorale, origine sans fondement, mais ouverture, ô combien, à la pure oblativité du jour. Oui, Solveig, le jour est une offrande pour qui sait en saisir la matière si translucide, à peine le voile d’une buée sur l’étroite géographie d’une vitre. Tu longes les berges du Lac Roxen, tout comme un enfant le ferait, suivant le sillage d’un papillon d’argent. L’air est encore un peu vif, il commence à se défroisser à la manière d’une tulle tout juste sortie d’un coffre. Tu respires lentement, longuement et ce sont tous les effluves, toutes les fragrances des bois et de l’eau qui se mettent à couler en toi, merveilleuse source dépliant les harmoniques subtils de l’existence.

   Å l’endroit où le Roxen amorce une courbe, tu fais une pause, c’est l’un de tes lieux favoris. Ta manière d’être, le plus souvent, se calque sur le motif des affinités : ceci te plaît, tu l’accueilles en toi ; cela t’indiffère, tu n’y prêtes guère attention. Oui, je crois que cette manière intuitive de considérer le réel est la bonne. Å quoi te servirait donc de t’encombrer de choses qui, pour toi, sont sans importance ? Déjà ménager une place pour la joie est une tâche qui se suffit à elle-même, qui occupe l’esprit jusqu’à le combler entièrement. Les arbres sont tes amis, tous les arbres et singulièrement ceux qui croissent ici, qui sont comme tes répondants. Tu aimes les épinettes, leur écorce brun rougeâtre qui, prenant de l’âge, deviennent grises, on dirait de la cendre. Tu aimes leurs aiguilles ébouriffées, et surtout leurs grappes de cônes à la belle couleur entre Ocre et Feuille morte. Tu aimes les hauts fûts des pins sylvestres, leurs frondaisons d’aiguilles balaient le ciel sous la poussée d’un léger zéphyr. Tu aimes le peuple des bouleaux pubescents, leurs dentelles de feuilles, la pure blancheur de leur écorce, comme s’ils étaient des arbres originels ayant survécu aux atteintes mortelles du temps. Il n’est pas rare, qu’au hasard des rencontres, tu ne cueilles une mousse étoilée, un lichen vert-de-gris, un fragment de branche que tu disposeras sur la tablette de ta cheminée, ils seront les témoins discrets de tes plus intimes émotions. Le plus souvent, lorsqu’un ris de vent ride la surface du Lac, te déchaussant, tu prends plaisir à tremper tes pieds dans l’eau froide, une longue théorie de bulles claires vient y dessiner le bonheur des félicités simples, immédiates. D’autres fois, plus rares, davantage marquées au sceau de la chance, il t’arrive d’apercevoir, fuyant parmi les taillis, le pelage clair d’un élan ou bien la toison grise d’un renne au sortir de l’hiver. Ces empreintes sont inoubliables, tu en cultives la rareté au sein de tes digressions songeuses, lesquelles, parfois, poussent leurs longs tentacules au sein de tes nuits, les illuminant de ces étranges et rapides apparitions.

   Ton chemin du retour, pur inventaire de celui de l’aller, est pareil au redoublement d’une félicité. Heureuse nature qu’un rien confirme en son être, que le vol d’un oiseau dans le gris du ciel saisit jusqu’au plus profond de l’âme. Aussitôt rentrée, tu attises les braises, le froid est encore vif ici et il n’est pas rare que le givre ne dessine sur les carreaux les parures du frimas, les belles dentelles de Noël. Ton déjeuner, réplique du repas matinal, est le plus sobre qui se puisse imaginer. Une salade composée de ton invention, quelques morceaux de fromage (parfois les accompagnes-tu d’un petit verre de vin rouge), et toujours, au dessert, ces pommes royales, quelques noix, une tablette de chocolat noir. Ces minces provendes suffisent à ton bonheur. Puis tu t’assieds sur une simple chaise de paille devant ton chalet de bois rouge. Rien, cependant, qui soit extraordinaire. Juste un repos, un calme, une paix. Tu laisses longuement errer ta vue au-dessus du Roxen. Le ciel est lisse, sans une ride, sans un nuage. Un ciel libre de soi tel que tu les aimes. Les nuages, les beaux nuages ne te dérangent pas, ils festonnent l’espace, ils dessinent des formes humaines, animales, fantastiques. Mais eux décident pour toi et, en quelque manière, t’imposent leur fantasmagorie, leur illusion, un genre de mystification. Å ceci tu préfères le libre mouvement de ton esprit, tantôt attentif à une émotion ancienne, tantôt captif d’une idée surgissant à l’instant, tantôt encore brodant en arrière de la falaise du front quelque poème, anticipant une peinture, hallucinant une prochaine lecture.

   Puis, lorsque le mince fil de l’horizon, la surface étale de l’eau, les roseaux du Lac, l’imagerie mentale commencent à tarir, tu rentres dans ton logis, il est ce creux douillet qui te réconforte, en lequel tu trouves ton plus bel accomplissement. Parmi les ouvrages sous lesquels croulent tes étagères, d’une main sûre et habile, tu portes ton choix, parfois sinon souvent, sur ce volume déjà ancien dont il me plaît, au motif de ton seul plaisir, de réaliser un rapide inventaire. Voici : la couverture est de maroquin fauve, nervurée. La lumière y dépose cette caresse, cette douceur dont seule une bibliothèque a le secret. Pages de garde en papier marbré à la belle teinte Terre de Sienne avec des filets minces, bleu Acier, de minuscules bulles piquetées de noir en leur centre. En haut, à gauche, une petite étiquette ovale porte la mention :

 

 Librairie, Reliure

OUVRARD

Fontenay-le-Comte.

 

Page d’avant-texte :

 

OBERMANN,

PAR DE SENANCOUR

Nouvelle édition, Revue et corrigée

Avec une préface

Par GEORGES SAND

PARIS,

Charpentier, Libraire-Éditeur,

29, Rue de Seine

 

***

 

1840.

 

 

    Tu passes longuement tes doigts sur la peau de la couverture, tu feuilletes les premières pages avec gourmandise, tu aimes ce papier ancien qui chante sous l’affectueuse pression, tu supputes que s’il brûlait (cruel autodafé !), il dégagerait cette odeur singulière du Papier d’Arménie, benjoin et vanille mêlés. En toi, au point le plus précis de tes motivations, brûle une sorte de phosphore au sein duquel (vertige infini !), les incunables précieux, mais aussi « les gros bouquins », les modestes « Livres de Poche », les tout petits formats (camées pour l’esprit), tout ce qui, de près ou de loin a rapport avec l’imprimé, les feuillets in-quarto, les facsimilés de brouillons d’Écrivains, les dessins au café de Victor Hugo (cet intarissable Génie !), tout ce en quoi se reflète le Livre te chamboule plus qu’il n’est de raison.  C’est comme une religion avec ses rituels, ses chrêmes, ses sacristies en clair-obscur, ses tabernacles où règne le plus délicieux des soupçons : cette pure joie durera-t-elle au moins le temps que tu vivras ? Il y a tant de danger aujourd’hui que ces immenses motifs de satisfaction ne connaissent leur fin proche. Ce serait comme de mettre le feu aux bibliothèques, de détruire les tablettes mésopotamiennes, de faire s’écrouler le prodige de la Tour de Babel.

   Mais voici que d’une façon sûre, dictée par quelque instinct mystérieux, la pulpe de tes doigts tressaillant au contact du Vergé, tu fasses paraître ce qui, en réalité te ressemble, ces quelques sublimes phrases qui sont l’écho de qui-tu-es, indivisible, foncièrement déterminée par tes choix, une personne rare si ta modestie accepte ce compliment. En lecture intérieure, voici ce qui illumine la clairière de ta tête, te porte en avant de ton propre mystère :

 

 

LETTRE XXIV.

 

                                                                                         Fontainebleau, 28 octobre, II.

 

  

    « Lorsque les frimas s’éloignent, je m’en aperçois à peine : le printemps passe, et ne m’a pas attaché ; l’été passe, je ne le regrette point. Mais je me plais à marcher sur les feuilles tombées, aux derniers beaux jours, dans la forêt dépouillée.

 

[…]

  

   Le printemps est plus beau dans la nature ; mais l’homme a tellement fait, que l’automne est plus doux. La verdure qui naît, l’oiseau qui chante, la fleur qui s’ouvre ; et ce feu qui revient affermir la vie, ces ombrages qui protègent d’obscurs asiles ; et ces herbes fécondes, ces fruits sans culture, ces nuits faciles qui permettent l’indépendance ! Saison du bonheur ! je vous redoute trop dans mon ardente inquiétude. Je trouve plus de repos vers le soir de l’année : la saison où tout paraît finir est la seule où je dorme en paix sur la terre de l’homme. »

 

   Ton amour immodéré des « feuilles tombées » (qui en étonne plus d’un !), ton attrait pour la « forêt dépouillée », ne riment-ils avec ton goût pour la simplicité, le dénuement, la presque pauvreté ? « L’automne est plus doux », oui, tu en éprouves, avec un certain frémissement, la belle couleur de rouille, la discrétion de l’aube, la pente du crépuscule dans ces teintes de cuivre qui te ravissent, elles constituent les prémisses de « ces nuits faciles » qui sont le contrepoint de ta naturelle inquiétude. Et puis, la « verdure », « l’oiseau », « la fleur », « le feu », ne s’agit-il là des orients que tu convoques afin d’avancer dans cette existence parfois si opaque, si ténébreuse ? « Les obscurs asiles » que Senancour fait paraître sous la figure contrastée de l’oxymore, ne préfigurent-ils la pente de ton être à ne vivre qu’au rythme singulier de cette dialectique (une fois Jour, une fois Nuit ; une fois Lumière, une fois Ombre), dont tu penses qu’elle est la scansion même de ton intime temporalité ? Oh, tu sais, mais ce ne sera qu’un demi-aveu, tant ta perspicacité est évidente, nous sommes deux natures qui confluent et tout ce que tu vis à des lieues d’infinie distance, j’en ressens la nécessité intérieure : ton écho en moi !

   Ainsi passe ta journée, à la lisière de la littérature, cette littérature française que tu as enseignée à des générations d’Étudiants et d’Étudiantes, elle coule en toi, elle fait ses étranges clignotements, ses résurgences partout où une phrase, un poème peuvent rencontrer tes émotions face à un paysage, dans la rencontre fortuite d’un animal sauvage, dans ce rayon de soleil pareil à un miel qui vient frapper la pellicule de ta rétine. Je crois vraiment que je t’envie, tout à ton contact paraît si facile, comme si les choses, depuis longtemps retenues, n’attendaient qu’un battement de tes cils pour surgir et faire sens. Oui, tu es attente, puis approbation du Monde qui vient à toi sans quelque calcul préalable qui en altérerait la vérité. Alors que dire de plus, alors que, tout près de chez moi, les bourgeons s’impatientent d’éclore, que mille sentiers blancs attendent le passage du renard, que le cœur des pierres se réchauffe lentement ; que dire qui ne serait simple répétition puisque les jours succédant aux jours, les heures et minutes égrenant leur chapelet dans une manière de monotonie, rien ne saurait se donner que sur le mode d’un « éternel retour » ?

   Vois-tu, je suis à court d’idées pour brosser ton portrait plus avant. Pour autant, il m’est facile d’envisager la suite de ta journée :  un repas du soir en tête à tête avec un feu de cheminée et ton regard se perd dans ses étincelles, cependant nulle mélancolie dans cette solitude. Je te devine attentive au moindre bruit, au passage d’un animal en maraude, au glissement du vent le long des planches de ton chalet, aux craquements de ton logis qui, comme toi, est vivant. Comme moi tu crois à l’âme des choses, à leur libre disposition à être selon leur « bon vouloir », cette façon de penser oblige l’orgueil humain à faire amende honorable. Maintenant la nuit est installée, clouée aux rives du Lac. Tu perçois ses clapotis, ses flux et reflux, peut-être même, depuis ta fenêtre, observes-tu son miroir étincelant que lustre une Lune gibbeuse. Depuis mon Causse, je m’immisce en tes rêves, j’en sens l’unique et belle faveur. Je suis un songe qui ne songe qu’à toi.

 

Celui du Sud se confondant avec Celle du Nord

 

Avec le pur bonheur de la réminiscence

  

 

 

 

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5 avril 2024 5 05 /04 /avril /2024 07:55
Adieu Tristesse

Source : Image du Net

 

***

 

                          

                        Depuis mon Causse en ce 4 Avril

 

 

                                                                           Å toi, ma Grande du Nord,

 

 

   Ce matin, ouvrant toute grande la porte qui donne sur mon jardin, quelle surprise de te voir, là, souriante, tenant en tes mains, telle une offrande, cette belle photographie qui m’était destinée dont je vais tâcher de faire quelque commentaire. Mais, plutôt que d’aller plus avant dans mon écriture, tu l’auras compris, c’est uniquement la matière d’un songe dont j’ai pu étreindre les voiles de soie. Alors s’ouvre à moi le jeu infini des questions : le songe a-t-il autant de valeur que le réel ? Que puis-je en faire qui ne soit pure gratuité ? Å quoi le relier de tangible, à un autre songe, à une rêverie éveillée, à un fantasme qui habiteraient les coursives de ma mémoire ? Mais tu comprendras que mes interrogations sont inutiles, mes hypothèses gratuites, mon imaginaire trop fertile qui s’emballe tel l’alezan au galop. Peu importe, il suffit que le rêve t’ait amenée jusqu’ici, Toi la Lointaine, plus de 2000 kilomètres nous séparent, cependant la pensée nous réunit bien mieux que ne l’auraient jamais fait une proximité et des rencontres s’usant en raison du simple jeu existentiel.

   Je ressens aisément ce que, pour toi, doit être cette sortie du long hiver boréal. En mars, chez toi, le soleil ne te visite pas plus de cinq heures par jour, les températures sont négatives et la nuit tombe très tôt. Ici, dans le sud de la France, le climat est moins rigoureux, les journées plus longues, la lumière plus présente. Alors, vois-tu, je me pose une question sans doute naïve : est-on plus tristes en Suède, dans ce beau comté d’Östergötland qu’ici, dans ce Quercy Blanc où, depuis des lustres je regarde le moutonnement monotone des collines de calcaire, les amas de cayrous, ces tas de pierres grises parcourus des ombres lentes des nuages ? La mélancolie est-elle liée au manque de clarté, à la latitude, à la nature des paysages ? Le chagrin s’ordonne-t-il à la couleur d’une culture ?  L’ennui résulte-t-il de gestes du quotidien toujours répétés, dont le rythme est propice à instiller ce vague à l’âme que l’on attribue souvent au Peuple Slave ? Il paraît que, chez ce dernier, la consommation de miel est un « baume au cœur » qui l’a toujours consolé de son inclination au spleen. Mais, sans doute, ne suis-je à la recherche d’une raison, d’une explication de l’angoisse fondamentale humaine qu’à mieux m’exonérer des troubles subits qui, d’un jour à l’autre, pourraient m’assaillir et métamorphoser mon Causse Blanc en Causse Gris, cette teinte indéfinissable, identique à celle que l’on trouve dans les plaintes d’un adagio.

   Peut-être vaut-il mieux, ma presque Lapone, que je brosse un rapide portrait de mes jours ordinaires, lesquels, comme les tiens je présume, ne sont qu’une suite d’étonnants clignotements : un jour lumineux engendrant à sa suite un jour ombreux où les silhouettes se confondent et se croisent sans même se reconnaître. Y a-t-il là lieu à la perte d’une mesure strictement humaine et alors, courbant l’échine contre le vent, protégeant nos yeux de la pluie, nous prendrions l’allure de l’hyène à l’échine basse, du chardon battu par les vents dont la tête ébouriffée menace de se confondre avec le sol de boue ? Tu vois, il existe nombre de motifs d’inquiétude et c’est presque miracle que nous nous en échappions, que nous ressortions indemnes de notre aventure parmi les égarements flous des heures et le trille infini des secondes.

   Mais je te raconte mes pérégrinations des jours derniers. Je me déplace peu mais, parfois, sous l’heureuse poussée de quelque nostalgie (bien évidemment elle a à voir avec la tristesse), je prends ma voiture et flâne de longues heures sur des routes de moindre importance.  Aux routes des vallées, impersonnelles et agitées, je préfère les routes des plateaux, plus calmes, là où la vue découvre de larges horizons. Donc me voici au présent. Avril vient tout juste d’éclore et après une éternité de jours de pluie, une soudaine chaleur a fait éclore les bourgeons. les haies sont piquetées de mille fleurs blanches, les tulipiers sont à la fête, inondés qu’ils sont de corolles roses et rouges, les genêts éclairent de leur jaune solaire les clairières et les sous-bois. J’ai partiellement descendu les vitres et c’est un air tiède qui me visite, fardé des fragrances du jour. Tu sais, cela fait un bien fou de sortir de sa chrysalide hivernale, de soudain devenir cet imago ivre de lumière, bourdonnant de joie intérieure et c’est une âme d’enfant qui fait sa douce résurgence et ce sont les essaims de projets qui sillonnent les allées de cendre du cerveau. C’est un peu comme si, sortant de lourds sentiers de glaise, c’était le sable léger des dunes qui faisait à vos pieds des sandales d’Hermès et il vous semble pouvoir entreprendre, dans l’instant, de longs périples hauturiers semblant n’avoir nulle fin.

   Je remonte la Vallée du Lot, cette étroite gorge encadrée de hautes falaises couleur de pain. Peu de monde en cette avant-saison. Quelques Cyclistes en maraude, parfois un antique tracteur et les villages que je traverse ne sont habités que de brumes légères. Å ma droite, tout en haut de son éperon rocheux, Saint-Cirq-Lapopie et son église identique à un Guetteur surveillant la vallée, ses maisons médiévales qui escaladent la pente et, tout autour, cette forêt de chênes pubescents qui fait comme un écrin. Je passe seulement et ne fait aucunement halte. En haute saison, ce village est envahi de Touristes et, de chaque côté de la rue, des échoppes de terres cuites, de savons odorants, de sacs de cuir, de miniatures censées représenter « l’âme du lieu ». Å cette vitrine trop bien organisée, à cette touchante image d’Épinal, je préfère la rusticité, la simplicité de Cajarc, son air « bonhomme » si tu préfères, la circularité de son plan, ses grappes de maisons serrées autour de la minuscule place, son « Boulevard du Tour de Ville » planté de luxuriants platanes, ses impasses où vieillissent, en toute tranquillité, des pierres sans âge. Maintenant je flâne longuement dans ces rues qui me sont familières et, tu le supputeras, Sol, je ne suis nullement triste mais bien plutôt rempli d’un sentiment de complétude comme si chaque moellon de pierre grise participait à bâtir qui-je-suis, ici, au centre même d’une pure joie. Je regarde quelques œuvres exposées dans la vitrine de la Galerie « l’Arcadie », créations d’Artistes locaux qui cherchent leur public, ici sur cette Place de l’Église si modeste. Puis, invariablement, je dirige mes pas vers la Maison des Arts Georges Pompidou. Je suis un familier des lieux. Je me souviens y avoir vu, au titre d’une exposition hors les murs (le Centre Pompidou à Beaubourg était fermé pour de longs travaux de restauration autour des années 2000), y avoir vu donc de très nombreuses œuvres de Pierre Alechinsky, ce « rescapé » du Mouvement Cobra qui verra sa consécration s’affirmer au fil des ans pour devenir pure célébrité.

   Cajarc, Terre des Arts ? me demanderas-tu avec raison. Oui, terre des Arts et de la Culture puisque c’est vers la Littérature que je veux t’entraîner maintenant en évoquant la haute figure de Françoise Sagan, née Quoirez, ici, le 21 juin 1935, qui connaîtra un succès fulgurant dès son premier livre publié, elle n’avait que 18 ans alors. Nous voici donc au cœur du sujet avec ce « Bonjour tristesse » qui fit, dans le ciel de l’écriture, comme une large déchirure, un coup de tonnerre si tu préfères. Quant au pseudonyme « Sagan », il fait signe en direction de la Princesse de Sagan dans « La recherche du temps perdu », c’est dire la hauteur, à la fois de la référence proustienne, à la fois le niveau de revendication littéraire de Françoise. Mais, plutôt que d’épiloguer longuement sur cette étonnante biographie et te sachant férue de cette belle Littérature française que tu as enseignée en son temps en Suède, je ne ferai que citer le début plus que prometteur de cet ovni traversant le ciel des années cinquante :

  

    « Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. »

  

   Nul besoin d’entrer plus avant dans la lecture pour reconnaître cette pâte d’écrivain au titre duquel beaucoup prétendent sans toujours pouvoir y parvenir. Alors, que me reste-t-il maintenant, sinon de méditer un peu sur cette manière d’être qui varie du chagrin au souci en passant par les écorchures de l’amertume ? Je sais que tu consonneras avec moi, une connaissance de longue date m’ayant livré ton être bien plus, peut-être, qu’il ne s’est dévoilé à Toi-la-Nordique. C’est tout de même curieux, parfois l’on rejoint l’Autre bien mieux que soi-même, on en fait le tour, on l’examine à la loupe, le Soi propre est trop près, trop nébuleux pour que, se penchant dessus, l’on puisse en déchiffrer la sombre énigme. Mais je reprends, le corpus saganien, cette belle phrase qui me semble contenir l’entièreté de ce qu’est la tristesse en son essence :

 

   « Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. »

 

   Oui, Sagan était séparée des Autres, sans doute par son génie littéraire, sans doute en raison de sa personnalité hautement subversive. Je crois, en effet que ce sentiment flou est de nature impressionniste, une manière de pointillisme à la Seurat, on regarde la tableau, fascinés, on en devine l’inouïe fluence (« comme une soie énervante et douce »), et l’on reste en-deçà d’une compréhension de ce qui est exposé à nos yeux, qui, toujours, se refuse à dire son être. C’est cette irisation, cette diffusion de la tristesse, cette aura qui détoure le corps qui la rendent si attirante (Sagan parle de « douceur »), la tristesse, si insaisissable aussi. Tout comme moi, tu le sais, un sentiment n’est profond qu’à n’être jamais défloré, seulement effleuré, comme si l’on voulait cueillir un pollen sans altérer, pervertir la corolle de la fleur, en évoquer la singularité.

   C’est tout ceci que semble nous dire cette photographie que tu as posée au creux de mon rêve. Elle, Songeuse, se détache sur ce fond de mer qui paraît éloigné, inaccessible. La cascade de cheveux auburn semble nous dire le désarroi « léger » qui l’affecte, plus qu’une affliction superficielle, moins qu’un tourment plus violent qui l’habiteraient. Le visage est de pure grâce, tissé de rose-thé, pareil à la suavité d’un céladon sous l’affect d’une poussée de lumière grise, un reflet de galet si tu vois ce frôlement que j’évoque, cette légèreté que je convoque afin que, devant nous, s’écartent les voiles noirs d’une angoisse constitutive de l’être. Dire la tristesse ne se peut qu’en délicatesse, en finesse, un vol de colibri face à la fleur qui l’attire et, parfois, le désespère de ne pouvoir cueillir la promesse entière de ce nectar qui l’éblouit. Et ce bras droit sur lequel la tête repose comme en un berceau, il ne faut nullement l’interpréter tel un lourd fardeau qui accablerait Celle-qui-médite. Non, ce geste est simple recueillement sur Soi, repliement sur cette tristesse que l’on veut à Soi, rien que pour Soi. Comprends-tu, ma chère Solveig (toi dont le prénom signifie « Chemin de soleil), combien mon approche de ce sentiment tout intérieur s’accomplit à l’ombre douce d’un genre de félicité. Oui, je crois que les personnages de Sagan, à l’instar de Sagan elle-même, en écho à nos propres inclinations à une façon de désenchantement, tout ceci constitue le sol, le fondement sur lesquels bâtir une « réenchantement du Monde ». Oui, nous avons besoin de porter devant nos yeux cette féerie, de la faire se cristalliser au plein de notre chair, de ne nullement dissocier notre bonheur de cet étonnant vague à l’âme qui en est le subtil écho. Pierre Corneille ne faisait-il dire au Vieil Horace, dans la pièce éponyme :

 

« Nos plaisirs les plus doux ne vont point sans tristesse »

 

   Bien évidemment, Sol, je n’aurai l’impudence de rejouter aux propos de Corneille. Je terminerai ma missive sur un écho que j’ai donné au titre de ma lettre « Adieu Tristesse », n’oubliant cependant d’en convoquer la douceur de « soie » lorsque, en ces temps troublés par une violence endémique, seule cette tristesse bien comprise paraît constituer l’antidote naturel de tous les débordements, de tous les excès.

 

        Je t’embrasse donc avec toute la tristesse requise, quelque part elle est joie pour ceux et celles qui savent lire au travers. Au travers de cette réalité têtue qui s’obstine à réitérer en permanence ces apories qui nous condamnent à périr.

 

Ton impénitent diariste

 

  

 

 

 

 

 

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30 mars 2024 6 30 /03 /mars /2024 08:39
Don et contre-don

Source : Image du Net

 

***

 

Ce texte est dédié à Nathalie Gauvin

 en remerciement de qui elle est

 

*

 

   Ce texte, intitulé « Don et contre-don » reprend, dans ses grandes lignes, le concept initié par l’Anthropologue Marcel Maus, concept selon lequel ces deux notions s’articulent « autour de la triple obligation de « donner-recevoir-rendre », forme de contrat social basé sur la réciprocité et créant un état de dépendance qui autorise la recréation permanente du lien social », d’après la définition qu’en donne Wikipédia. Oui, ceci est une nécessité à la fois morale et logique dont, aujourd’hui, il semble qu’on ait oublié les prémisses au motif qu’une existence pressée, polychrome, polymorphe, dissout l’idée même de remerciement ou d’accusé de réception des faveurs que vous adressent l’Ami, le Frère, mais aussi bien « l’Inconnu » croisé au hasard des rencontres sur les Réseaux dits « sociaux » qui, en réalité, ont bien plus l’allure du réseau opaque que de l’obligation relationnelle, ouverte, que suppose tout échange avec quelque Existant ou Existante que ce soit.

  

   Certes, Facebook et autres « salons » contemporains sont des espaces où l’on picore, où l’on butine, sans autre conséquence que ce vol de surface qui a la consistance d’une fumée vite dissipée dans le ciel des affairements et diverses occupations. Dit d’une manière kundérienne, « l’insoutenable légèreté de l’être ». Cependant, lorsque des affinités se nouent, que des amitiés naissent, que des centres d’intérêts communs se manifestent, il arrive parfois, mais de manière très rare, qu’un vrai contact s’établisse tout comme il se donne dans la « vie ordinaire », autrement dit, il s’agit du passage du virtuel au réel avec tout ce que comporte, comme profonde signification, la rencontre de deux individualités dont rien ne disait le possible lien.

   Il y a quelques années de cela, j’ai eu l’occasion d’accueillir chez moi, ce grand Artiste suisse M.D. (ma naturelle pudeur taira ici les noms de ceux ou de celles qui seront cités, ils ou elles se reconnaîtront), au cours d’un séjour inoubliable, riche de spéculations convergentes.

 

Don : j’avais écrit de très nombreux articles sur l’œuvre de M.D.

Contre-Don : M.D. m’offrait un bronze qu’il avait réalisé quelques années auparavant.

 

   Voilà, je crois qu’il n’est guère utile d’insister plus avant sur la richesse d’un tel événement. Et ce que j’écris là, concernant le don s’est réalisé à de nombreuses reprises avec différents Artistes que je remercie ici en pensée. Il va de soi que les actuelles remarques ne sont nullement la quête de « cadeaux » en échange de ma prose. Seulement un souci de précision.

   Mais, avant d’en venir au sujet précis de ce texte (à savoir le beau retour de Nathalie Gauvin sur l’un de mes écrits), je souhaite encore apporter quelques témoignages des belles rencontres que j’ai faites sur le Réseau Social, dans la perspective du don et du contre-don. Beaucoup se plaignent, selon la couleur de leur tempérament, parfois avec vigueur, parfois se retirant dans un long silence, de l’absence de contre-don, d’une nullité de retour à la suite de leurs publications, toutes les tentatives de figurer autrement que dans un lourd anonymat se soldant par une sorte de versement dans un tonneau des Danaïdes, dont chacun sait que, n’ayant nul fond, il ne saurait retenir le breuvage qu’on lui destine, fût-il un cru rare.

  

   J’avais également écrit de nombreux articles sur les photographies d’un Artiste professionnel de grand talent, G.M., lequel nous livrait avec enthousiasme, sur le thème de l’Arbre, des clichés d’une grande beauté réalisés avec du matériel d’exception. Selon le concept spinoziste, il a cherché courageusement à « persister dans son être », mais devant la triste réalité (de vulgaires selfies, témoignages s’il en est, le plus souvent, d’une démesure impudique de l’ego) obtenaient bien plus de « J’aime » (mais quelle est leur valeur réelle ?) que ses travaux réalisés avec un souci extrême. Il a fini par « jeter l’éponge », seule cette formule contingente convient. Plusieurs fois il s’était ouvert, par message privé, de cette immense déception qui était la sienne. Å dire vrai, le réel nous livre bien plus de Cigales rêveuses que de Fourmis affairées, ceci semble inscrit dans le derme même de la condition humaine. « Tristes tropiques » eût dit en son temps le très avisé Claude Lévi-Strauss.

  

   Et, ici, comment ne pas citer le merveilleux travail de M.P.F, sur ses auteurs élus, dans des ouvrages d’une fort belle tenue ? Mais je laisse la parole à ses commentateurs :

   « M.P.F.  parachève une trilogie intime sous le titre amusé et tendre de Rousseau, un ours dans le salon des Lumières. Rousseau, en écrivain moderne, met en musique ses émotions : confessions, jugement, rêveries... Pas de perruque ni de poudre pour masquer un philosophe engagé dans l'aventure humaine. »  (Source : L’Harmattan)

   Et encore :

   « Mais qu’en est-il de la relation que Sade entretenait réellement avec les femmes ? C’est ce qu’a voulu savoir M.P.F, en travaillant sur sa biographie et surtout son journal et sa correspondance. Elle nous révèle un homme inattendu. Sade se montre le plus souvent affectueux et tendre envers sa propre femme Renée-Pélagie, mais aussi envers ses différentes amies, dont Millie Rousset, une spirituelle jeune provençale. »  (Source : Le Divan)

   J’ai lu ces deux livres d’une grande profondeur, spirituels, au style inimitable. J’en suis ressorti pourvu d’une nouvelle vision sur ces deux écrivains. Cependant, plus d’un, sur Facebook, s’est alarmé de telles publications au motif de « l’immoralité » de Rousseau, père de famille indigne abandonnant ses propres enfants à « l’assistance publique », « « Oui, Madame, j'ai mis mes enfants aux Enfants-Trouvés » ; d’autres se sont insurgés contre le fait d’écrire sur le « sulfureux » Sade. Ces remarques ne sont rien moins qu’insuffisantes, seulement dictées à l’aune d’une mauvaise foi ou en fonction d’un dogme préétabli. Ces polémistes eussent mieux été inspirés de lire ces deux ouvrages remarquables avant de les clouer au pilori et ceci s’inscrit dans l’ordre des idées toutes faites, et ceci suit à la trace le canevas du prêt à penser, lorsqu’il ne s’agit, seulement, de diffuser de fausses informations. Malheureusement ce régime délétère d’une « pensée » qui n’en est pas une, loin s’en faut, essaime ses noires nuées sur l’ensemble de la sphère médiatique. Certes, les Cigales s’en amuseront, les Fourmis s’en offusqueront. Je ne précise plus avant de quel côté penchent mes naturelles inclinations.

  

   Ensuite, comment ne pas adhérer aux soudains « coups de sang », aux indignations légitimes d’un P.G.Y, lequel remet vigoureusement en question la pente de la société actuelle en direction de sa chute, ne s’ouvrant plus qu’au bellicisme, se ruant dans des guerres sans fin, cédant aux incantations du terrorisme, privilégiant la consommation au détriment de la poésie, de la littérature, de la musique. Cet infatigable créateur (qui fait écho aux étonnantes chorégraphies de sa Compagne L.C), tantôt Musicien, Poète, Peintre, ce bel Humaniste ouvre sans cesse son cœur aux vertus les plus nobles de l’Amour, de l’Amitié, de l’Entente entre les peuples. Mais, parfois, il semblerait que les cris qu’il pousse n’aient pour seul avenir que la perte dans quelque sable ou mirage du Désert. Et cet Ami véritable sait combien je suis en accord avec ses idées profondes, avec ses saltos et ses sauts de carpe (pour consonner avec L.C), avec son espoir de voir un jour se réaliser les conditions d’une vie heureuse et simple, seulement dictée par l’exercice d’une Vérité.

  

   Et encore il me faut citer les très beaux textes autobiographiques publiés, chaque jour qui passe, par N.L, cette admirable diariste versée dans le décryptage de Soi (l’exercice le plus difficile, le plus exigeant qui se puisse imaginer !), sans fausse pudeur, sans compromission, avec cet accent d’authenticité qui, de nos jours, ne résonne plus que du lointain de quelque réminiscence usée, devenue incompréhensible. C’est comme une fleur s’ouvrant au cœur de l’hiver, comme u rayon de soleil illuminant la grisaille des jours.

 

   Et comment omettre de parler de J.M, ce « Candide » lettré qui, volontiers, nous ferait « prendre des vessies pour des lanternes », qui pérorerait avec facilité sur Baudelaire, Rimbaud, Aragon et quelques autres, feignant de n’y rien comprendre, nous prenant à témoin de son désarroi, sans doute « riant sous cape » de notre docilité à nous laisser entraîner dans une manière de vindicte auto-sacrificielle dont il joue à merveille pour sa joie intime, pour notre étonnement quant à ses aveux de « faiblesse ». Mais il faut être rudement fort pour se flageller à longueur de journée, pour rejoindre le coin de la salle de classe et y arborer le bonnet d’âne, il faut être assuré de son être pour le « rabaisser », le « rouler dans la farine », le travestir en Pierrot, lui donner le plus mauvais des rôles dans la quotidienne commedia dell’arte que l’on se plaît à jouer devant des Spectateurs médusés.

   Vous n’aurez pas été sans remarquer l’usage de lieux communs déguisés en proverbes facétieux, ils n’ont d’utilité qu’à mettre en perspective un dénuement supposé et une rare élégance car c’est bien de ceci dont il s’agit dans ce déshabillage total qui menacerait d’être vulgaire s’il ne faisait constamment         appel au second degré, une façon habile de dire « je me flagelle donc j’existe », inventant pour l’occasion un cogito singulier auquel même le bon Descartes n’aurait nullement pensé du haut de son génie. Il est réjouissant, au milieu de cette faune médiatique, seulement occupée de faire briller son ego, de rencontrer ce Personnage si sympathique, haut en couleurs, qui n’a de cesse de déconstruire ce que les Autres, fébrilement, mettent des siècles à construire.

   Spécialiste de la poudre à gratter, du fluide glacial, du sucre qui saute au visage, force m’est de penser qu’il « rit sous cape » du bon tour qu’il nous joue, qu’il se joue pareillement car l’on n’est jamais mieux au centre de Soi qu’à s’en éloigner, à se placer sous la lentille du microscope et à s’examiner comme le ferait d’une diatomée quelque Professeur Tournesol s’ingéniant à trouver dans ce corps translucide, peut-être une image de son être, peut-être un miroir où s’apercevoir tel le ciron de Pascal face aux « deux infinis ». Je ne serais nullement étonné que notre Homme, repus après un repas nourricier, la tête face aux étoiles, se mette à méditer, l’air gravement réjoui, ces belles paroles de l’Auteur des « Provinciales » :

 

   « Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature ; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? »

  

   Oui, je le crois capable d’un tel « forfait », cœur grand ouvert à la contemplation du Monde, effeuillant ses souvenirs comme on le fait d’une marguerite, évoquant ici un dessin à la cire, là de mystérieux signes sur une planche de bois, là encore quelque ancienne Maîtresse dont il doute qu’elle n’ait jamais existé (car il lui faut bien manier l’humour dans cet Univers rempli de tristesse !) et encore bien d’autres essais de se prendre au sérieux en détricotant ce réel manifestement têtu, parfois hostile. Oui, de ceci et de bien d’autres choses, je le crois capable ! Il est ce que l’on nomme communément, avec respect : « un Personnage ». Oui, assurément, c’est ceci qu’il faut être pour tenir « contre vents et marées » ! Oui, ceci !

   Un commentaire de dernière heure du très attentif et poète ES me rappelle à l’ordre comme pour réparer une étourderie et, certes, c’est pour le moins une étourderie au motif que ce presque Voisin (nous projetons de nous rencontrer dans la « vraie vie » avant même que le réchauffement climatique n’ait produit des forfaits inévitables). Au fil des jours, figurent, dans mon Groupe Écriture & Cie, ce que j’ai habitude de nommer « petites gemmes », « minces pépites », nullement au sens réducteur mais pour la simple raison que cet Artiste des mots, jour après jour, infatigablement, distille ses dentelles langagières sous forme elliptique mais non moins superbement réjouissantes. Plusieurs fois, il m’est arrivé de décrire la tonalité de ses vers selon la mesure acoustique-esthétique d’une « petite musique », fugue ou parfois adagio ou parfois encore cavatine, simple bruissement cristallin qui fait vibrer la corde de l’âme en laquelle elle s’instille telle la petite et entêtante ritournelle qui, de la journée, ne vous lâchera nullement, même aux heures les plus fortes de l’Amour, cette divine dimension de la rencontre humaine. Mais bien plutôt que de pérorer longuement et pour inscrire une manière de halte dans cette prosopopée, je vous livre un de ses bijoux, dont je ne sais s’il est « indiscret » et vous incite à rêver longuement au rythme de ses heureux mots :

« Poème des pluies incessantes

Dont l’écho se noie

Par trop d’averses ne répond plus

Le soleil serait-il né d’inadvertance

Ô combien me brûle l’eau silencieuse

De mes incantations

Nihil-Nihil

E. Szwed

29-III-24

Silencieuse »

 

   Familier de l’anaphore, un mot enjambant son nom, comme une incantation qui voudrait retentir silencieusement dans l’âme du Lecteur, de la Lectrice, il plante en notre inconscient un jalon pareil à une braise, une façon d’être au-delà des mots. Et, certes, il est !

   Enfin, après ce long préambule, il est temps d’aborder le cœur du sujet, laissant la parole à Nathalie Gauvin, tout ému de prendre en compte avec exactitude le contenu de son commentaire sur un fragment de mon écriture :

 

« Perspective Existentielle sur une Photographie d’Hervé Baïs »

  

   « Quelle analyse magistrale mon ami ! C'est à couper le souffle ! Tant d'érudition et les mots pour le dire ! Tu as cette vision si juste, si pertinemment intelligente du sens profond des choses, de l'acte de dire qui se ramifie de tant de facettes bigarrées au gré de la plume de ces orfèvres du verbe que sont les grands poètes de l'histoire et qui prend en vos mots mon ami, toutes les nuances subtiles de la sublime lumière dont vous les éclairez...toujours un bonheur suave que celui de vous lire ! »

  

   Bien entendu je n’aurai l’impudence de faire à mon tour un commentaire sur celui-ci. Infinis remerciements pour une telle réception. Alors ici vient à propos une méditation sur le geste du don, sur la logique du contre-don qui lui est coextensif, nul ne saurait en nier la valeur de confirmation de qui-l’on-est en direction de qui-l’on-devient. Parvenus à ce point de notre réflexion commune, comment pourrions nous faire l’économie de la pensée hégélienne du Soi et de l’Altérité qui trouve de nombreux et abyssaux développements dans « La phénoménologie de l’esprit », dont Jean Hyppolite nous restitue ici toute la pleine teneur :

   

    « …car chacune des consciences de soi est aussi une chose vivante pour l’autre et une certitude absolue de soi pour soi-même ; et chacune ne peut trouver sa vérité qu'en se faisant reconnaître par l'autre comme elle est pour soi, en se manifestant au dehors comme elle est au dedans. Mais dans cette manifestation de soi, elle doit découvrir une égale manifestation chez l'autre. « Le mouvement est donc uniquement le mouvement de deux consciences de soi. »

  

   Les choses sont énoncées avec suffisamment de clarté pour qu’elles ne nécessitent que de brèves remarques d’ordre logique, résumées de cette manière :

 

Je ne suis moi que par l’Autre

(versant de la parentalité et de son devenir) ;

je ne suis moi que pour l’Autre

(versant de la conjugalité, de l’amitié, de la rencontre).

Hors ceci, nulle réalité.

Donc, nulle existence.

 

   Å ces quelques remarques, je crois nécessaire d’ajouter la belle réflexion de Philippe Lacoue-Labarthe extrait de « Tradition et vérité, à partir de la philosophie », mettant en lumière l’essence réelle de tout don :

  

   « La question, dans sa plus grande généralité, est donc la suivante : peut-il y avoir un rapport quelconque – impliquant un objet, une chose, mais aussi bien le « corps propre », ou la parole, ou l’âme, etc -, une absence pure de sollicitation de réciprocité, une pure dépense sans espoir de bénéfice secondaire, d’épargne à terme ou de retour, un pur désintéressement ? En général, y a-t-il une fracture possible de l’économique ? Peut-il être (dé)livré quelque chose en pure perte ? Peut-il y avoir dépropriation sans conscience de dépropriation, c’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre, sans calcul, ou espoir de réappropriation ? Ou si l’on préfère encore : un geste quel qu’il soit, envers autrui, peut-il être sans finalité, radicalement a-téléologique ? »

  

   Le problème est excellement thématisé et expliqué par le Philosophe. A ceci, l’explication me paraît simple, limpide. Ou bien nous nous situons au niveau de la théorie, « « science qui traite de la contemplation »et le rapport à l’Autre est an-économique, a-téléologique, aucune fin n’étant envisagée de telle ou de telle manière.

   Ou bien le rapport à l’Autre est réel, concret, incarné et alors surgit la dimension de l’économique, du téléologique. Nul ne souhaite être « payé en monnaie de singe ». Ce que le conscient montre comme pur geste de gratuité, l’inconscient le reprend en seconde main, réclamant son dû, son obole, sa juste rétribution.

  

   Certes « l’art pour l’art » et son naturel pendant « l’écriture pour l’écriture » (je me réclame le plus souvent de cette seconde option), l’inestimable valeur du geste d’écriture, « tout le reste étant de surcroît », publication, édition (certains s’y reconnaîtront), retours de commentaires gratifiants, bien évidemment cette charge positive ne saurait être évacuée sans dommages collatéraux. Nul ne saurait faire abstraction de ces gratifications qui, lorsqu’elles s’affirment avec une telle générosité, Nathalie vous l’aurez compris, sont loin de laisser les choses en repos. Ici le contre-don a rejoint le don, le circuit économique, sinon logique s’est refermé, toutes choses prenant sens dans cette dimension d’altérité reconnaissante. Comment mieux dire la gratitude lorsqu’elle rencontre une beauté de l’âme pleine et entière ?

  

   Mais, heureux de l’occasion que vous me donnez de diffuser une once de mes sentiments, qu’il me soit encore accordé, de préciser quelques éléments qui, pour n’être essentiels, constituent cependant la toile de fond d’une rumeur qui court à bas bruit sous la ligne de flottaison de la conscience. D’abord, je citerai l’expérience que j’ai de mon Blog, jean-paul-vialard.fr, sur lequel je publie, depuis une quinzaine d’années, la plupart de mes articles. Très multiples dons au cours de quelques 2720 articles publiés, lesquels n’ont reçu, en matière de contre-dons, que quelques notations strictement numériques dont la valeur est d’un vide abyssal. Å titre d’exemple, aujourd’hui même, voici le visage quantitatif du Blog :

 

Mois : 3 articles – 356 visites – 453 pages vues

 

   Les données sont si étiques qu’il n’y a strictement rien à tirer de telles informations.  Quant aux commentaires, ils sont de nature homéopathique et, parfois, sont le fait d’esprits dont je ne pourrai qualifier le contenu, surréalistes en tout cas, assurément hermétiques, frisant le délire. Sans doute vaut-il mieux s’en amuser ! Å titre de simple ironie, je publie ci-dessous, le fragment d’un commentaire portant sur un texte intitulé « Les Ombres et le Néant », texte dans lequel je tâchais d’analyser, par peuple Mongol interposé, la dialectique de la Tradition et de la Modernité. Voici donc cette « petite perle » au sujet de laquelle je ne ferai nul commentaire, l’évidence éclate d’elle-même, tout au bord du sublime canular :

  

   « 24h…il me faudra 24h pour tout refuser, 24h pour tout accepter…cette Terre ou le Soleil m’exhorte de m’effeuiller - de porter jupons et sandales de cuir - de m’invectiver contre les séquences Fruit du Dragon & Mangue du Jardin…une Mère presque hystérique, transformée par le chagrin qui déifie une enfant de 18 mois…

   Petit Oh petite étincelle - toi le Coeur de ma Vie, je n’existe que par la projection et l’Ego…quel gâchis…lorsqu’on pleure dans la chaumières, funeste « vie personnelle » versus «  solaire professionnel »…sortes « les napkin’s » ça va pleurer dans les chaumières…de ce grand et large espace Khmère très peu d’objets sont vraiment visible…autrement dit ces « grandes acrobaties » ces « clowns élégants » sont presque muet dans l’Absence, le néant…oui, ou est & qui est l’Absent? Maître Bandol, dont les cendres reposent juste de l’autre côté du Muret…ou bien est-ce le manque de Sens dans l’Existence…je répète souvent cette réforme, ou bien ce refrain…je ne sais plus quel est l’idiot-M exactement…oui je me répète que l’absence des uns fait place au Vide de l’Autre - du Soi Intérieur qui n’est ni un enfant ni un décorateur amateur des Moulins à Vent… »

 

   Je laisserai les « Moulins à Vent » broyer leurs subtiles graines et semer leurs farines à tous vents, poursuivrai mon chemin sans en être réellement affecté, amusé seulement.

  

   Autre expérience : Il y a de cela quelques années, j’avais publié de très nombreux articles sur un Site Littéraire « Exigence : Littérature ». Pratiquement nul retour. Le seul consistant provenait d’une Administratrice du Site qui critiquait vertement le contenu d’un texte publié à propos de « Soumission » de Michel Houellebecq. Autant vous dire que notre collaboration s’est arrêtée là, devant tant d’intolérance manifeste. Ce Site semble avoir disparu de la sphère Internet.

  

   Dernière expérience, qui nous est commune : la participation au Réseau Social Facebook. Deux volets : celui de mon Profil jean-paul vialard sur lequel je publie tous mes nouveaux textes avec images jointes et des « souvenirs », simples extraits de textes antérieurs. Autre volet : mon Groupe d’Écriture « Écriture & Cie » qui compte à ce jour 1300 Membres. Sur ce Groupe, publications diverses d’Auteurs édités, de photographies d’art, de fragments de mon écriture. Ces fragments sans images sont voulus afin de faire droit au texte et au texte uniquement afin que les éventuels « J’Aime » soient clairement délimités. Bien trop de Participants cliquant plus volontiers sur une Image que sur un Texte, lequel nécessite un investissement minimum. Dans ce Groupe qui menace de devenir pléthorique, une vingtaine d’Amis (dont les Auteurs dont j’ai cité précédemment les initiales en lieu et place de leur patronyme réel) qui sont devenus fidèles, avec lesquels d’intéressants échanges sont entretenus. Autrement dit 1280 Membres constituent une majorité silencieuse qui, peut-être, n’en pense pas moins mais le silence est toujours difficile à interpréter et sujet à erreurs multiples. Voici la réalité telle qu’elle se dévoile, qui n’est guère différente de celle que nous connaissons dans notre environnement familier :

 

la qualité est rare,

la quantité foisonne

comme l’eût énoncé ce

bon Monsieur de La Palice.

 

   Il n’y a pas lieu de s’en plaindre même si ce que j’exprime ne se dispense guère d’une critique, peut-être même, parfois, se teinte d’une juste frustration. J’aimerais tant, parfois, que la « monnaie de singe » soit troquée en « espèces trébuchantes et sonnantes » (n’entendez pas une rétribution économique), seulement cette reconnaissance si bien mise en évidence par le génie de Hegel dans la construction de la conscience de Soi.

  

   Ici, après ce long bavardage qui présente le visage de quelque épanchement affectif, vous remerciant encore mille fois pour votre gentillesse et comme contre-don qui clôturera ma parole, je cite ci-après l’un de vos Poèmes qui brille de mille feux et témoigne d’une conscience attentive à une marche éclairée du Monde :

  

   « Et si, pour survivre au-delà de tout, je risquais l’égarement ? Que j’appareillais vers l’inaccessible et mettais voiles au plein sens ? Que trouverais-je au-delà de l’horizon visible ?

Ramènerais-je en mes cales

Quelques trésors si fabuleux

Qu’ils n’attendaient que cette escale

Au périple de mon esquif

Pour me laisser les découvrir ?

Ou sombrerais-je dans les abysses

Tristes et solitaires du rêve

Comme tant de ces barques de lunes

En quête d’aurore boréales

Comme tant de ces bateaux de brume

Survivants de l’imaginaire

Que l’on enfante dans l’éther

Entre l’espoir et l’amertume

Hantant les lueurs vespérales

Des feux Saint-Elme qui se consument

À se dissoudre dans leurs voiles

Évanescentes comme l’écume ?

Comme tant de ces vaisseaux précieux

Aux bois de rose ou de santal

Ceux qu’on incruste d’or massif

Qui cherchent des routes aux étoiles

Qui bravent corsaires et mistral

Pour des louis d’or et des épices

Ou voguent en des eaux d’infortunes

Qu’azurent des soleils excessifs

Sans autres haleines qui les essoufflent

Que vents qui tiennent dans un souffle

Mais qui se condamnent au naufrage

Pour n’avoir su se prémunir

Contre les dangers du voyage

Ni mouiller l’ancre en quelques terres

En quelques havres, quelques rivages

Et qui reposent leurs épaves

Au linceul de toutes les mers

Aux lits desquelles elles s’enclavent

Pour ne laisser de leurs sillages

Que ces lambeaux d’écumes brèves

Aux tombeaux de chaque récif ?

 

   Comment un texte d’une telle tenue pourrait-il se passer, logiquement, rationnellement, mais aussi affectivement d’un évident contre-don ? Et, pourtant, dès que le niveau d’écriture s’élève, que la pensée brille par son ample déploiement, les sentiers se font rares en Marcheurs et Marcheuses prêts à confronter l’abîme toujours ouvert du sens. Que dire après ces mots aux belles facettes de cristal qui n’en obombrerait la subtile luminescence ? Cependant qu’il me soit permis de placer à l’épilogue de mes méditations, cette réflexion qui est vôtre, qui résume excellement ce que j’ai essayé de dire avec tant de laborieuse incertitude et, peut-être, d’amertume et de désillusion face à un Monde bien trop préoccupé de soi, qui n’a de cesse, tel Narcisse, de se mirer dans l’eau qui en reflète le mirage. Mais, énonçant ceci, après une longue considération de mes écrits, ne suis-je, moi-même, ce Narcisse que je récuse ? Mais que la proche altérité de votre parole vienne ici me rejoindre et me porter vers cette entière beauté que vos mots distillent à la façon d’une belle et troublante ambroisie :

 

« Ramènerais-je en mes cales

Quelques trésors si fabuleux »

 

En attente de l’Autre, ne sommes-nous,

faute de nous l’avouer clairement,

uniquement en attente de Nous ?

Don et contre-don

Des deux mains qui s’étreignent ici,

laquelle reçoit l’Autre,

laquelle est reçue ?

Y a-t-il homologie des intentions,

 des émotions, des ressentis ?

L’étreinte partage-t-elle avec équité

le souci de la pure Amitié ?

 

   Ici, nous ne pouvons que questionner et nous poster à l’orée de cette interrogation tant l’exister ne nous assure de rien, nous visite seulement comme l’oiseau fend l’air qui se referme sur lui et ne laisse, dans le trajet du Ciel, qu’une place vide !

 

Oui, le vide est à combler incessamment,

la solitude est immense qui replie autour de nous

 ses ailes de carton et de suie.

Vous voulons de la LUMIÈRE,

rien que de la LUMIÈRE !

 

Merci, Nathalie, de nous en offrir

Ces subtils éclats

Ils vont droit au cœur

 

CORDIALEMENT

 

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