Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
28 juillet 2022 4 28 /07 /juillet /2022 09:05
LA COLONIE DE VACANCES

***

 

   Déjà, à seulement employer les termes de « Colonie de Vacances », et l’on est dans une autre époque, sinon dans un autre monde. Et déjà l’on parle d’un temps qui fuit au loin, dans la grisaille des jours. Avec la distance qu’instaure toute « modernité », la perspective s’agrandit et c’est comme si l’on observait le passé en ayant inversé le sens de la lorgnette, quelque chose se donne à voir, dans la forme du tremblement, dans l’allure d’une carte postale ancienne. Un peu comme si l’on était atteint d’un trouble de la vision, peut-être une myopie et il faudrait poser sur les yeux des verres grossissants. Je crois même que ce qui fut mon enfance devient une simple fiction, quelques mots dans le Grand Livre de l’Existence, un point à peine visible, une image qui saute au fond d’une distante lanterne magique. Étonnant sentiment d’étrangeté, nos jeunes années nous appartiennent-elles encore ? Et pourtant, malgré ce frisson de l’âme, quelque chose brille, comme une flamme qui ne voudrait s’éteindre. Quelque chose appelle et demande à être dit. Pour qui ? Sans doute pour moi, au premier chef. Pour quoi ? Pour témoigner, mettre en scène et jouir du souvenir, cette « petite madeleine » qui fond autant dans le cœur que dans la bouche. Cela sert-il à quelque chose ? Non, cela ne sert à rien et c’est ceci qui est d’autant plus stimulant !

   Matin de Juillet, comme maintenant, mais en moins chaud. Sur la Place du Pin, à Agen, des autocars sont rangés en rangs d’oignons. Ils attendent les enfants du Département qui vont regagner leurs Colonies respectives. Déjà on s’impatiente, déjà on s’égaille. Déjà des larmes perlent dans les yeux des plus jeunes et il s’en faudrait de peu qu’elles ne se manifestent dans ceux de leurs parents. Les plus grands, les plus affranchis (certains sont « Colons » depuis plusieurs années) vont et viennent, à l’aise, fiers de leur autonomie. Les Moniteurs et Monitrices, liste en main, font l’appel. Peu à peu les autocars se remplissent. Puis c’est l’heure du départ, avec ses joies et ses peines. Des mouchoirs s’agitent, des mains tremblent. Pour ma part, avec mes Compagnons d’équipée, je suis en route, pour la seconde fois, en direction de Bagnères-de-Bigorre où se trouve l’une des Colonies de l’Amicale des Œuvres Laïques. Certes le titre est daté et, aujourd’hui, sans doute prêterait-il à sourire. En ce temps, l’amical existait, en ce temps le laïque connaissait ses lettres de noblesse.

   Le voyage est long, il dure quelques heures pendant lesquelles, sous « l’amicale » invitation de nos Encadrants, nous entonnons quelques chants du style « Å la volette », « Vive le vent », « Å la claire fontaine ». L’époque se contente de ces « bluettes » dont, peut-être déjà, nous sommes quelques uns à nous apercevoir qu’elles sont candides, ingénues, brodées de bien des « Fleurs bleues » dont il s’agira de se défaire au plus vite. Mais on ne s’exonère jamais facilement d’une ambiance dans l’air du temps. Lorsque nous arrivons à la Colonie, deux sévères bâtiments gris se faisant face, la maison du Directeur faisant office de fond de scène, les Nouveaux venus ne dissimulent pas leur tristesse, alors que les Anciens paradent un peu pour se donner de l’importance. Lors du séjour de trois semaines, le rituel est immuable, réglé comme papier à musique. Le plus souvent, le matin est consacré aux travaux d’atelier : dessin, coloriage, peinture, découpage. Rien que de très ordinaire, de très monotone en son fond mais nul ne s’insurge de cette duplication à l’identique des jours suivant les jours, pareils aux perles d’un collier. Les après-midis, après la sempiternelle sieste, laquelle n’a de sieste que le nom, la plupart font les pitres à l’abri de leurs couvertures ou de leurs polochons essaient de faire quelque projectile, nous avons « plein-air », ce qui veut signifier que nous pourrons respirer à pleins poumons, gambader, sauter, dépenser l’énergie accumulée lors des activités de « travaux pratiques ». Il va sans dire que la plupart d’entre nous préfère la liberté des après-midis aux « contraintes » du matin.

   Nos destinations ? Un Parc en ville où nous dressons de minces barrages constitués de plaques de schiste que nous disposons dans de petits canaux cimentés où coule une claire eau de montagne. Des moulins que nous avons fabriqués y font tourner leur roue, des bateaux improvisés (une feuille, un bout d’écorce) en descendent le cours. Nos destinations ? La proche montagne semée de grandes fougères. Nous les prélevons afin de couvrir les toits de nos cabanes à l’intérieur desquelles nous abritons nos trésors, une pierre bleue, des morceaux de bois, des soldats de plomb qui monteront la garde en notre absence. Nos destinations ? Le soir, après le « plein-air », nous constituons plusieurs groupes, disséminés dans le grand pré de la « Colo ». Notre jeu, quoiqu’interdit, et d’autant plus recherché, de longues partie de « plante-couteau ». La plupart d’entre nous dispose d’un canif, d’un couteau de scout, d’un modeste, venu de quelque cuisine. Au sol, nous disposons une tige de bois, cible qu’il nous faut essayer d’atteindre, les plus chanceux ou les plus adroits en traverseront le mince limbe. Toujours quelqu’un monte le guet et, d’un signal convenu, prévient de l’arrivée d’un ou d’une « Mono ». Alors tout disparaît en un clin d’œil, des calots sortent des poches, des parties de billes s’organisent. Nul n’est dupe du stratagème. Les « Monos » savent que nous faisions une partie de « plante-couteau » et nous savons qu’ils le savent. Ceci se nomme « diplomatie » en vocabulaire politique. Ceci se nomme « facétie » en termes de Colons. Chacun y trouve son compte et c’est bien là l’essentiel.

   Le soir, après le dîner dans la grande salle du réfectoire, suite à une ultime partie de « plante-couteau », une dernière blague de carabin, toute la « Colo » se dispose en rang devant la maison du Directeur, afin de clôturer une journée « bien remplie ». Alors, dans le soir qui approche et bleuit les montagnes, nous entonnons, pour la énième fois, le sempiternel refrain des « Cloches du vieux manoir ». Beaucoup, dont je fais partie, miment les mouvements du chant sans y participer vraiment. Premier geste de sédition qui en anticipe bien d’autres à venir. Voilà, cette évocation s’est faite sans tristesse, joie ou nostalgie, simple témoin d’une époque qui fut. Comment mieux conclure qu’en vous offrant ce morceau d’anthologie « médiéval » :

 

« C'est la cloche du vieux manoir, du vieux manoir

Qui sonne le retour du soir, le retour du soir

Ding, ding dong

Ding, ding dong »

 

  De temps à autre faut-il prendre les choses avec humour. Le « c’était mieux autrefois », que nous adressent souvent ironiquement nos « Jeunes », il faut bien leur accorder qu’il ne s’agit que d’une formule qui porte en soi son propre revers. Certes, parfois « c’était aussi nul que maintenant. » Ceci se nomme « retour d’ascenseur », lequel fonctionne dans les deux sens, si du moins, il est moderne !

  

Partager cet article
Repost0
27 juillet 2022 3 27 /07 /juillet /2022 08:55
LE LAVOIR

***

 

   Parfois, au cours de reportages réalisés sur des pays vivant encore à la manière d’autrefois, aperçoit-on des « Lavandières » en action. La plupart du temps, dans ce beau pays du Portugal. Images surannées, images d’un autre monde dont on aurait pu croire qu’il avait disparu. Toujours un étonnement que de découvrir ces antiques carrioles tirées par un cheval, montées sur des pneus de voiture, en Roumanie, ou d’autres témoins d’une vie au plus près, encore attachée à d’ancestrales pratiques. Bien évidemment ces représentations ont l’allure de ces anciennes gravures de « L’Almanach Vermot », un temps est passé qui ne reviendra plus. Est-on, en quelque manière, relié à ces minces événements au gré de nos souvenirs (je parle des plus Anciens d’entre nous), éprouve-t-on encore quelque pincement au cœur à la vue de si touchantes scènes, ou bien ne se penche-t-on sur ces antiques berceaux que pour apercevoir nos visages de tout petits enfants, nous étions alors enveloppés dans des langes et arborions sur la tête un bonnet de laine amoureusement tricoté par l’une de nos Aïeules ? A contempler ces antiques vues, l’on est toujours menacés de sombrer dans un facile pathos, de verser des larmes intérieures qui ne sont jamais que des larmes sur soi.  Mais l’existence suit son chemin, avance, et nous avec.

   C’est un matin comme bien d’autres lors de mes neuf ou dix ans. Comme d’habitude, Beaulieu ronronne aimablement tout en haut de sa falaise blanche. Aujourd’hui est Jour de Lessive, ma Mère m’en a prévenu hier, histoire de me préparer mentalement à « l’épreuve » qui m’attend. La « Lessive » m’apparaît avec son double visage à la Janus. Un côté souriant avec mes jeux au Lavoir. Un côté contraignant avec la lourde brouette qui m’invite à lui faire remonter la pente raide avant de parvenir au bitume des rues, posé, lui, bien à plat. Le linge à laver, vêtements divers mais aussi paires de draps, a été placé dans une large corbeille en osier. L’attelage est léger au départ, si bien qu’il s’agit d’un jeu. Je suis préposé à la conduite. La roue fait son bruit de fer sur le revêtement des rues. Les manches, je les tiens du bout des doigts, par fantaisie, mais aussi pour éprouver une réjouissante facilité. Mon geste n’est rien moins qu’avant-coureur d’un autre qui, un peu plus tard, se manifestera sous l’effort et quelques grimaces. Je crois me souvenir (oui, parfois la mémoire valorise-t-elle un passé qui, en son temps, était somme toute ordinaire, sinon vécu sous la figure de l’ennui), que le « Jour de Lessive », loin d’être marqué d’une pierre sombre, était le prétexte d’une mince joie. Un bonheur rayonnait à simplement entendre le linge mouillé frapper la pierre, à seulement voir le jaillissement des gouttes d’eau, leur pluie à la surface claire du Lavoir.

    Maintenant nous avons dépassé les dernières maisons du village. La « Maison du Moyen-Âge », avec ses murs en torchis, les croisées de ses colombages de bois, sa façade en encorbellement, est derrière nous, témoin d’un temps si lointain qu’il ne s’armorie guère plus que de ces quelques détails architecturaux. Le chemin est de castine, très incliné, parcouru, par endroits, de saignées que la pluie a creusées. Alors, il me faut serrer les manches, éviter que la brouette ne m’échappe. Maman me retient amicalement, sa main agrippant mon pull de laine dans mon dos. Je crois que nous sommes heureux de cette connivence, de cette entente à demi-mots. Nul besoin de parler, nos attitudes suffisent à dire le simple et le merveilleux de ces tâches quotidiennes vectrices de profonds ressentis, serties d’émotions à fleur de peau. Ce qui se constitue là, dans l’instant, sera un trésor inépuisable pour plus tard. Sur-le-champ, pris par le travail à accomplir, l’on n’y pense guère et le futur est un futur immédiat. Éloigné, le temps de plus tard, de la maturité et la vieillesse est une indistincte nuée à l’horizon, une simple fable, une histoire pour enfants naïfs.

   Nous sommes à pied d’œuvre. Maman a posé la corbeille avec le linge sur un muret de ciment construit à cet effet. Elle a aussi posé la lourde brosse Chiendent, le cube de Savon de Marseille. Elle commence par le petit linge qu’elle lave avec précaution tout comme on le ferait pour la toilette d’un petit enfant. Pour le moment, libre de toute contrainte, je batifole, pareil à une libellule ivre de liberté. Je grimpe le long du rocher moussu qui donne accès au « Turron », « Turrou » en lange d’Oc, mot dont je n’ai pu retrouver l’origine. Ici, il signifie un trou dans la falaise duquel sort l’eau d’une résurgence. Une cloison de briques a été élevée autrefois de façon à servir de verrou, à retenir l’eau. Un tuyau de ciment l’achemine jusqu’à un bassin en contrebas. Je me souviens avoir souvent scruté longuement cette mystérieuse grotte afin d’en deviner les sombres arcanes. Je faisais, à l’époque, de longs voyages souterrains peuplés des personnages de mes rêves intimes.

   Puis, redescendu de mon poste d’observation, je joue à attraper de noires sangsues du bout d’un bâton, je les dispose selon un long convoi tout autour du bassin. Parfois je fais une escapade jusque dans le genre de steppe qui se situe sous le Presbytère, terrain d’aventures solitaires mais combien productrices de belles satisfactions. Parfois, je rejoins Maman près du Lavoir, je m’amuse à actionner la pelle qui permet d’évacuer l’eau vers un fossé qui passe derrière la Boulangerie, rejoint la Leyre. Il n’est pas rare que Maman me gronde gentiment pour ce petit « méfait ». L’eau coule en abondance, il en restera toujours assez pour la lessive. Je m’assieds sur le mur de ciment qui entoure le Lavoir. J’aime voir Maman laver les draps, les soulever vigoureusement en l’air dans une jolie nuée de bulles. Le linge claque fort lorsqu’il rejoint la nappe d’eau et, la plupart du temps, un fin bouillard vient jusqu’à moi, quelques gouttes ruissellent sur mes jambes nues. Puis j’aide Maman à tordre le linge pour l’essorer. Pendant ce temps, Janus sourit en douce, avec son mauvais visage. Déjà il se réjouit d’imaginer la sueur perler sur mon front, la fatigue s’insinuer dans le creux entre mes omoplates.

   Maman a attaché une forte corde au tablier de la brouette. Elle m’en tend l’extrémité. Pendant qu’elle s’escrimera à remonter la pente, je tirerai sur la corde afin de la soulager, de lui donner un peu d’élan, si je puis dire. De larges caniveaux de ciment servent de drains pour éliminer l’eau de pluie, ils courent en diagonale à intervalles réguliers. Les aborder est un souci, en sortir une récompense. Nous avons chaud, nous suons et soufflons. Enfin le dernier raidillon est franchi, la « Maison du Moyen-Âge » nous toise de son air goguenard. Les premières rues de Beaulieu. Le temps de notre délivrance commune. Après l’effort, la tâche semble facile et avec Maman nous nous disputons pour savoir qui, d’elle ou de moi, assurera la suite du parcours. Nous croisons quelques personnes du village que nous saluons sans prendre la peine de nous arrêter car nous avons hâte de retrouver la maison, d’y consommer une boisson pour nous rafraîchir.

   Épilogue - Le Lavoir est encore présent, non en tant que sa fonction première, évidemment. Il est devenu, comblé de terre, un genre de jardinière censée réjouir les Touristes en mal d’antiques témoins des temps qui furent. Le chemin de castine, empli maintenant d’un bitume lisse est devenu « Sentier de Randonnée », cette activité est à la mode et une ruralité « bien pensée » ne saurait faire exception à la règle. Il faut « être dans le vent », faute de quoi l’on est relégué dans les réserves d’un poussiéreux musée. Bien évidemment, pour moi qui l’ai connu « Lavoir en tant que Lavoir », son aspect actuel est comme le Rire selon Bergson : « du mécanique plaqué sur du vivant ». Pour ma part je préfère le « vivant », mais c’est question de sensibilité. Il est un usage fort répandu en ces temps de progrès illimité : prendre le fac-similé pour l’original. On a l’origine qu’on peut ! Vive le vieux et débonnaire Lavoir ! Un peu de qui j’étais, de qui nous étions, s’y trouve encore en filigrane. Ceci est de l’invisible, donc ceci est précieux.

Partager cet article
Repost0
23 juillet 2022 6 23 /07 /juillet /2022 09:53
LES ÉCREVISSES

***

 

 

   Je devais avoir dans les huit ou neuf ans lorsque, avec mes Parents et ma Sœur, pendant quelques années, nous allions rejoindre des Amis à Salies-du Salat. Nous y passions une quinzaine de jours. Les loisirs en composaient la dominante, longues promenades dans ce beau pays du Comminges situé à peu de distance des Pyrénées Ariégeoises, puis quelques soins aux Thermes pour des problèmes de peau et aussi et surtout pêche à l’écrevisse, un impérissable souvenir est attaché à cette activité si plaisante. Mais il me faut rendre cet événement présent, y semer, sans doute, une touche d’imaginaire, afin de le rendre palpable, de lui restituer son lustre ancien.

   Août 1953 - Cela fait quelques jours que nous sommes arrivés à Salies. Nous y avons pris nos marques, avons longuement respiré l’air vivifiant des Montagnes si proches. J’ai bénéficié de plusieurs bains aux Thermes. L’eau y est fortement salée ce qui, à l’évidence, justifie le nom de la ville, Salies-du-Salat, une manière de redoublement de sa forte teneur minérale. Mais les Thermes ne sont nullement le seul attrait. Jean A., ancien militaire de carrière, nous a longuement parlé de la pêche dans le Salat et autres ruisseaux, ses yeux brillaient d’un étrange éclat lors de ses évocations. Si l’évènement qu’il nous décrit est à la hauteur du récit alors, pour nous, ce sera comme une pierre blanche semée au cœur même de notre ombreuse mémoire.

   Matin, de très bonne heure. Une brume légère monte encore de la Rivière Salat. La fraîcheur s’enroule autour de mes jambes nues si bien que le confort de la voiture sera apprécié à sa juste valeur. Hier, tous les préparatifs ont été faits. Les balances pour la pêche, les quartiers de tête de mouton, les sacs en toile de jute ont été placés dans un coffre de bois. Josée, la femme de Jean, et ma Mère ont préparé un pique-nique. Tout s’est fait dans une sorte d’effervescence qui, ce matin, a laissé place au calme qui succède toujours aux grandes excitations. Tout a été installé dans le coffre de la Traction Avant. Nous quittons Salies dans des heures si matinales que nous croisons peu de quidams. Nous roulons une vingtaine de minutes vers l’amont, vers Saint-Girons, puis obliquons sur la gauche, longeons un mince affluent du Salat. Tout le long de la route, il n’a guère été question que des crustacés dont nous espérons qu’ils seront nombreux, dissimulés, ici et là, parmi les pierres qui jonchent le cours du ruisseau. Le genre d’exaltation qui nous habite en sourdine, je la pense aujourd’hui une simple correspondance de l’esprit cueilleur-chasseur de nos lointains ancêtres de la préhistoire. On ne place pas si facilement hors de soi un instinct millénaire, on n’efface nullement la genèse dont, en ce temps-ci qui est le nôtre, nous sommes le résultat.

   Nous sommes enfin à pied d’œuvre alors que le soleil poursuit son ascension vers le milieu du ciel. D’abord il s’agit de reconnaître les lieux, de déterminer les endroits où les balances seront posées. Le ruisseau est brillant, semé d’eau claire, son lit parcouru de pierres plus ou moins larges, à l’abri desquelles se dissimule le trésor escompté de notre pêche. Au fond de chaque balance, nous attachons solidement les quartiers de tête de mouton. Il paraît que les écrevisses en sont friandes. Le groupe des hommes, Jean, mon Père et moi sommes commis à traquer nos proies, alors que le groupe des femmes, Josée, ma Mère, ma Sœur, Jeanine et Huguette, les filles de nos hôtes, s’affairent à dénicher un endroit convenable pour le repas de midi. Oui, en ce temps-là, les activités étaient bien déterminées qui plaçaient ici le domaine des Garçons, là le domaine des Filles. Bien évidemment, personne ne s’en offusquait, c’était dans l’ordre des choses de l’époque.

   Jean, mon Père et moi, avons progressé le long du ruisseau, déposant près des pierres qui nous semblaient être les plus opportunes, nos pièges constitués d’un léger treillis métallique, d’un faisceau de trois minces ficelles pour les remonter. Nous progressons lentement vers l’amont. L’eau chante sur les grèves de galets. Les ramures des aulnes dispensent un beau clair-obscur qui nappe l’onde d’une clarté mystérieuse. Arrivés au point où nous n’avons plus de balances à poser, nous nous asseyons un long moment dans l’herbe. Nous voulons laisser le temps à notre futur butin de choisir le lieu de son festin qui sera anticipateur du nôtre. C’est Jean qui donne le signal. Nous nous levons avec, logé au fond du cœur, le secret espoir que la récolte sera bonne, que la Nature aura été généreuse. Et, généreuse, elle le sera bien au-delà de nos souhaits les plus fabuleux.

   Dès la première balance, ce sont des grappes compactes d’écrevisses qui sont à la curée. Nous demeurons un instant interdits, surprise et joie mêlées. Jean tient grand ouvert le sac de jute. Mon Père sort de l’eau, d’un geste à la fois rapide et précis, le produit de notre pêche. Au fur et à mesure que nous rebroussons chemin, le sac se remplit. A l’intérieur, l’agitation des écrevisses fait un étrange bruit, une manière de cliquetis mouillé bien caractéristique, il vient encore jusqu’à moi aujourd’hui. Le pique-nique au bord du ruisseau est pur enchantement. Tous, nous sommes fébriles tels des enfants découvrant quelque grotte secrète où ils pourront faire fructifier leur imaginaire.

   L’après-midi est déjà bien avancé lorsque nous rentrons à Salies. Dans l’obscurité du coffre, c’est tout un peuple grouillant d’écailles qui se démène et cherche une issue pour son improbable évasion. Revenus à la maison de nos Amis, c’est comme une traînée de poudre qui se répand dans le quartier. C’est nous, les enfants, que l’on a chargés de faire la distribution aux Voisins. Il va sans dire que nous sommes ravis de notre mission, que l’on est accueillis tel des Rois et des Reines. Pendant ce temps, nos Parents s’activent à nettoyer les crustacés, à préparer le court-bouillon dans lequel ils rougiront avant même d’avoir médité sur leur propre sort. Le dîner sera joyeux, le mets arrosé d’un généreux vin blanc et l’ambiance sera aussi festive que lors des concours de « Vaches landaises » qui ont lieu dans la région à intervalles réguliers.

   Que reste-t-il aujourd’hui de ces pêches miraculeuses ? Ont-elles encore lieu ? Malheureusement je crois que l’action conjuguée des pesticides, jointe à l’introduction dans les rivières des écrevisses américaines, ont définitivement rayé de la carte l’espèce endémique qui faisait le bonheur de tous. Un bonheur simple que toutes les « félicités » techno-médiatiques actuelles jamais ne pourront égaler. C’est de la Nature dont il est question avec les écrevisses. C’est d’une « culture » au rabais dont il est question avec les hallucinations virtuelles. Avons-nous encore la possibilité de choisir ? Oui, nous l’avons. Il ne tient qu’à nous de placer du Sens là où nous pensons qu’il doit l’être. Il faut bien l’avouer, il y a, dans la nouveauté, quelque chose qui nous déroute, si bien qu’il existe tout un étrange domaine dont nous ne pourrions dire le nom, pas plus que lui attribuer quelque prédicat que ce soit. Nul doute qu’il soit utile de porter notre regard ailleurs.  Autant ignorer ce qui, pour nous, ne tient nul langage signifiant. Oui, la pêche aux écrevisses était un pur bonheur !

 

 

Partager cet article
Repost0
22 juillet 2022 5 22 /07 /juillet /2022 08:18
LA LAMPE-SIGNAL

   Il ne se passait nulle semaine, qu’enfants, ma Sœur et moi, nous n’allions rendre visite à nos Grands-Parents paternels dont la ferme était distante de quatre kilomètres de notre maison. Tous les mercredis soir, à la belle saison, nous rejoignions « Bareltou » à vélo, nous y passions la nuit et revenions le lendemain à Beaulieu. Cet agréable intermède faisait le bonheur de nos Aïeux et nous remplissait d’une réelle joie. C’était comme un Soleil qui émergeait de la brume et éclairait notre semaine d’une manière particulière. La journée du Jeudi, jour de congé scolaire d’alors, nous la passions dans la plus grande insouciance, autrement dit dans la plus exacte liberté. Ceci avait aussi visage de vérité. Ruraux d’un modeste village, la campagne non seulement ne nous dépaysait en rien, mais nous en cherchions le calme, le lieu d’une possible paresse, mais aussi de toutes les minces aventures qui s’offraient à nous. Nous n’emportions nul jouet au simple motif que nous en possédions peu, que tout, ici, était prétexte à jeu, à imaginaire.

   En cette époque de peu, un rien devenait un tout. La rafle d’un épi de maïs entourée de quelques feuilles, une boule de gale de chêne pour la tête et ma Sœur pouvait s’amuser, la journée durant, avec cette poupée improvisée. Quant à moi, un bâton devenait épée, la fourche d’une branche, une fronde bien inoffensive, ; un peu de glaise façonnée entre les doigts, des billes après que sa matière avait été exposée au feu de cheminée. Outre ces jeux, nous aimions, en compagnie de Grand-Mère, distribuer du grain aux poules, donner la pâtée au cochon, en compagnie de Grand-Père, traîner dans la grange parmi la paille, les mouvements désordonnés des jeunes veaux puis gagner le puits, y puiser un seau d’eau pour les besoins de la cuisine ou simplement nous amuser à actionner la pompe et à y faire de rapides ablutions. Le temps passait ainsi, sans à-coups, lentement, comblé, nul ennui ne s’y installant. Il faisait partie de nous comme nous faisions partie de lui, sans césure, sans hiatus, temps de félicité d’une enfance alors exempte de d’inquiétude. Les repas étaient le lieu de la rencontre, des échanges et, dans les yeux de Géranie et de Léonce, s’allumait toujours un brin de malice, une rapide taquinerie, le plaisir d’une connivence, l’union des affinités.

   Si « Bareltou » était une manière d’Arcadie, cependant nous en séparer le jeudi soir venu n’était ni une peine, ni une épreuve. Bientôt nous retrouverions des Parents aimants qui nous entoureraient de tous leurs soins. En réalité la « séparation » n’en était pas une, une simple parenthèse entre les signes de laquelle se plaçait toujours la fluidité, le naturel qui conviennent aux choses non seulement acceptées mais souhaitées du fond du cœur. Certes, lorsqu’avec ma Sœur nous reprenions le chemin qui conduisait à Beaulieu, au moment du départ, une émotion se lisait sur le visage de nos Grands-Parents. Sans doute se consolaient-ils à l’idée de notre prochaine rencontre. Il ne nous fallait guère qu’un petit quart d’heure pour rejoindre notre habituel logis. Nous prenions notre dîner avec nos Parents, leur racontant par le menu les aventures qui nous avaient occupés tout au long de la journée, dont je présume qu’elles devaient s’amplifier de l’inévitable travail de l’imaginaire.

   Dès le repas terminé, le plus souvent j’accompagnais mon Père au garage distant de quelques centaines de mètres. Il y avait un rituel à accomplir : la lumière ayant baissé, à peine une clarté « entre chien et loup », il nous fallait actionner, à plusieurs reprises, l’interrupteur électrique qui commandait une grosse lampe de tôle fixée sur la façade. C’était l’appel convenu qui signait notre retour au foyer, ma Sœur et moi, indemnes de tous soucis. Comme, entre le garage et la ferme de « Bareltou » aucun obstacle ne venait fermer le paysage, nos Grands-Parents répondaient à notre signal en Morse, par un bref clignotement depuis la lanterne de l’auvent situé devant leur maison. La mission accomplie, le cœur léger, mon Père et moi regagnions la « Petite maison aux Volets Rouges ». Il serait temps de dormir. Demain l’école nous attendrait. Je ne sais si, au cours des « rédactions » que le Maître nous demandait de rédiger, dont l’énoncé, le plus souvent, se disait de cette façon : « Racontez une journée passée à la ferme », je ne sais si la parenthèse du jeudi à « Bareltou » trouvait le lieu de son expression. Aujourd’hui, si loin de tout ceci qui a été une « parenthèse enchantée », j’aime à le croire.

  

 

 

 

Partager cet article
Repost0
21 juillet 2022 4 21 /07 /juillet /2022 09:24
LES HARICOTS VERTS

 

   Oui, je reconnais, le prétexte est mince, le titre peu alléchant. Pourrait-on trouver chose plus modeste que ces « gousses immatures » pour en faire le thème d’un récit, fût-il humble et empli des meilleures intentions ? Parfois, et peut-être souvent, est-ce le Simple qui possède le plus de vertus, qui s’approche de quelque vérité. Quoiqu’il en soit, ce légume aujourd’hui en désamour me parle vivement, du plus loin du temps. Imaginez ceci : nous sommes aux environs des années 1954-1956, l’été bat son plein, les vacances scolaires viennent de commencer, elles dureront de la mi-juillet au début du mois d’octobre. Longue parenthèse estivale qu’il convient de meubler d’une manière ou d’une autre. Certes les loisirs, certes les jeux, les longues déambulations avec les camarades dans les rues du village, dans les prés au bord de la Leyre, sur les collines blanches où habitent les renards, près des trous mystérieux qui s’enfoncent dans la terre, possibles souterrains qui relient entre eux, paraît-il, les châteaux des environs. A défaut que le réel nous comble, il faut y semer du songe, y tresser les lianes du merveilleux, y établir quelque mythologie.

   Mais le rêve ne suffit pas en ces années où la notion de labeur est au plein des têtes, où il convient de participer aux menus travaux, à quelques tâches ménagères. L’année alors est bien déterminée, les saisons tranchées, l’été consacré aux moissons, l’automne aux vendanges. Témoin éloquent de cette division du rythme annuel, le livre de Français de l’École Primaire, le « Souché » qui fonctionne par « Centres d’intérêt » : « Petites Scènes du foyer », « Autour du feu », « En voyage », « Artisans et Ouvriers au travail ». Ces titres, bien mieux qu’un long traité d’Histoire, disent l’ambiance d’une époque, la couleur des jours, les modes de vie et de relation.

   Donc l’été 1956. Dix heures du matin. Déjà la chaleur commence à vibrer au-dessus des vergers, déjà elle fait ses taches de clarté à l’intérieur de la « Grande Maison ». Les persiennes sont tirées de manière à ne laisser passer qu’une manière de lumière diffuse, un genre de clair-obscur reposant pour les yeux. Le camion de la Conserverie de la ville voisine vient de distribuer, comme chaque jour, ses lourds sacs de jute remplis de haricots verts. Presque tout le monde, dans le village, s’adonne à un identique rituel : équeuter ces légumes afin qu’ils puissent être mis en conserve et deviennent comestibles.

   Le pourtour de la grande table de la cuisine est une sorte de ruche bourdonnante où chacun s’exprime sur le temps qu’il fait, sur les dernières nouvelles de la commune, sur les faits divers et autres rumeurs qui tissent la toile du quotidien. Tout le monde est convié à la fête, aussi bien une Grand-Tante souvent présente, une Cousine de passage et, bien sûr ma Sœur et moi, tribut versé à la marche du jour. Parfois, lorsqu’un « ange passe », qu’une accalmie s’installe entre les conversations, l’on ne perçoit plus que le bruit sec des pédoncules dont on coupe les extrémités d’un geste rapide et ce murmure des temps anciens est encore présent, palpable, tout comme peut l’être un objet à portée de la main. Cette époque, dont il me plaît, le plus souvent de dire « l’exactitude », savait faire la part des choses, placer ici les « travaux et les jours », là ouvrir le champ des festivités, là encore dresser la table pour les rencontres familiales. Tout était net, tranché, si bien que nulle ambiguïté n’affectait le réel. Le réel était limité à sa forme de réel, le songe ne s’y « épanchait » guère, la subtile poésie nervalienne devait choisir d’autre lieu pour sa manifestation. Je crois bien que chacun y trouvait son compte, que les activités s’y inséraient de manière « naturelle » si l’on peut dire. Chaque jour recevait son lot de travail, mais  aussi de rencontres, mais aussi de loisir. L’équeutage des haricots était un moment de la journée que suivait, invariablement, un entraînement scolaire sur ces cahiers de « Devoirs de Vacances » au titre évocateur.

LES HARICOTS VERTS

   Sans doute, nos chères têtes blondes d’aujourd’hui rechigneraient-elles à se pencher sur de tels ouvrages qui constitueraient une atteinte à leur « liberté ». De nos jours le virtuel s’affirme de plus en plus en lieu et place du réel, si bien que les domaines respectifs deviennent flous, les limites incertaines. Le Smartphone se donne en tant qu’unique remplaçant de ces tâches multiples et variées qui émaillaient le parcours de tout écolier. Faut-il s’en plaindre ou bien s’en féliciter ? Mais, formulée de cette manière, la question n’a guère de sens au simple motif que 2022 n’est pas 1956, que les « temps ont changé » et nous avec, que nul ne peut se targuer de maîtriser le progrès, la marche en avant du siècle.

   Si nous étions des enfants d’aujourd’hui, nul doute que nous choisirions, sans le moindre état d’âme, le ballet des images bien plutôt que celui de ces minces légumes qui n’ont plus guère cours dans le moment présent. Bien évidemment, se pencher sur son passé ne saurait se dissocier de cette inévitable nostalgie qui n’est nullement question de génération, seulement l’empreinte, en nous, d’un temps qui reflue et clignote faiblement, loin là-bas, dans un temps qui a existé, nous marque au plus profond de notre être. Aurais-je encore, en cet instant, cette simple et immédiate joie d’enchaîner ces activités dont on a toujours pensé qu’elles étaient « saines » ? Comme s’il y avait une échelle des valeurs sur les degrés de laquelle s’inscriraient mérites, louanges et vertus. Ceci est bien difficile à démêler, aussi convient-il de progresser dans le temps avec le sentiment que nous suivons un chemin tracé de toute éternité. Destin ou Liberté ? Avons-nous au moins le choix ?

Partager cet article
Repost0
20 juillet 2022 3 20 /07 /juillet /2022 08:37
LE MAGNOLIA

   Toujours, dans notre Panthéon personnel, avons-nous quelque dieu qui brille, Apollon, Dionysos ou bien Zeus lui-même depuis les belles hauteurs de l’Olympe. Mais notre Panthéon est tout autant le lieu des Choses, un jouet ancien, la page d’un livre, une fleur séchée parmi le fourmillement des mots d’un vieux dictionnaire. Le dieu dont je vais vous entretenir se nomme Magnolia, cet originaire des lointains pays d’Extrême Orient et d’Asie centrale. Il y a bien longtemps de cela, lors de mes jeunes années, entre 4 et 9 ans environ, il fut refuge et lieu d’aventure, il fut lieu de rêverie, sinon de méditation. Il était cet inimitable dieu tutélaire à l’ombre duquel mon éternelle rêverie trouvait à s’épancher librement. En ces premières expériences existentielles, j’étais déjà atteint d’un tropisme Romantique dont je ne me suis, ma vie durant, jamais départi et, aujourd’hui encore, nulle semaine ne se passe que je ne feuillette et ne lise quelques morceaux d’anthologie tels que présentés par le précieux Armel Guerne dans l’épais volume de 1000 pages consacré aux sublimes textes des Idéalistes d’Outre-Rhin.

   Mais je referme la parenthèse qui, pour en être une, n’en constitue pas moins une étoile où fixer mon orient littéraire. Ma Mère, disposée elle au jardinage, s’occupait d’un petit carré de terre où elle cultivait quelques légumes. Il fallait traverser la rue, qui en même temps était une route, pousser le portail de fer qui donnait accès à la maison de Suzanne C. (nous étions ses hôtes quotidiens), emprunter un trottoir de ciment. Le Magnolia se trouvait à l’angle du jardin. Tout à la fois, il regardait la route et offrait le spectacle des rares véhicules qui passaient, mais aussi le potager et c’était la douceur de la Nature qui fleurissait et s’épanouissait. En quelque sorte, le Magnolia était à la jointure de la Nature et de la Culture, mais ceci, je ne le formulais pas encore, sans doute plus sensible aux larges ramures, aux feuilles vernissées où se reflétait la lumière, aux bouquets odorants des fleurs duveteuses qui étaient comme de maternelles caresses.

    Dans le berceau des feuilles, à califourchon sur un croisement de branches, si je ne refaisais le Monde (ceci serait pour plus tard), du moins en inventais-je un à la mesure de mes désirs et de mes fantaisies. Parfois l’Ami Touguy venait-il m’y rejoindre, mais le plus souvent, mes « Magnoliades » étaient solitaires. Je crois que je comprenais déjà, d’une façon totalement intuitive, le lien indéfectible qui unissait, en un genre de triade, Solitude, Poésie, Romantisme. Manquait-il l’un des termes et alors la rêverie s’effondrait et il ne demeurait plus que les arêtes vives du réel, autrement dit une résistance, une tension, sinon une blessure. Ici, il faut dire combien les choses se relient entre elles, combien les affinités sont confluentes, combien nous sommes Unité avant que d’être dispersion. Je crois que mon Unité d’alors s’énonçait sous le sceau du Langage, rêveries habitées de paroles intérieures, premiers mots posés sur le blanc de la page, tout près d’une résurgence d’eau claire, sur le chemin qui descendait en pente douce vers les prés de la Leyre, rivière aussi tranquille qu’aimée. J’en parcourais les rives aussi souvent que l’occasion m’en était donnée. Tout ceci dessinait la gravure d’une belle et insouciante Arcadie.

   Bien longtemps après ces émotions originelles, parvenu à l’âge adulte, triant de vieux papiers, rangeant des livres, en feuilletant au hasard les pages jaunies, j’y découvrais, au milieu d’une étrange fragrance de papier et de végétal, quelque fleur de Magnolia depuis longtemps abandonnée à son sort antiquaire. La fleur avait pris le teinte bistre du Temps, son odeur surannée, son aspect nostalgique. Je ne sais si ceci était l’œuvre de ma Mère, une oeuvre commune, une fantaisie personnelle. La fleur sèche s’était accrue de la densité du souvenir, avait archivé dans le secret de ses pétales de soie, des rêves, des amours, des espérances. Aujourd’hui, apercevant ce genre d’arbre au hasard de mes promenades, c’est toute la vertu des jours anciens qui fait son efflorescence, c’est une subtile joie qui vient du plus loin de l’enfance, c’est une sorte de retour aux sources que magnifie la chute des jours dans le puits sans fond de la mémoire.

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : ÉCRITURE & Cie
  • : Littérature - Philosophie - Art - Photographie - Nouvelles - Essais
  • Contact

Rechercher