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4 janvier 2019 5 04 /01 /janvier /2019 14:47
Vit-on jamais au présent ?

   « Le passé, est déjà passé.

Le futur, n’est pas encore arrivé »

 

        Œuvre : Dongni Hou

 

***

 

   Peut-on jamais dire un être, préciser son territoire, tracer les contours au gré desquels inscrire sa singularité ? Il y a tellement d’étranges confluences, de confusions et la terre est traversée en tous sens d’itinéraires qui, les uns les autres, s’annulent. Disons, c’est un matin gris pareil à tous les matins du monde. C’est à peine si tu es éveillée, encore attachée à quelque songe qui, nuitamment, t’a requise comme cette ombre que tu devais figurer, mais fuyante, mais immergée dans le marigot des soucis qui, toujours, jettent leurs lianes convulsives à l’entour des choses. En réalité tu ne t’appartenais guère. Mais, chacun le sait pour l’avoir éprouvé, le rêve nous ôte d’une main ce dont il nous fait l’offrande de l’autre. Raison pour laquelle le matin nous trouve hagards, apatrides, privés de la chair dont nous estimions être tissés. Nous ne sommes incarnés qu’à tenter de répondre à la sourde matérialité du monde. D’abord, nous nous éprouvons esprits jetant aux quatre horizons de la pensée, quelques feux afin que notre nuit, éclairée, prenne sens. Ensuite, nous nous sentons âme, c'est-à-dire principe aliéné dans sa geôle transitoire. Nous n’avons que la liberté pour point de mire et c’est à défaut de la posséder que nous errons en nous avec le supplice entaillant les rémiges dont nous aurions voulu qu’elles se déploient, non qu’elles demeurent celées, collées à ce corps qui nous entrave et nous aliène.

   Donc c’est un matin (il est si difficile d’échapper au doux supplice de la métaphysique), mais t’es-tu seulement aperçue, dans le reflet d’un miroir, dans le regard d’un autre qui aurait peuplé ton horizon ? La certitude du regardeur que je suis : tu es seule parmi le vaste monde, grise comme la poitrine du pigeon, la lumière du galet, le ciel lorsque s’invente la neige et que s’installe le long hiver. Ce que tu es, voici : en dette de toi, jamais assurée de qui tu es puisque, même ta parole résonne dans le vide que nul écho ne ramène. Tu entends au loin ton souffle perdu. Tu entends les battements de ton cœur pareils aux faibles sursauts d’une bête blessée. Tu entends comme un clapotis au large de toi, tu essaies de l’envisager à la façon du bruit de tes talons martelant le sol mais la glaise sur laquelle tu penses marcher s’efface à mesure que tu en traces l’évanescente mémoire. Il y a bien, quelque part, la scansion éruptive d’un tamtam et, tu le sais, c’est ton imaginaire qui frappe au coin des choses et revient à toi avec le souffle du vide. Aussi, tu as beau prier tes cheveux de couler doucement sur le dôme de tes épaules, convoquer tes yeux à la fête mondaine, supplier la plaie de ton ombilic afin qu’elle s’ouvre, demander à ton sexe de proférer le langage de l’amour, rien ne répond qu’un dialogue sans sujets, qu’une scène de théâtre sans acteur, qu’une estrade où se donne à entendre l’inaudible chant des étoiles.

   Voici, tu t’es retournée. Mais que guettes-tu donc qui t’aurait échappé ? La trace d’un soupirant ? La parole amie et l’onction d’un réconfort ? Le paysage sublime qui pourrait enchanter ton âme romantique ? Mais cesse donc de produire ces enfantillages qui ne mènent à rien, si ce n’est sur le bord de ta propre perdition. Je vois bien, à ton air inquiet, que quelque chose t’effraie. Que quelque chose te poursuit avec quoi tu es en délicatesse. C’est ton sentiment d’exister qui, en fait, poudroie dans l’éternel silence des choses non dites, lesquelles transitent à bas bruit dans tes yeux bordés de cécité, dans tes oreilles qu’obstruent des bouchons de cire. Oui, tu es dans l’esseulement de toi, le seul qui soit jamais réel. L’esseulement des autres ne te concerne pas. Il n’est qu’une buée, qu’un vague archipel où battent les eaux lourdes de l’indistinct, de l’impalpable. Et puis, les autres, ces fuites à jamais, tu crois les placer en ta garde et ils sont déjà loin qui rient de ton dépit. Ils n’attendent qu’eux-mêmes et ce souci les interpelle si fort que, des alentours sur lesquels tu vis, ils ne perçoivent même pas le faible tremblement que tu émets. C’est pareil à la chute d’une amande dans la forêt pluviale, personne n’est là pour en attester la modeste présence. Tu es inaperçue et cette terre dont tu pensais naïvement être le centre, voici qu’elle te réduit au statut d’étrange objet lunaire perdu parmi les girations des sphères célestes.

   Tu vois bien que tu ne réussis même pas à émerger du fond sur lequel tu reposes. Gris sur gris, y aurait-il plus affligeante métaphore pour dire le non surgissement du néant, la marche sur place du mime, laquelle, sans doute, est la figure la plus aboutie de la dimension aporétique dont, tous, nous ne sommes que les tremblantes effigies. Dans la cellule monastique de ta tête, j’entends se cogner, tels des osselets d’ivoire, des phrases qui ne signifient rien : « Le passé, est déjà passé ;  le futur, n’est pas encore arrivé». Outre que ce ne sont que des truismes, des sortes de jeux d’enfants dans une cour vide battue par le vent, que t’apportent donc ces remuements de matière grise hormis la certitude que l’instant présent, qui jamais ne se détache ni de sa généalogie, ni de sa descendance, n’est que miroir aux alouettes, « poudre de perlimpinpin » pour filer la métaphore scolaire et doucement enfantine. Toi, à l’instar de tes semblables, vous vous rattachiez, comme le bateau à son môle, à cette folle certitude que le temps existait qui portait témoignage de votre passage entre deux infinis. Mais, vois-tu, au final, c’est l’infini qui se présente comme le seul vainqueur. Ne feins pas de croire à toutes les simagrées que t’envoient les phénomènes, ils ne sont là qu’à te réduire en Ophélie, à te dissoudre dans le marécage des questions inopportunes. Le temps qui, soi-disant, tisse ton être, en écrit l’alphabet, en dresse la possibilité d’exister, n’est-il autre chose qu’une fable, une légende, un mythe inventés par un sombre démiurge ayant forgé à ton intention les outils mêmes par lesquels procéder à ton immédiate disparition ? Ramène-moi donc du temps. Concret, palpable, incarné et je souscrirai immédiatement à ta fougueuse hypothèse de vivre. Oui, je souscrirai !

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25 août 2018 6 25 /08 /août /2018 19:39
Piliers de la Nuit

                       Le temple du noir

             (série "Graphique par nature")

                Copyright Denis Davoult

 

 

***

 

 

   [Cet article sur cette belle photographie de Denis Davoult est à entendre comme faisant signe en direction de la relation signifiant/signifié en peinture. Elle joue en écho avec sa gémellité linguistique. Tout mot a deux faces : l’une qui nous regarde, qui est sa manifestation, l’autre qui est invisible, qui en est le signifié, autrement dit l’indéfectible miroir. Ces colonnes du « Temple noir » sont des mots qui appellent leur complétude, tout comme l’Amant (Orphée) attend de l’Aimée (Eurydice) le comblement de son être. Toute œuvre portée à sa cimaise est en souci de ceci : resplendir à partir de sa nuit afin qu’une lumière paraisse, initiant le jeu d’une désocclusion au terme de laquelle l’œuvre parlera et se laissera entendre telle la vérité qu’elle est. Une fois de plus il est fait appel, d’une manière complémentaire à l’image,  à l’art subtil de Pierre Soulages afin d’illustrer notre propos, lequel souhaite faire émerger un sens à partir d’une proposition plastique aussi singulière qu’esthétiquement lumineuse. Certaines Figues de l’art sont incontournables à la mesure du saut interne qui s’y accomplit. Alors, pourquoi nous retiendrions-nous de sauter ?]

 

**

 

   Piliers de la Nuit, vous êtes teintés de blancheurs océanes, de rumeurs d’étoiles. Tout en haut, le ciel est de suie, les nuages sont d’ébène qui dissimulent Céphée et Cygne, Véga est un point perdu dans la flaque bistre, la Lune un pâle reflet qui jouxte Capricorne. Nuit, tu portes au firmament la longue peine des hommes, tu déploies la bannière de leurs rêves si loin dans l’espace que, sans doute, ils n’y ont même plus accès et les images se brouillent dont ils ne saisissent que quelques haillons. Il faut dire l’extrême difficulté de tutoyer les « portes de corne et d’ivoire » (Gérard de Nerval), d’en franchir le seuil, de déboucher dans le monde invisible, dans le désert habité des perles périlleuses de l’imaginaire, des diamants de la folie aux fascinantes facettes. A peine ton œil, aventurier Rêveur, en a-t-il aperçu les inquiétantes icônes et, soudain, tu es perdu pour la communauté des Vivants et, déjà, tu vogues près du Tartare aux étangs glacés et, déjà, ton âme est esseulée qui n’échappera au marécage des émois, aux tourments et aux tortures.

   Piliers de la Nuit, vous êtes beaux parce que redoutables. Jamais l’on n’est attiré par la facile vision, l’objet à portée de la main, l’évidence, là, qui fait sa mince comédie et n’attend que d’être déchiffrée. Piliers de la Nuit, sur vos puissantes colonnes, encore quelques traces du jour, quelques reflets des désirs des Humains qui ne songent qu’à rejoindre la satanique alcôve où brûle l’alcool capiteux de l’amour. On dit la Nuit l’intercesseur des plaisirs, seulement parce qu’il y a mystère à s’enfoncer dans ses plis, à éprouver son bouillonnement, son effervescence au gré desquels s’approcher de l’ensorcelante Mort, en jauger l’attrait puis, tel Orphée, sortir des Enfers suivi de son Eurydice. Mais Eurydice meurt d’être seulement regardée. L’Amour est nocturne ou ne peut être !

   Dans le sein de la Nuit il faudrait demeurer de façon à ce que sa propre passion ne s’éteigne et l’objet sur lequel elle porte. Mais les Hommes sont curieux qui, toujours, après le baiser de la Petite Mort, veulent connaître l’embrasement du jour, la dague tranchante de la vérité. Alors ils sortent de l’ombreuse caverne, orphelins, privés de l’Aimée et l’infini vortex s’empare du centre de leur être et recommence l’éternelle quête de Celle-qui-manque. (Au regard de ceci, tout poème est d’essence orphique, lui qui cherche sa propre signifiance, cette perte à jamais). En réalité c’est leur vide constitutif que les Egarés veulent combler. L’auraient-ils accompli que leur incessante pérégrination nocturne prendrait fin car, en eux, au sein d’une multiple confiance, rougeoierait la gloire de leur plénitude. De ceci seulement ils sont affairés car l’Autre, toujours, est de surcroît. Car l’Autre est constamment présence destinée à obturer une absence. Oh, ceci, ils ne le reconnaissent nullement. Il y aurait indécence à en formuler la tranchante affirmation. Et pourtant, du fond de leur lucidité - cette lumière -, ils savent que l’enjeu fondamental est celui de la solitude dont, jamais, la condition n’est envisageable. Solitude est lieu du pur non-sens. Alors ils lancent des filins dans toutes les directions de l’espace, espérant, ici, dérober un flocon d’existence, là, l’écume d’un don.

   Tout ceci qui apaise et situe au plein de son être, les Esseulés l’entendent en tant que Jour venant dissoudre Nuit, Lumière effaçant Ombre. Les Artistes - ces consciences avancées -, en sont les habiles metteurs en scène qui font surgir du noir de la nuit la clarté qui pourrait les en affranchir. Ainsi Pierre Soulages qui édifie son Temple de « l’Outre-Noir », cet astucieux concept esthétique hissant de l’obscur cette lueur hautement signifiante, comme si la toile scarifiée tirait de sa propre matière l’essor nécessaire et suffisant permettant de s’abstraire d’un trop aliénant coefficient de réalité. Passage dans une manière « d’outre-monde », non péjoratif cependant puisque transcendé par l’art, il conduit aux cimaises qui n’ont plus d’attaches terrestres, seulement la fluidité d’une pure Idée. Ici, d’un coup de spalter vigoureux ou bien d’outil cranté, l’Artiste-Orphée se sauve tout en sauvant son Œuvre-Eurydice car c’est du Noir lui-même (l’Obscur, le Tartare) que se lève la grâce éclairée d’une sortie hors-monde (« l’Outre-noir »), là où même la Mort ne saurait frapper, elle qui manigance ses sombres desseins et affûte sa faux dans l’ombre portée des Condamnés.

   Si la Mort fomente ses basses œuvres afin d’atteindre un Au-delà, qui ne saurait avoir de nom, ni de sens, si ce n’est celui d’un dogme falsifiant la matière même du réel, elle ne saurait avoir de prise sur cet « Outre-noir » qui est tout sauf l’antre d’une métaphysique. Si cette dernière, la métaphysique,  clive d’une manière radicale la dualité Matière/Esprit et donc sans qu’il soit aucunement possible d’établir une continuité de l’une à l’autre (sauf par l’entremise du Saint-Esprit), la Matière Noire de Soulages tire de son propre événement les conditions mêmes d’une modulation de son être qui ouvre un nouvel espace de figuration. Il résulte de la translation du corps physique de la peinture en son aura spirituelle, ce nouvel « espace mental » - selon la belle désignation de son inventeur -, lequel, s’il semble se détacher de son fondement, n’en garde pas moins des attaches qui le relient au monde de la perception-sensation, ce que, bien évidemment, ne saurait faire la métaphysique en son idéologie offensant la réalité, lui faisant violence au prix d’une rupture de la signification habituelle attachée aux enchaînements rationnels des causes et des conséquences.

   Si « l’Outre-Noir » ne saurait pour autant se définir par un strict rapport d’influences communes entre la matière et son effervescence sous la forme lumineuse, cependant un lien existe entre ces deux états de la vision. Il est semblable au rapport du signifiant (le noir) et du signifié (l’envol lumineux) en linguistique qui, dans le cas qui nous intéresse ici, est la transformation de l’œuvre terrestre et matérielle en son sens spirituel qui en accomplit la totalité signifiante. C’est un peu comme si la face noire du tableau du Peintre était l’avers d’une pièce de monnaie qui épiphanise son être, alors que ce dernier serait son envers, là où il dévoile son essence, et la carnèle, cette mince lisière (les stries où vibre la lumière) jouant le rôle médiateur entre les deux faces de cette même réalité. Puisque, aussi bien, un étant ne saurait se priver de son être, vérité bien entendu corrélative.

   Souhaitant mettre en exergue cette insaisissable présence, Henri Focillon utilisait la métaphore du « halo » (tout aussi bien on eût pu lui substituer celle de « l’écho ») -, halo à l’aune duquel la forme plastique s’envisage à la manière d’une « fissure » qui autorise sa propre dissolution par laquelle physique et spirituel s’entr’appartiennent sans que l’on sache bien définir le lieu de leur rencontre. La chose essentielle demeurant ce sens qui se lève de la forme initiale, la portant à l’entièreté de sa présence. Seuls les Voyeurs des œuvres qui en appréhenderont cette étonnante dimension seront au foyer même de ce qui se dit dans ces énigmatiques polyptiques qui vibrent depuis leur centre d’irradiation.   

   « Piliers de la Nuit », médiateurs du dicible et de l’indicible, du signifiant et du signifié, du visible et de l’invisible, « vous êtes teintés des blancheurs océanes, des rumeurs des étoiles ». Voici, nous avons fait retour aux prémisses de cet article. « Blancheurs », « rumeurs » sont les manifestations à la limite d’une invisibilité de ces lourds piliers qui en falsifient la présence. De simples lueurs en irisent la surface, glissent, éclairent la matière dense, profonde, immuable, pachydermique à proprement la nommer. « Blancheurs, rumeurs », telles les incisions du signifié sublimant le signifiant, le portant à son être. Le hissant des ténèbres auxquelles sa nature opaque le destine tant qu’une parole ne s’est annoncée pour en effectuer la mise en relief. Tout est toujours relié à l’ouverture de notre entendement. Le monde ne se dévoile qu’à cette mesure. Se comprendre dans le monde, décrypter la forme qui y apparaît en tant que cette sibylline effigie, c’est devenir soi-même forme interprétante dont le sens est la figure obligée. Nul ne pourrait s’y soustraire qu’au risque d’une éternelle confusion.

   Cette image dans sa simplicité, dans le procès dialectique du noir et du blanc qu’elle institue, en actualise l’étonnante question. C’est pourquoi elle nous requiert telle notre ombre qu’il nous faut porter à la lumière. Ainsi est la voie de tout destin humain.

  

 

 

 

 

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4 août 2018 6 04 /08 /août /2018 15:06
Un lieu où habiter

                   Photographie : Blanc-Seing

 

 

***

 

 

   Nous sommes dispersés. Parfois nous ne savons plus ni le lieu de notre habitation, ni celui de notre être. Tout vogue et tangue à l’infini selon la vitesse de la lumière. Les éclats du jour ricochent sur le globe blanc de la sclérotique ; les bruits sont des trépans, des diamants qui forent la cochlée ; les mouvements des hordes de gestes sous lesquels nous sommes pris tels des insectes prisonniers d’une cloche de verre. Alors nous nous débattons, nous fixons les choses du monde avec inquiétude, nous essayons de happer, ici une éclisse de joie, là un instant de fugace bonheur mais les objets de notre fascination sont indociles, sculptés sur le mode de la fuite. Nous vivons en état de sidération, inaccomplis face à ces figures dont nous pensons qu’elles sont celles d’une incontournable adversité.

   Cependant nous ne pouvons demeurer dans cette fixité qui menacerait de nous abandonner en rase campagne. Nous croyons n’avoir d’autre choix - étique liberté -, que de nous en remettre au saisissement de la première réalité qui passe, à l’événement fortuit surgissant d’une fiévreuse actualité, à la rencontre d’une altérité en reste de soi, égarée parmi les aléas multiples des lieux communs et des errements sans fin. Nous sommes trop immergés dans la densité mondaine et, en raison de cela, aveugles, sourds, mutiques. Pris dans un filet tressé de poix nous n’avons plus d’autonomie qu’à nous laisser balloter au gré de flots contraires, dont le nom usuel est celui de « destin », dont la finalité est de nous aliéner, de nous conduire sur le rivage d’un futur sans avenir, dont le souci est de conspirer à notre fin.

   Le jour n’est pas encore le jour, l’heure n’est pas tout à fait l’heure, seulement un long étirement du temps semblable à l’élongation du félin sous son parapluie d’ombre. D’ineffables postures, une venue à la vie sur le mode de la lenteur, l’ouverture d’une corolle dans la discrétion d’une note dissimulée, une brume qui se confond avec le tapis d’eau dont elle émerge. Les arbres ne sont pas encore les arbres, le ciel est en attente de son être, le soleil un œil blanc qui tarde à s’ouvrir, l’homme face au paysage une aube dont le tissu se donne dans la retenue, l’hésitation, le dépliement tant rêvé qu’il semble flotter au loin de lui, à peine une chimère dans l’instant qui doute.

   Ce qui est singulier dans cette heure immaculée, c’est le suspens dont elle procède, cette sublime halte, ce repos avant que l’exister n’enclenche ses rouages, que l’horlogerie mondaine ne fasse basculer ses cliquets, n’entraîne ses pignons dans ce qui, bientôt, tissera le devenir de la nature et des figures  de Ceux et de Celles qui, au gré de leur langage, pourront témoigner de cette exception. Ici est la naissance d’un lieu du monde et le nôtre propre. Nous co-naissons à l’univers. Nous participons à sa présence tout comme il détermine le déploiement de notre essence. Etrange relation duelle par laquelle chaque être en appelle à l’autre afin que, de cette soudaine empathie, se dévoile le phénomène, se donne la mesure confondante de la manifestation. Soudain, nous sommes dans la surprise d’exister et ceci ne peut trouver son site que dans ce moment du passage, lui qui articule temps et espace en les configurant comme producteurs de sens. C’est seulement parce qu’il y a passage que le premier mot du jour peut paraître. De l’aube à l’aurore s’accomplit ce qui, dans l’expérience de la langue, consiste en sa belle rhétorique, ce signe avant-coureur de toute sémantique. Une histoire trouve le site de son essor, une épopée se montre dont toute néantisation sera la victime expiatoire.

   Aube. Issue d’alba, « blanche » en latin. L’aube, en sa nature essentielle est le don originaire sur lequel jour, lumière et signification prennent appui. Elle est un convertisseur de temporalité, une eau lustrale où chaque chose se trouvera baptisée, nommée, installée en son potentiel le plus exact. Il n’y a pas de nécessité plus grande que d’affecter aux choses un prédicat qui les fera sortir de l’anonymat du non-dit, du meurtre qu’il perpétue à seulement retenir le langage dans sa gangue de pierre.  L’ombre nocturne qui avait tout effacé, aussi bien le profil humain que la nature, voici que l’aube en assure la ré-émergence, au seul prix de son coefficient de métamorphose. Située entre nuit et aurore, sa blancheur, sa matité, son opacité, son aspect de rien et de totale vacuité sont les ouvertures par lesquelles elle espacie le réel, lui octroie souffle et respiration. S’il n’y avait cette césure installée entre ombre et lumière, ni l’ombre ni la lumière ne pourraient proférer quoi que ce soit et le monde demeurerait aphasique.

   Ce que nous pourrions nommer « espaces sacrificiels », que Rilke appelait « aventure silencieuse des espaces intervallaires », (blancs, silences, vide), ces entités douées de mystère possèdent une remarquable vertu ou bien une valeur oxymorique qui extrait de leur néant apparent le registre plein de la signifiance. Le réel est trop dense, compact, impénétrable pour qu’il apparaisse d’emblée à la conscience en sa forme achevée. Il faut en déplier les fragiles élytres, patiemment, en faire lever le germe originaire de manière à installer la mécanique d’une genèse, à créer la temporalité en sa constante oscillation, en son intime pulsation.

   Le silence, la retenue au bord de la parole, la scansion, les ruptures sont les voies que choisissent les choses pour instiller en nous leurs ressources propres et nous communiquer la pâte signifiante dont elles sont pétries, dont nous devons faire l’expérience dans le creuset - un autre vide -, de notre âme. Elle, l’âme, n’est jamais emplie qu’à être, en substance, une outre infiniment disponible à l’accueil des objets du monde, des floraisons du langage. Tels des mots qui jouent en écho la partition du monde, ne sommes-nous des « espaces intervallaires », des mots séparés de silence que nous ne comblons qu’à nous sentir exister ? Ne sommes-nous pas ? Un lieu où habiter, peut-être est-ce ceci que nous demandons à l’aube, péniblement levés dans notre étrange destin d’hommes ?

 

 

 

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9 mai 2017 2 09 /05 /mai /2017 08:33
 Peignait l’invisible.

« Sans toile et sans décor ».

  Oeuvre : André Maynet.

 

   

 

   D’abord, Zéro, Rien.

 

   D’abord, Zéro, Rien, comme une touche d’Absolu qui ferait son clapotis d’éternité. Pas de temps, pas d’espace, pas encore de lumière. Front de la nuit contre front de la nuit. Yeux pas encore éclos, pas encore exhumés de la gangue de bitume où sourd l’Infini avec ses turbulences folles. Mains soudées, mains-moignons qui ne disent ni l’acte de saisir, ni celui d’aimer dans l’immédiate préhension de ce qui est. Bras esseulés, disjoints, l’un n’ayant nulle connaissance de l’autre, qui ne peuvent ni embrasser la présence ni tailler une argile pour en faire une esquisse. Jambes-pieux plantées dans le miroir du doute. Existent-ils les pieds dans l’amertume du jour, dans la verticalité-couperet de l’heure ? Larges ventouses soudées à l’immanence. Orteils comme cinq questions terrestres qui ne trouvent de réponse. Et l’ombilic perdu dans son propre remuement ! Désolation de la désolation : rien ne profère et le silence est un grondement qui perfore les tympans de l’âme. Et le sexe révulsé qui ne connaît rien du plaisir, qui brûle de ne point apprendre de la volupté. Feu des reins immolés à l’absence de désir. Dans le golfe du ventre dansent les rumeurs du non-advenu. Et les doigts-pendeloques sont un cristal qui pleure et de longues gouttes blanches glissent dans la poche étroite de la conscience. Où le monde qui pourrait être ? Où la voix qui s’élèvera ? Où le Prophète qui dira la marche à suivre et ses yeux seront des soleils avec leurs meutes de rayons cabossés, avec leur sombre rutilance, avec leur dard de braise qui intimera l’ordre d’ÊTRE enfin, de ne pas demeurer sur le bord de l’abîme. L’abîme, comment le franchir, comment traverser le cercle de feu et ne point révulser sa crinière ignée qui, autour de l’enclume de la tête fait ses assourdissants coups de gong ? Comment ? Mais pourquoi donc ce vide ? Pourquoi les hallebardes de la question qui forent le creuset de l’intellect jusqu’à la folie ? Pourquoi le Ciel ne se déchire-t-il pas ? Pourquoi la Terre n’écarte-t-elle pas ses entrailles ? Ce serait une telle joie de voir ses canaux souterrains, ses lacs de lave rubescente, ses colonnes de calcite blanche pareilles aux décisions d’un Démiurge ivre ! Ô pourquoi tant de densité, de murs opaques, de parois intranslucides qui serrent le métal des tempes et la pensée est un insecte noir dont le buccinateur bégaie. Ô sourde aphasie qui entaille, triture les mots ! Ils ne sont que copeaux, éclisses d’étain qui perforent le cuir de la peau. Sacrifice, épreuve, mise aux fers, mais pourquoi ? Alors les mains se mettent en étrave, le visage devient coin d’acier, les oreilles sont des vrilles bourdonnantes, le bassin s’amenuise, les hanches-rabots érodent la matière, les cuisses-varlopes font leur grincement laborieux, les planes des pieds girent à la vitesse des toupies. Tout, autour de soi, s’effondre. Les murs-forteresses se délitent, les hauturières geôles montrent leurs entrailles, l’empreinte des Prisonniers qui ont déserté la Caverne d’ombre et d’illusions. De grosses poulies de bois flottent dans l’espace vide. Des serpents de cordes fouettent le Rien de leur hargne de chanvre. Les escaliers à double révolution montent et descendent. Montent vers la Vérité. Descendent vers le Mensonge. Entre les deux, les passerelles du vertige qu’ornent les haillons des premières certitudes. Est-on seulement arrivé à la Vie ? La Vie aux crocs de chien, aux déchirures bigarrées, aux tiraillements en forme de desquamations ? Ou bien la Vie aux lèvres peintes, aux ongles ripolinés, aux corolles blanches sur des désirs inconsommés, retournés sur leurs spirales, prêts à bondir et à déchiqueter, à aimer avec violence, à manduquer l’Autre. La Grande Mante Religieuse est là avec ses mandibules de titane qui brillent dans l’Inconnu. En serons-nous les victimes expiatoires, serons-nous pendus au bout de quelque gibet avec la tête bleue battant la poussière, avec le ressort éjaculatoire ayant rendu son dernier jus et les arabesques des mandragores faisant leur sympathie d’outre-tombe ? Mais sommes-nous donc si invisibles que personne ne nous voie ? Que nous demeurions occultés, soudés dans un éternel signe d’irrecevabilité ? Mais QUI dépliera donc nos bandelettes, insufflera dans nos corps de momies le sens qui nous délivrera de notre destin d’hiéroglyphes ? Il fait si sombre lorsque nul déchiffrage n’a lieu. Si sombre !

 

   Peignait l’invisible.

 

   Sur le fond d’absence, il y a soudain comme une Emergence Blanche. Oh, rien de bien assuré. Seulement le vol d’une poussière, la trace d’une plume, le flottement d’une cendre dans le ciel lissé de vent. Une silhouette debout, un mince menhir qui fait sa vibration de pierre. Une à peine apparence de ce que pourrait être la beauté si, un jour, il advenait qu’elle pût prendre corps et faire du tumulte de chair la justesse d’un cosmos. Le chaos est si éprouvant quand il martyrise la pensée et réduit l’anatomie à l’existence de la feuille morte envolée par le vent ! Mais oui, cela s’éclaire. Mais oui cela commence à parler. Cela fait son mystérieux logos, cela dresse le pavillon de la Raison, cela hisse haut l’oriflamme du Langage. « Tout est langage » dès l’instant où les apparences parviennent à leur désocclusion. Ce qui était mutique - les choses, l’eau, l’arbre, la liberté, l’amour -, deviennent immensément lisibles et l’arche de la compréhension dresse sa certitude dans la rumeur de la lumière. Que voit-on dont Emergence est la Grande Prêtresse, elle qui semble vouer un culte au Rien, à l’Invisible en sa muette présence ? Un chevalet est dressé dans un ovale de clarté. A moins qu’il ne s’agisse d’une guillotine ? Qui voudrait couper la tête de l’Hydre aux sept têtes, mère du vice qui vit dans les marais de la corruption, corruption qui retourne au Néant dont elle provient. Mais ne nous égarons pas. C’est bien un chevalet avec ses pieds rassurants, son cadre vertical, sa potence où accrocher la toile. Mais la toile où est-elle ? Mais le Modèle où est-il ? Nous sommes si désemparés dès que l’image posée devant nous s’exonère des conventions de la représentation. Nous attendions la paroi rassurante d’une toile de lin, fût-elle vierge. Nous supputions un objet à reproduire, humain ou bien, peut-être, simples fruits s’offrant à l’exercice d’une nature morte. Et voici qu’il n’en est rien. Au sommet du bras d’Emergence, une brosse dont les soies paraissent vierges, épargnées de n’avoir point touché la couleur. La blouse de l’Artiste - ou bien de la Déesse ? -, est une vague neutre, une manière de bouillonnement discret sur la tunique étroite du corps. Les jambes sont celles d’un éphèbe, peut-être d’un être androgyne dans la jeunesse de son temps, dans une possible virginité. Une bouteille flotte à terre. Elle ressemble à ces cylindres de verre dans lesquels, autrefois, on enfermait la fragile goélette ou bien le brick toutes voiles dehors. De quel voyage s’agit-il dont nous n’aurions aperçu l’étrange destination ? On en conviendra, cette scène ressemble à quelque chose de si élémentaire, de si innocent que l’on pourrait penser au début d’une histoire, à une origine en attente de sa propre révélation.

 

   L’invisible en son énigme.

 

   Nul besoin d’un subjectile, fût-il pierre ou bien carton, pour peindre l’Invisible. Le geste suffit, la pensée orne, l’imaginaire éploie. Tout va du signifiant originaire en direction du signifié vers lequel il porte sa forme et la révèle comme la plénitude qu’il est. Pareille au symbole, cet objet matériel qui sert de marque de reconnaissance aux initiés. Un Initié tient en sa main un tesson de poterie dont l’autre Initié porte le fragment complémentaire qui, emboîté avec ce qui l’attend, va porter à la visibilité l’entièreté de la signification. Par exemple deux moitiés de Colombe et voici que surgit l’Idée de Liberté. L’envol de l’esprit est ce par quoi on échappe à l’aliénante pesanteur des choses.

   Ce à quoi nous invite Emergence - cette si belle nomination qui signe l’évolution dans l’être -, n’est rien moins qu’évoquer ce qui, toujours, nous échappe, le temps, la totalité de l’espace, l’universalité de la connaissance, l’Autre, le Soi dans sa touffeur équatoriale. Autrement dit l’invisible en son énigme après quoi nous courrons tous sans bien en discerner la finalité, la cible ultime.

 

   Peignait le peuple du Ciel.

 

   Le vol de l’oiseau pour plus loin que lui. Cette infinie plongée dans l’espace. Un trou creuse l’air. Des volutes s’amassent en arrière du corps, ouvrant des tresses qui, bientôt se dissolvent. Peignait le silence des rémiges, la courbure de l’air, le passage du vent dans la folie des hommes. Parmi le flottement inquiet des nuages. Posait sur la toile absente les signes illisibles, l’appui de l’aile de la libellule sur l’âme du Poète. Dessinait l’efflorescence du paon, l’extase de sa roue, ses clairs ocelles où vibrait l’infinie conscience du cosmos. Convoquait le Simorgh des anciens Perses et, avec lui, le labyrinthe complexe du mythe, l’effervescence solaire de la spiritualité. Peignait les vallées métaphoriques du désir pourpre, les monts élevés de la connaissance, les rives abruptes de l’amour, les gorges étroites de l’unité, les avens vertigineux de la stupeur. Esquissait le sublime don des étoiles, le rayonnement des comètes, la passion étincelante des météorites, l’étrange magnétisme des aurores boréales.

 

   Peignait le temps.

 

   Peignait le temps. Sa fuite en arrière dans les allées immenses du souvenir. Sa flèche vers l’avant avec sa pointe acérée, son empennage de plumes qui faisait sa rumeur d’espoir fou, sa pulsation intime pareille au battement rapide de l’avenir. Peignait le point fixe du présent, ce centre si étroit qui se diffusait en un train d’ondes concentriques jusqu’à l’évanouissement, à la disparition, au saisissement. Peignait l’à peine réalité de la réminiscence proustienne, la Sonate de Vinteuil, les subtils remous qu’elle imprimait dans l’âme de Swann, la naissance de l’amour tumultueux pour Odette de Crécy. Peignait le vide absolu, le trou du Néant que convoquaient les « intermittences du cœur ». Effleurait la vacuité des « impressions obscures », l’image d’un nuage, la pointe d’un clocher, la corolle d’une fleur, tout ce qui, à Combray, pour le jeune Marcel se donnait à voir « à la façon de ces caractères hiéroglyphiques » du réel, ces subtiles touches qui s’effaçaient et plongeaient dans le vertige du souvenir. Peignait la peinture. Peignait l’art. Peignait SOI dans le constant remuement du monde.

 

   Peignait SOI.

 

   « Sans toile et sans décor » nous dit le titre de la toile. Reste à ajouter, afin de porter la présence à son ultime parole : sans chevalet, sans brosse, sans medium. Seule la figure humaine en son épiphanie, DE DOS. Comme si le langage s’était retourné et connaissait le silence. La seule façon de s’entendre avec soi-même. Silence qui joue en écho avec l’invisible. Tout, autour de soi, ne devient apparent qu’à la mesure de l’éclairement de la conscience qui se porte au chevet des choses. Les humains cesseraient-ils de voir et tout retournerait dans de ténébreux limbes. Puisque l’homme, et lui seul, confère sens et valeur aux contours du monde. Mais le monde supposé néantisé, en deviendrions-nous pour autant plus visibles à ce que nous sommes en notre essence ? A savoir des hommes doués de raison, de langage, de jugement ? De corps aussi, bien évidemment.

   A être SEUL, à tout focaliser sur soi, nous devrions être immensément révélés en tant que cette singularité visible, excipant des autres formes, de leur multiplicité qui, le plus souvent, brouillent le message dont elles sont censées être la manifestation. Et pourtant, cette sublime autarcie qui devrait nous installer dans une immédiate compréhension de nous-mêmes puisque nous serions le seul objet à saisir, voici qu’elle nous conduit à différer de nous, à ne plus nous percevoir que comme un signe évanescent sur le bord d’une perte. Etant sans distance par rapport à notre propre effigie existentielle, nous sombrons dans une étrange myopie qui nous dépossède de nous et nous prive de notre propre image. Nous sommes devenus INVISIBLES à notre propre conscience et nous flottons longuement dans les marais de l’inconnaissance.

 

   Sa sinueuse pulsation…

 

   Alors il nous reste à nous retrouver, à réintégrer la citadelle de notre être, car nous ne pouvons nous résigner à cette finitude que nous pensions n’être qu’une hypothèse. Nous nous saisissons d’outils par lesquels dire notre propre monde. Un pinceau, une palette, de la couleur, un carré de toile où graver les stigmates de la présence. C’est toujours SOI que l’on peint, sculpte ou grave sur le subjectile qui témoigne de qui nous sommes, un passage avec ses remous et ses empreintes. C’est toujours SOI que l’Artiste représente. Décor, toile, brosse, modèle ne sont que les épiphénomènes dont il ou elle s’entoure à la manière d’étranges et inévitables satellites. Tel un aimant qui attirerait la limaille de fer. Altérité jouant en miroir avec l’égoïté. Présence du Monde parce que le moi-sujet en prend acte et le pose comme instance dialogique. Alors qu’il ne s’agit que d’un colloque singulier, d’un immense monologue qui résonne dans le vide.

« D’abord, Zéro, Rien, comme une touche d’Absolu qui ferait son clapotis d’éternité ».

   Une manière d’éternel retour du même, de cercle herméneutique répétant de temps en espaces cycliques sa sinueuse pulsation, sa sinueuse pulsation, sa sinueuse pulsation……

 

 

 

 

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22 février 2017 3 22 /02 /février /2017 09:21
Regard, ce don infini.

Œuvre : André Maynet.

 

 

 

 

   Tout allait de soi.

 

   Au début, au tout début, c’était pure évidence. C’était une lame de cristal qui partageait le ciel de sa droite décision, de sa volonté d’imprimer aux choses la flèche d’une vérité. Tout allait de soi. Le monde était monde à seulement prendre acte de sa courbure infinie pareille au destin des comètes, au trajet lumineux des étoiles. Rien ne différait d’une beauté immédiate. Le ciel regardait la terre qui reflétait l’eau et cela faisait une immense arche jusqu’aux limites de l’éther, cette jonchée de mariée qui parcourait l’espace de sa longue traîne, effusion que jamais ne clôturait la geôle de quelque insuffisance. Sublime musique céleste qui résonnait jusqu’au cœur de la matière. Dans le tronc d’écailles de l’arbre, au creux du vallon empli de fraîcheur, au centre du rocher qui faisait son gonflement de granit ou de basalte. Tout s’immisçait dans tout avec confiance et les choses confluaient naturellement, grain de sablier entraînant l’autre grain dans une farandole qui semblait inépuisable. C’était à peine un murmure de l’univers comme si, doué des vertus de sa jeune virginité, ses ressources étaient inépuisables, si riches en significations que rien ne servait de parler, de démontrer, de faire signe, miel qui coulait de soi avec l’insouciance des choses justes.

 

   La pointe d’un diamant.

 

   Regard - Regard. Là était le centre du mystère en même temps que son dévoilement. Mystère, dévoilement, étrange binôme dont un terme appelle l’autre, une image son reflet, une parole son écho. Mystère du regard qui interroge et trace sa route à la mesure de son pouvoir éclairant, de son principe de désocclusion. Le regard vise l’ombre et l’ombre s’écarte, se dilate, ouvre ses lèvres d’abord selon le rythme d’un clair-obscur, puis s’illumine de l’intérieur, se déploie comme les ailes phosphorescentes du rhinolophe sous la laitance d’une lune gibbeuse. Etrange et ensorcelante clarté qui rend les doigts diaphanes, les lèvres ourlées de subtil incarnat, le bouton de l’ombilic pareil à une braise sur le bord d’un dire, à moins qu’il ne s’agisse d’une retenue, d’une frontière entre extérieur et intérieur. Mais non. Nul partage. Jamais la lumière ne trouve de limite, les yeux d’obstacle qui les déporterait en-deçà de leur exact pouvoir d’éclairement. A l’origine il faut imaginer ceci : la sclérotique est blanche, dure comme un marbre, lissée d’une pluie de phosphènes, poncée jusqu’à l’âme. L’iris est cet éclat d’émeraude et de turquoise où joue le clavier des réflexions, où rebondissent les images de tout ce qui est présent dans sa livrée initiale. La pupille est un sombre tunnel, un mince oculus, la pointe d’un diamant qui fore loin, jusqu’au moindre détail qui clignote, ici ou là, dans le grand jeu de la représentation mondaine. Fulgurations, pulsations, déflagrations, éclatement du réel en son point de rupture. Mais ceci ne veut nullement signifier sa mise à mort. Bien au contraire extraction de sa puissance, multiplicité de sa parution sous le signe de la joie nécessaire, du luxe à faire briller, de la plénitude à atteindre à l’aune du simple, de l’infiniment inapparent, du menu en sa charge de beauté.

 

   L’amour en regard de l’amour.

 

   Dire le regard en tant que possibilité de mise au jour du monde, désigner les yeux tels des miroirs étincelants, c’est pointer en direction d’infinies images spéculaires qui, dans la pureté de leur première apparition, ne reflètent que cette harmonie des choses en leur innocence. Dire les yeux qui regardent les yeux c’est dire l’amour en regard de l’amour (en regard est à comprendre ici comme une nécessité autoréférentielle dont l’amour use et se dote afin que, situé au foyer de ce qui est essentiel, il mérite de recevoir le don d’une éternité), dire les yeux en leur pureté donc, c’est s’appliquer à voir avec générosité, envisager toute rencontre sous la juridiction d’une oblativité, tout échange comme pouvoir fécondant des affinités, cet indissoluble lien qui se tisse entre les Existants et les remet dans l’orbe d’une royauté humaine. Oui, dès l’instant où les yeux ne sont encore nullement atteints d’une taie qui recouvre leur pouvoir de conscience, leur devoir de lucidité, leur attente de sens, alors ils ne visent ni ce qui effraie et angoisse, ce qui divise et sépare, ce qui blesse et aliène. C’est lorsque le regard s’égare qu’il ouvre la voie aux apories, aux tristesses, aux avenues de la haine, aux dagues des revanches. Et, ici, nulle complaisance ou naïveté. Seulement le constat que l’amitié, l’affection, une juste sensibilité sont les perspectives d’une compréhension ouverte de soi d’abord, de l’autre ensuite qui est logé au centre de notre vision.

 

   Regarder l’image en sa parole.

 

   Sans pour autant lui attribuer valeur allégorique, comment conférer à cette image la juste place qui lui revient dans le contexte d’énonciation qui nous occupe ? C’est d’abord le regard qui doit être visé. Celui de Discrète ou bien d’Absente, tous prédicats équivalents pour elle qui se présente à la façon d’une fuite, d’un évitement, peut-être de la perte de quelque chose qui rassurait, unifiait et, maintenant diverge de soi, met dans l’inconfort existentiel, place tout au bord de l’abîme. L’essai de nomination, aussi bien, eût pu s’enquérir de Juliette en guise de référence. Qui est-elle, en effet, cette Juliette éplorée qui se tient dans l’encadrement de sa fenêtre telle l’héroïne de Shakespeare sur son balcon avec l’espoir fou que Roméo apparaisse afin que cet amour de jeunesse puisse trouver son naturel accomplissement ? On sait que le drame de la pièce pose le fil rouge des amants maudits, mortel archétype qui se situe à l’exacte jointure du désir et de son contraire, cette finitude qui rôde en filigrane de toute relation amoureuse. Désirer est seulement repousser la Mort, lui damer le pion l’espace d’une étreinte. Pour cette raison ce sentiment passionnel se double toujours de son revers meurtrier. Ceci est une réalité indépassable.

 

   Le regard est oblique.

 

   Mais il faut revenir au regard puisque nous sommes partis de lui. Le regard est oblique, perdu dans un illisible déchiffrage, comme exilé du personnage qui est censé l’abriter, le porter au devant de soi. Le regard est sorti de sa mission qui est celle d’archiver les images du monde. Les questionner, trouver en elles, ces multiples visions, sa propre justification qui n’est jamais que celle de l’autre qui, parfois nous aliène, souvent nous renie, toujours nous réalise tel ceux que nous sommes, des êtres en attente, en demande. Muette supplication dont l’amour est la pierre de touche, le sentiment ce qui le féconde, la prière ce qui le place sur la dalle levée du sacré. Comme un absolu à atteindre qui procède, à mesure de nos pas en sa direction, à son tragique effacement. Car tout fuit que nous pensions tenir. Car tout s’immole à son propre feu. Aussi bien la passion dont la consomption laisse les yeux vides et le cœur déserté. Visage blême comme celui d’un Pierrot sans sa Colombine. Figure lunaire lorsque le soleil est de l’autre côté de la Terre et que ne demeure que son souvenir maintenant effacé, privé de son rayonnement.

 

   Corps meurtri. Si précieux le regard.

 

   Epaules basses d’un destin lourd à porter ? Haut de la poitrine ceint d’une large bande blanche : renoncement à être, ligature du sens, contention qui retient le souffle, bride le cœur, ses battements, son rythme de vie ? Bras croisés en signe de protection, d’abandon, de lassitude ? Mais quel est donc le danger qui menace si ce n’est le reflux de cet insaisissable amour dont le Sujet semble délesté, perte prochaine dans des dérives hauturières dont le but n’apparaît jamais hormis celui d’un néant proche. Ne restera plus que le recours au songe, à son illusoire étreinte, l’addiction aux fantasmes de l’imaginaire, ces irreprésentables qui dépossèdent de tout jusqu’au territoire de sa propre personne. Qu’indique le vide de la fenêtre contiguë, sa figuration partielle, sinon le territoire d’une incommunicabilité ? Et cette échelle qui plonge dans le vide, qui se précipite rapidement vers l’abîme, nul ne la situerait comme celle dont les pas de Roméo feraient trembler ses barreaux sous la hâte à rejoindre son Amante. Image du soliloque interne que rien ne saurait distraire de son souffle froid, de son vide infini, de son silence où pourrait se lever le vent de la solitude, briller la flamme de la folie. Aucun regard qui tendrait sa braise vers cette ellipse d’être, cette presque disparition à soi. Comme un ascète livré au désert qui l’appelle mais le rejette comme celui dont l’offense est de vouloir rejoindre Dieu, cet inconnaissable. Et ces teintes de gris, ces corridors anticipateurs d’une ombre définitive, que veulent-ils placer en exergue qui ne serait l’esquisse d’une infinie tristesse ? Le plus terrible qui se puisse imaginer : perte de l’amour, donc disparition d’une lumière à l’horizon d’un cheminement qui semble devoir se terminer par une impasse, un lieu où ne profèrerait plus aucune parole, où ne brillerait plus le feu de la conscience. Mais rien ne servirait d’ajouter du tragique au tragique. Nous pourrions baisser le store, claquemurer la fenêtre, ôter l’échelle qui conduit Eros là où toujours il a rêvé d’être, dans le cœur épanoui de Celle qui l’attend. Ou bien alors nous fermons les yeux, en biffons toute vision, ce qui serait une identique entreprise de conduire le réel à sa nullité. Le regard est si précieux qui nous dit le chiffre secret de l’être. Si précieux le regard !

 

 

 

 

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12 février 2017 7 12 /02 /février /2017 10:01
Epiphanie spéculaire

Six Février.

Œuvre : François Dupuis.

 

 

 

 

   Soi face à soi.

 

   Ce qu’il faut envisager c’est ceci. L’atelier est plongé dans une sorte de clair-obscur, condition indispensable d’apparition de l’œuvre d’art. La forme ne sort jamais que de l’ombre dont elle est tissée, que l’Artiste porte à la lumière. A l’origine il n’y a rien que cette page anonyme d’une éphéméride qui attend d’être maculée de quelque contingence, un rendez-vous, des fusains à acheter, un médium à appliquer sur une œuvre terminée. Seulement de minuscules événements dont jamais la fluence ne s’interrompt pour la seule raison que c’est leur destin de croître dans l’urgence et de se disséminer dans les hasards du jour. Simples irrésolutions que le temps efface comme la feuille envolée par le vent, qui ne paraît plus à l’horizon de l’homme. Donc rien à l’origine. Une page en attente de trouver son utilité, de figurer en tant qu’outil à la disposition de son possesseur. Mais regardons maintenant le dessin en train d’advenir à lui-même, d’abord. Car c’est de lui et uniquement de lui dont il est question comme s’il procédait, d’une manière autarcique, à sa propre exécution. Le graphite fait ses hachures, produit ses ombres, laisse ses réserves, module ses courbes de niveau, trace les frontières de sa topologie, ouvre l’espace de sa géométrie. Cela même qui n’était que support pour une simple ustensilité (recevoir une liste, mettre quelques mots en mémoire, dire l’anniversaire de l’ami…), voici que sa fonction se précise, que sa nature change, que s’ouvre le lieu de sa présence. Ce ne sont que confluences de lignes, circuits de moraines, éminences, creux et dépressions, dolines et plaines, éperons et falaises. Disant ceci qui est la toponymie habituelle du paysage nous n’avons fait que métaphoriser la figure humaine dont l’émergence est toujours surprenante. Quelques traces de crayon, la douceur d’une estompe, le subtil effacement d’un doigt, le jeu médiateur du gris au centre des décisions du noir, des retraits du blanc, ce silence. Alors, soudain l’on perçoit mieux l’usage de la page de l’éphéméride, son inscription singulière à même le projet de l’œuvre. Car rien ne saurait être gratuit, sauf les clignotements de l’illusion, les pas de deux de la falsification. Or, ici, point d’intervalle où pourrait se loger une telle ambiguïté. Le dessin est serré, façonné autour de cela qu’il a à montrer, le lieu d’une vérité. Cette vérité est double. Premièrement livrer la temporalité (l’éphéméride) comme mesure ultime de la ressource anthropologique. Deuxièmement faire sens à partir de l’épiphanie de Celui qui crée, centralité de tout discours à la recherche d’une compréhension de ce qui est. Car comment ne pas interpréter que l’art de l’autoportrait est bien évidemment, en première instance, art de soi, surgissement de l’ego à même son bourgeonnement ? C’est proférer une tautologie que d’affirmer ceci. Mais il faut aller plus avant et se mettre en quête d’une sémantique plus approfondie.

 

   « Assomption jubilatoire ».

 

   Ce curieux syntagme, « assomption jubilatoire » vient en ligne directe des subtiles intuitions de Jacques Lacan, ce magicien de la psyché. Ce qu’il veut dire, ceci : le tout jeune enfant, aux alentours de sa deuxième année, découvre soudain son propre reflet dans le miroir. Incroyable puissance de l’image spéculaire qui, d’un coup, d’un seul, le place au centre de lui-même, mais aussi en orbite autour de ce corps jusqu’ici fragmenté qui trouve à se synthétiser, à tenir langage, à émettre le sens qui jusqu’alors était forclos pour la simple raison d’une expérience qui n’était pas encore parvenue à sa promesse d’accomplissement. Mirage, instant de pur émerveillement dont le psychanalyste parlait en ces termes aussi éclairants que lyriques : « gaspillage jubilatoire d’énergie qui signale le triomphe, car le sujet y reconnaît soudain sa propre unité ». Mais alors qu’en est-il de l’Artiste face à ce qui fait phénomène, qui est sa propre image réverbérée sur le papier ? Mais tout simplement un écho très ancien de prise de possession de son moi, identification princeps au terme de laquelle il se révèle tel celui qu’il est, un sujet autonome pouvant rayonner dans le monde à la force de cette incroyable révélation.

 

   Du signe de soi, à celui de l’Autre, à celui du monde.

 

   Un signe s’est élevé de la nullité première. Une signification inaugurale a eu lieu. Une présence s’est montrée qui ouvre le chemin de tous les possibles. Signe qui engendre tous les autres signes disponibles. Signe de soi, analogiquement, signes des autres Existants, signes de l’univers en ses multiples constellations. La première parution sur la surface réfléchissante du miroir, le premier dessin en son esquisse : homologies, confluences, identiques perceptions qui entrainent la roue infinie des significations. Nécessité d’avoir perçu son propre signe avant que de prendre possession des autres qui ne sont jamais que des harmoniques du ton fondamental. Je suis visible, donc tu m’apparais, donc tout converge au centre, au foyer de l’imaginaire, dans l’énergie de l’âme intellective. En effet, comment postuler l’altérité si l’on n’a pas encore différé de son moi ? Il faut me décaler, prendre du recul, m’envisager moi-même comme cet étranger qui vient à l’encontre afin que, me reconnaissant, je puisse en lui, cet étranger, affirmer ma propre réalité, poursuivre mon chemin lesté de cette certitude qui me fait être celui que je suis avec l’assurance tranquille de qui s’est rencontré en son essence. Dessinant, traçant sur le papier ces innombrables « lignes flexueuses », le Créateur réactualise le procès de sa conscience d’être au monde. Posant, face à soi, ce qu’il ressent comme sa plus possible esquisse, il procède à sa propre désaliénation, celle du regard des Autres, regard néantisant selon la belle théorie sartrienne. Car l’Autre me possède plus que, peut-être, je ne saurais le faire moi-même. Mon visage en sa singularité, son exception ne m’appartient nullement. J’en fais le don à l’aimée, à l’ami, à l’inconnu de passage. Eux, les Voyeurs, me possèdent en totalité. Eux voient la réalité de mon visage alors que je n’en perçois que les tremblantes irisations dans la transparence du miroir. Je sors du miroir et je n’existe plus qu’à l’aune de mon imaginaire, de mon « oublieuse mémoire ». Pour cette raison c’est comme un feu logé au plein du corps : il faut, coûte que coûte, procéder sans cesse à cette re-naissance, sommer cette re-présentation de paraître sans laquelle nous ne sommes plus que des feuilles dépossédées de leurs limbe, d’étiques nervures flottant au gré de la déréliction.

 

   Soi face au monde.

 

   C’est dans un jeu de réciprocité, dans le miroitement des regards croisés que s’actualise le monde qui me voit comme je le vois. Immense spécularité dont chacun se dote afin d’être visible, de rendre visible. Mystère de la vue se sachant regardée qui regarde à son tour. Vertige de l’être qui n’arrive à soi, précisément, que par cette faculté qui le porte au jour et le constitue en tant que cet ineffable territoire ouvrant la dimension de la rencontre, du partage, de l’échange qui fonde la communauté des hommes. L’art est le lieu de cette confluence des regards. Un regard édifie l’œuvre, lui imprime son rayonnement, un autre regard en prend acte, l’interprète, l’aménage, le fait sien tel l’objet nouveau qu’il est. Une exception. Ainsi naît toute culture de cet affrontement singulier. Un homme parle, un autre écoute. Une symphonie s’y montre comme le lien indéfectible qu’elle est. Vases communicants, épanchement d’une conscience dans une autre, rougeoiement des désirs qui ne s’enchaînent qu’à se rendre libres, immensément libres. Sublime fonction d’une esthétique dès l’instant où elle se révèle ce jeu infiniment gratuit dégagé de toute contingence, abstrait de toute considération qui se situerait hors du plaisir de voir, d’éprouver des sensations, d’augmenter le sensible à la hauteur d’une joie purement intellective.

 

   Epiphanie.

 

   Dessin. Ovale du visage, fragment. Genre d’ellipse enserrant en son sein l’essentiel de ce qu’il y a à voir. Corps déterritorialisé, ramené à cette simple parcelle qui pose l’Existant comme celui qui appelle, cherche sa complétude. Toujours un manque, un vide, une absence. L’angoisse s’y blottit comme l’émergence même de toute condition humaine. Un front - Des yeux - Un nez - Une bouche, autant d’éléments lexicaux se dirigeant vers une rhétorique. Le visage n’est pas seul. Le visage appelle. Le visage rassemble. Il est le lieu de la parole, du regard, de l’écoute. Il est la figure de proue de la conscience, la pointe avancée de la connaissance, l’étrave par laquelle surgir au sein des choses. Nécessairement tout converge vers lui. Le geste de son verbe demande la réponse, ouvre l’espace dialogique, instaure l’aire de fécondation, tient lieu de site de nidification pour ce qui doit éclore, advenir, éclairer l’obscurité native, déployer l’orbe dont le jour, la lumière de l’œuvre constitueront l’armature, l’arche brillante du sens.

   Le visage, certes. Mais le corps, l’entièreté du corps ? On dessine un visage et l’on a aussitôt un continent entier qui se donne à voir avec ses isthmes, ses presqu’îles, ses archipels, le reste indivisible de l’être en son étonnante cosmologie. Oui, le corps est un cosmos qui reflète l’ordre du monde. Oui, comme si le visage était le lieu de rassemblement d’un univers qui ne ferait sens qu’à être relié à son étoile blanche, à son immense rayonnement, à sa force inouïe d’attraction. Tout visage est un aimant qui rassemble autour de lui toutes les polarités, toutes les limailles, tous les corpuscules, tous les atomes qui s’agrègent dans une étonnante unité. Capacité du multiple se déployant à partir du noyau représentatif. On dessine un œil et on a toute la vision du monde. Une main et l’on saisit tout ce qui gire autour de soi. Un pied et on foule toutes les contrées de la Terre.

 

   S’ancrer sur les rives du réel.

 

   Traçant sa physionomie, l’Artiste crée cette vision « hallucinée » par laquelle il arrive au monde. « Hallucination » qui n’est apparente qu’à surgir à la manière d’un mirage. S’il n’y avait que cela, cette perte dans la mouvance, alors le risque serait grand de la folie. Mais ici, l’imaginaire qui flottait à sa propre recherche s’ancre sur les rives du réel. Tout se précise. Le visage qui était flottant trouve son assiette, se pose, se montre comme un objet du quotidien dont la préhension est toujours possible. Peut-être même cette face tracée au graphite est-elle plus tangible que ce qui se manifeste sous la figure de la pierre, de l’écorce ou bien du monticule de terre ? Combien ce front est modelé qui dit la concentration de l’homme. Combien ces yeux nous fixent, nous les Spectres avec l’intensité de la braise. Combien ce nez s’affirme comme celui qui hume les subtiles fragrances. Combien les rides de chaque côté de la bouche creusent leurs sillons plus évidents que ceux qui courent dans la glaise. Combien ces lèvres sont serrées sur une parole qui, bientôt, fera son incomparable ébruitement humain. Oui, la force du dessin est de nous faire douter de nous jusqu’à nous rendre inapparents, à nous ramener à l’état de miroir comme si nous ne faisions que donner le change, être le motif au gré duquel l’autre se façonne en son incomparable présence. Peut-être ne sommes-nous qu’une image, un fac-similé que le monde nous tend, que le réel feint d’habiter. Peut-être !

 

 

 

 

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9 février 2017 4 09 /02 /février /2017 09:35
Homo Autistus.

 

Autoportrait.

Œuvre : Barbara Kroll.

 

 

 

 

« J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil;

et voici, tout est vanité et poursuite du vent ».

 

Ecclésiaste 1.

 

 

 

 

   Enigme.

 

   D’emblée nous ne reconnaissons rien. Nous n’y sommes pas. Nous vivons dans l’égarement. Avons perdu notre orient. Il en est ainsi de certaines images, elles participent à notre sentiment d’une détresse proche, elles nous distraient de notre propre carlingue de peau, elles nous emmènent sur d’étranges rivages dont nous ne reconnaissons même plus les contours. Pourtant, au fond de nous, cela parle le langage de l’humain. Cela dit la possibilité d’une rencontre, de l’ouverture, d’un dialogue, d’un cheminement de concert sur les allées mondaines. Mais plus nous nous postons à l’angle de cette représentation, plus nous sentons combien elle nous est étrangère, combien elle entame notre certitude de la parution de quelque chose qui soit fondé en raison, dont nous pourrions disserter en toute logique. Non, c’est « l’inquiétante étrangeté » qui surgit, comme chez Freud ne reconnaissant pas son propre reflet dans la vitre du train et alors s’engage soudain une manière de perdition, sinon de folie spéculaire. Ne plus se retrouver, soi, est un tel abîme, l’annonce d’une finitude. Car il faut vivre avec soi, en soi, mais aussi avec l’autre, en l’autre. Faute de ces nécessaires convergences, le message se brouille, devient illisible et le langage ne franchit plus l’enceinte du corps, faisant ses intenses rumeurs autistiques qui entaillent les chairs, fragmentent la géographie des tissus. Toujours un écho doit résonner comme notre propre silhouette recevant du monde son intime et inaltérable légitimité.

 

   En ces temps d’égarement.

 

   Regarder - Les yeux sont ces boulets de charbon, ces volcans éteints, ces trous abrités derrière des vitres opaques. Ils ne cillent ni ne s’ouvrent pour guider la marche, apercevoir l’autre, recevoir l’empreinte du monde. Non. Ils sont scellés sur leur propre hérésie, sclérotiques éteintes, pupilles enfoncées dans leur confondante illisibilité. Les Porteurs des yeux ne voient personne, ne regardent personne. Ils sont entièrement retournés. Enclos dans l’imprenable citadelle. Fascinés par cet univers intérieur, le seul dont ils consentent à prendre acte, à viser avec indulgence, à porter au devant d’eux comme la seule possibilité. Ne voient ni la ligne d’arbres à l’horizon, ni la caravane des nuages, ni les silhouettes d’hommes arc-boutés sur leur destin, ni les sentiments qui rougeoient comme des braises. Ne voient que leur armature de chair, les battements de leur sang, les fluides de leurs corps qui font leurs lacs sombres où se reflète leur souci d’être. Ou plutôt de paraître. Ou plutôt de croire qu’ils existent, qu’ils sont vivants, qu’ils ont une âme. Ils végètent dans les ruines de leurs anatomies étroites. Ils ne perçoivent pas les formes siamoises qui demandent, implorent parfois. La solitude est si grande sur les contrées de la Terre ! Nulle offrande. Venant des Yeux, nulle oblativité qui poserait l’altérité en tant que chiffre le plus réel à prendre en compte. Cécité. Cécité. Cécité. Trois fois réitérée comme pour dire l’impasse, la brutale aporie de l’homme au regard absent, au regard cloué à sa propre mesure. Seulement celle-là la dimension anthropologique : un puits sans fond avec, au milieu, l’œil du MOI buvant à même l’eau de sa propre source. MOI - MOI - MOI. Comme une sourde antienne qui attacherait ses liens tout autour de l’esprit. Aliénation. Geôle. Abîme.

 

   Ecouter - Les oreilles sont des avens emplis d’une cire compacte, culot de pierre isolant la cheminée volcanique du bruit de ses propres déflagrations. Boyau soudé qui n’écoute plus que le rythme de ses intimes pulsations. Parfois des battements sourds, syncopés, qui gonflent la nasse de peau, menacent de la faire surgir à l’extérieur, de la faire se retourner et se montrer au plein du monde. Mais non, ce n’était qu’une illusion. Les Porteurs d’oreilles ne veulent rien savoir des chants d’amour, des comptines d’enfants, du bruit de ressac de la mer, de la voix des oiseaux, de la parole apaisante, médiatrice des confluences humaines. Mais les Oreilles entendent-elles au moins un murmure qui leur serait propre, une romance dont elles constitueraient l’origine ? Acte de création en son inimitable félicité. Non les Oreilles ne résonnent qu’à l’aune d’une gigue violente, sans refrain, sans mélodie. Percussion pour la percussion. Rythme dément qui tétanise les corps, tend les sexes, hurle son désir animal, fait exploser sa fougue taurine. La surdité est grande, les pavillons engoncés dans d’étranges coques de plastique. Etranges étrangetés qui ne perçoivent même plus le signe patent de l’aliénation. Tempo récurrent, obsessionnel, qui taraude ce qui reste de l’esprit et le livre aux affres d’une permanente incomplétude. Jamais les Oreilles ne peuvent être seules, face à elles-mêmes. Elles réclament, elles sont en manque de cet opium sonore qui envahit les tympans, déchaîne les osselets, martyrise enclume et marteau à la manière d’une diabolique sarabande. Ôtez le fleuve de vibrations et il ne reste qu’un désarroi, qu’une conque vide de significations.

 

   Sentir - Goûter - Toucher - Les autres sens sont atteints de la même furie de possession immédiate, limitée à l’étroitesse de sa principauté. Nulle odeur faisant son effusion, si ce ne sont les fragrances de son épiderme, cette irremplaçable vitrine, les remugles musqués de son corps, mais aussi les fumées des « noires idoles » faisant leurs étroites circonvolutions autour des têtes saisies de vertige. Nul goût qui n’aurait été édicté par sa propre décision, définissant la gamme des saveurs, les harmoniques selon lesquels apprécier une ambroisie, les tonalités au gré desquelles consommer un plat défini par soi et nulle autre instance. Soi au creux de soi, sans la moindre différence, sans le plus petit intervalle, l’infime fausse note capable de tout compromettre. Nul toucher qui ne s’inspire de son intime rapport à sa citadelle, qui ne fasse signe en direction de cette inimitable topographie qui place les limites, édifie les frontières. Insularité de l’insularité.

   Si ces sensations de l’odorat, du goût, du toucher, étaient secondaires par rapport à la royauté de la vue et de l’écoute, elles n’en avaient pas moins subi une identique enflure de leur ego. Car il fallait reconduire ce dernier, l’ego, à l’occlusion autistique, à l’enfermement admirable qui justifiait l’existence en sa nouvelle affirmation. Alors, au centre de sa sculpture, on avait introduit rien de moins que le symbole d’une indépassable aliénation. Helix aspersa aspersa l’on était devenus. On avait replié les haubans de ses bras. On avait réduit la voilure de ses mains. On s’était enchevêtrés en soi, tels les acrobates ou les yogis de l’Inde en proie à leur profonde méditation. On était devenus une boule sans aspérité, une coquille de nacre enfermant le précieux trésor de sa subjectivité. Sa singularité on l’avait portée à son ultime point d’incandescence. On était infiniment soudés au sein de la monade, laquelle dépourvue de portes et de fenêtres faisait de son intériorité le lieu géométrique de l’existence. On n’était plus soumis qu’à ses propres flux et reflux. On ne naviguait plus qu’en raison des vents qui soufflaient comme dans l’outre d’Eole. Ailleurs était loin. Ailleurs ne faisait aucun signe : on avait consciencieusement occulté les pathétiques gesticulations des autres sémaphores humains.

 

   Coque de noix.

 

   La réflexion s’était amenuisée à la taille du moucheron. La pensée, soumise aux forceps de la claustration, ne s’illustrait plus qu’à se montrer sous la figure du peu, du moindre, souvent du rien dont elle était devenue l’alter ego. La conscience - cet instinct divin -, avait reflué et sa lumière n’était plus que ce mince bourgeonnement, cette escarbille se perdant dans le labyrinthe des cellules. Quant à l’esprit, nul ne l’eût reconnu, recroquevillé dans sa coque de noix, cerneaux étiques, humeurs poisseuses, scissures parcourues de vide et de non advenu. L’imaginaire n’était nullement logé à meilleure enseigne et son pavillon laissait battre au vent l’épuisement de ses pouvoirs. Le discernement était si peu assuré de lui-même qu’il fallait se mettre en quête de sa découverte, quelque part dans le repli ombilical de l’helix aspersa aspersa. C’était ainsi, la condition humaine était arrivée aux limites de ses pouvoirs, de ses puissances. N’en demeurait plus qu’une étroite flaque sous la lumière d’un corps devenu obscur à force de cécité. Assurément la fin était pour bientôt. Ainsi meurent les civilisations qui n’ont su entretenir la lumière de leurs signes. Ainsi meurent les étoiles qui migrent en direction de leur foyer comme ultime parole à adresser au cosmos.

 

   De l’autoportrait - Cette œuvre en gestation de Barbara Kroll qui biffe le visage, lacère l’épiphanie humaine, pose des croix sur les cinq sens dont nous faisons notre mode de connaître, de communiquer, d’aimer, cette figuration donc m’est apparue riche de sens. Elle pouvait constituer le tremplin à partir duquel poser une possible allégorie sur un fléau qui terrasse nos cultures et vêt nos comportements des oripeaux d’une démission face à la conscience. La vanité, le culte de soi, le polissage de l’ego se sont érigés en vertus cardinales à tel point que s’écarter d’une telle idolâtrie sent immédiatement le souffre. En vérité le monde s’est irrépressiblement précipité, en cette aube du XXI° siècle, dans l’abîme qui, un jour, terrassera ses Représentants, à savoir cette inflation du moi qui fait ses ravages aux quatre coins de l’horizon. Le monde se lézarde, craque, laisse voir un corps meurtri avec ses plaies vives, ses blessures profondes, ses excoriations. Les pauvres sont légion alors que quelques riches possèdent la presque totalité de la fortune répandue sur terre. On se moque de la nature. Partout on l’assassine. On mutile ses arbres, on endeuille le limon des taches mortifères des huiles lourdes. On cimente les sols, on élève les tours hautaines de l’orgueil humain. On souille l’eau, on la gaspille, on la méprise. On roule dans des automobiles aux mufles rageurs, aux roues larges comme des avenues, on asphyxie l’air à la seule puissance de sa volonté de domination.

   Ignorant la nature, bafouant les droits des peuples, se repliant sur son monde étroit, quelques amis, sa famille, soi, surtout soi on commet le geste terrible d’assassiner sa propre conscience, de mettre en péril la culture, on abat ces civilisations qui sont le ciment universel par lequel les choses tiennent ensemble. Et, ici, il ne s’agit nullement de tracer un futur chemin pour l’humanité. Seulement de dresser un constat et de témoigner d’une lucidité sans laquelle les apories de toutes sortes, l’absurde, le nihilisme traceront leur chemin plus sûrement que celui des comètes. Alors il sera trop tard. Bien trop tard. Certaines pertes sont irréversibles qui atteignent en son fond l’âme de l’homme.

 

   Supplique - Laissez briller sur la falaise de vos fronts la belle lumière. Lisez des poèmes. Faites l’amour. Dessinez les traces de la beauté. Riez au vent et au nuage, à l’abeille et à la fourmi. Riez à l’AUTRE sans lequel vous n’êtes, nous ne sommes que des zéros devant un chiffre. Nous sommes de si peu d’importance. Jetez vos casques où hurle la musique de la violence. Jetez vos téléphones qui, plutôt que de vous relier aux autres ne vous relient qu’à vous-mêmes car vous ne supportez plus d’être SEUL. Mais en réalité le SEUL c’est vous au bout de vos tablettes magiques, de vos écrans lumineux qui vous hallucinent et vous ôtent votre liberté. Le brin d’herbe dans la prairie, la dalle immense de la mer, la beauté du soleil au levant, ceci n’aliène pas, ceci libère et élève l’âme à la seule grâce d’une donation de soi en direction du monde. Ecoutez battre le cœur de l’univers. Remplissez vos yeux des flèches des étoiles, elles sont non seulement inoffensives mais sont les clignotements de la joie. Cessez donc de pianoter sur vos énigmatiques boîtes pour vous informer, faire comme l’ami, être à la mode, peu importe la motivation. Cessez donc d’être semblables à des pantins attachés au bout de leur fil que de malins démiurges tirent afin de vous mettre en leur pouvoir. Sachez que vous êtes une proie plutôt qu’un prédateur. Quelque part au-dessus de la terre ou bien dans des bunkers sophistiqués sont les Maîtres qui vous surveillent de leurs yeux de braise et vous tiennent à leur merci. Etre soi n’est jamais la résultante d’un repliement mais d’une ouverture. Abattez vos murs, levez vos pont-levis, détruisez les barbacanes, obturez les couleuvrines, sortez de votre forteresse, jamais vous n’aurez été si proche de celui, celle que vous êtes en réalité.

 

   Epilogue - Chacun l’aura compris, l’esquisse de l’Artiste est en voie de construction. Quelques coups de brosse afin que le subjectile, soumis au jet des couleurs, ne demeure en silence. Maintenant est le chaos, c'est-à-dire le moi livré à la confusion, le moi replié sur sa matière primitive. Mis en demeure de paraître mais il ne le peut à la seule figure qu’il nous tend, qui est celle de la dérision, du grotesque, sans doute de l’absurde. Jamais le moi ne peut demeurer dans l’enclos de son être car alors il s’y asphyxie faute de se renouveler, de partager, de se donner en tant que ce qu’il est, à savoir une ouverture, une forme de passage, un déploiement pour plus loin que lui, en direction de cette altérité qui le féconde, de ce monde qui l’accueille comme la lumière qu’il est, qui ne doit nullement s’éteindre sauf à renoncer à sa liberté, à faire de son moi cette parole occluse si elle ne trouve point d’écho. Nous ne sommes que langage, nous devons proférer afin qu’en retour les choses s’éclairent. Jamais nous ne serons des Simon prêchant dans le désert. Jamais ! Jamais des Homo Autistus !

 

« J'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil;

et voici, tout est vanité et poursuite du vent ».

 

Ecclésiaste 1.

 

 

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5 janvier 2017 4 05 /01 /janvier /2017 10:03
Continent blanc.

« Mouette attitude ».

Photographie : François Jorge.

 

 

 

 

Phénoménologie du visible.

 

   Ici nous regardons et le réel vient à nous avec son incroyable présence, sa densité, ce mur qui nous paraît infranchissable tellement sa forme est plénière, tellement la toile qui se dresse devant nous est une partie même de notre être. Nous regardons et nous sommes une parcelle de l’image, peut-être un oiseau ou bien le pieu de bois qui le soutient ou encore ce miroir de l’eau qui s’irise de mille tremblements tout comme notre âme bouge à l’unisson de ceci qu’elle découvre. Car le monde qui vient à notre encontre est indivisible. Il nous happe en lui et nous enjoint à en être l’un des fragments, tout comme notre décision de vivre suppose le monde et l’approprie à notre esquisse existentielle comme la preuve qu’il est. La sienne propre de nous apparaître, de faire phénomène et, corrélativement, de nous fournir lieu et place afin qu’il joue en écho et nous porte plus avant dans sa compréhension qui n’est qu’une réverbération de la nôtre. C’est dans ce jeu de réciprocité infini que s’actualise ce que nous sommes dont le fond est le monde lui-même dans ses multiples épiphanies. Il y a alors comme une certitude d’appartenance dont notre psyché s’abreuve afin que quelque chose comme une vérité nous délivre des apories originelles et nous dépose aux confins de ce qui fait sens : soi, l’autre, l’objet familier, le lien affinitaire avec ce qui nous parle le langage que, toujours nous attendons, faute d’adéquatement le savoir.

  Alors nous disons la lumière cendrée, cette à peine effervescence qui pose s choses en elles-mêmes à leur insu et les convie à rayonner de l’intérieur. Alors nous disons l’incantation qui naît de l’onde grise, du miroitement qui en est le tremplin. Car il faut toujours une surface réfléchissante, une chambre d’écho amplifiant le doute de la sensation. Oui, doute car il en est des apparitions comme du vent qui passe et est déjà enfui à même sa course. Diactique du réel et de l’irréel lorsque les choses font efflorescence dans la délicatesse, dans la profération assourdie de ce qui est à voir comme l’essentiel, la beauté partout présente et notre disposition à la recevoir, à la répercuter, à en faire le lieu d’une indépassable félicité. Regardant la photographie belle, il faut que cela bouge en nous, que cela ruisselle, que cela fasse ses milliers de rythmes, ses cascades, ses résurgences à même la peau qui se hérisse de picots imperceptibles, d’infinis ondoiements nous disant l’espace d’une joie renouvelée, inépuisable. L’exacte attitude est de regarder dans la droite ligne ce qui est, de se soustraire aux bruits contingents du monde, d’en sonder l’inimitable rumeur, loin là-bas sur la crête mauve de la montagne, près, ici, sur la lagune que la clarté transcende et porte à son acmé.

  Etonnement tout de même que cette lumière basse, horizontale, du nadir puisse aussi facilement faire signe vers une autre lumière, zénithale, s’élevant jusqu’au dôme translucide du ciel. L’art est ce prodige toujours accompli à l’aune d’une transaction, d’un passage, d’une médiation mettant en jeu des polarités opposées mais néanmoins intimement complémentaires : feuillaison de la terre dense qui se met à poudroyer dans l’éther en milliers de constellations signifiantes. La terre, dans sa naturelle lourdeur est contingente. Le ciel dans sa texture aérienne est d’origine transcendante. L’objet de toute création est de métamorphoser la matière en esprit, en diaphanéité, en essence. Transitivité de l’exister à l’être qui est la seule chose à comprendre de manière à s’approprier le domaine constamment ouvert de l’esthétique. S’il se referme, c’est en raison d’une vue qui s’est gauchie, qui a confondu les moyens et les fins, qui a pris le subjectile pour l’œuvre, qui a sondé la pâte à défaut d’en percevoir le tellurisme coloré. Il faut faire irruption au travers de la croûte du visible et se retrouver au-delà, là où ça chante, là où ça s’éclaire, là où derrière le tissu du monde apparaissent les linéaments d’une réalité autre, prolixe, riche de quantité de perceptions neuves, de sensations renouvelées, d’intellections arbustives. Vision intensément démultipliée que celle de la beauté. Elle est ce par quoi nous arrivons à nous-mêmes en surgissant en l’autre, cette présence de l’œuvre qui nous enjoint de convoquer notre propre beauté, condition d’une éthique sans laquelle rien de juste, d’exact ne peut signifier sur le champ ouvert de la conscience.

 

Phénoménologie de l’invisible.

 

   Si, devant une œuvre portée à sa plénitude nous sommes désemparés, c’est que nous avons capitulé devant l’insistance de notre être à percevoir les sèmes cachés, lesquels ne font qu’obturer la perception de notre propre présence auprès de la proposition artistique. Oui, il y a de l’invisible. Oui, il y a de l’étrange, du dissimulé, de l’inaperçu. Tout serait-il immédiatement perceptible et, à l’évidence, nous n’aurions nullement affaire à ce qui se nomme « art ». Seulement à quelque phénomène sans importance. Jamais l’objet manufacturé ne nous questionne, pas plus que l’outil usuel ou bien toute autre réalité affectée d’une fonction instrumentale. Leur apparition justifie leur fin sans qu’aucune médiation n’intervienne afin que l’on s’en approprie l’usage. Mais revenons à l’image. A cette image qui pose, en filigrane, la dimension d’une réflexion. Qu’y voyons-nous qui stimule notre imaginaire, déplie notre dérive songeuse, fouette notre désir de nous trouver près d’elle sans délai ? Ici, manifestement, il y a surgissement de ce qu’en titre j’ai nommé le « continent blanc ». Certes la nomination pourrait s’interpréter selon le monde analogique, l’ambiance, les couleurs presque effacées, l’indigence du sujet abordé faisant facilement signe vers ces terres blanches que sont les espaces du Septentrion. Mais il y a plus. Il y a une référence ontologique, c'est-à-dire qu’il y va de l’être propre de la chose figurée. Il ne s’agit pas d’un changement de degré, mais d’une modification de nature, de profondeur. Cette photographie parle la belle langue du poème. Tout y est orné de certitude. Tout y est dit, évoqué avec l’économie qui sied à l’approche correcte, exigeante d’une essence. Ce ne sont pas seulement des mouettes rieuses ou non qui y sont représentées. L’enjeu esthétique dépasse de loin la simple figuration de volatiles occupés au repos, à la toilette, au prochain endormissement. C’est, soudain, comme un diaphragme qui s’ouvre et révèle un univers. Comme un ravissement qui saisit et emporte loin de soi et, cependant, paradoxalement, au plus proche, dans cette pliure de chair qui demande à être fécondée, reconnue, portée à l’incandescence. S’agit-il de l’esprit ? S’agit-il de l’âme ? De cette énigmatique « glande pinéale » dont René Descartes fit, en son temps, le siège de la pensée et des spéculations métaphysiques ? Il nous faut nous résoudre à ne pas tout connaître du réel, de son envers, de son mystère. Mais pour autant ne pas y renoncer. L’une des vertus majeures de l’art est précisément d’en être le lieu d’émergence le plus remarquable. Peut-être le plus accessible si l’on consent à en chercher l’ineffable trace. Peut-être plus que la religion ou bien les mythes qui n’entretiennent le flou qu’à sauver l’outre-monde dont ils constituent le théâtre visible.

   La mise en scène de cette image, plus que la carte postale d’un étang que visite sa faune habituelle est l’espace selon lequel apparaissent, surtout, à la manière d’un second degré, d’une langue dont il faut traduire le lexique inconnu, des notions imperceptibles à première vue, telles le vide, l’absence, la fuite, le silence, l’insaisissable linéament, la sustentation dans l’air d’une invisible empreinte. C’est ainsi, dès que l’on s’éloigne du concret, de l’immédiat préhensible, il ne reste plus dans la nacelle étonnée de nos mains que de fins ruisselets s’écoulant tel le fluide temporel, cet inaccessible par définition. Mais alors qu’est-ce donc qui peut nous rendre visible ce qui, dès le premier abord, ne l’est pas ? Est-ce une magie, un tour de passe-passe, une habile manipulation de quelque prestidigitateur ? Ou bien les choses sont-elles plus simples qu’un regard approprié nous restituerait à la hauteur de sa qualité ? Oui, le mot princeps est lâché. Le mot qui, à lui seul, féconde le réel, le traverse et débouche sur le champ infiniment étonnant de la compréhension. REGARD, en lettres majuscules, comme pour dire sa majesté et le rare qui y est attaché, le précieux qui en jalonne les contours, l’inestimable qui en déplie la conque sublime. Mais à ceci même, au regard, il faut la condition de l’exactitude par laquelle la vérité se dévoile et permet d’accéder à l’éblouissement esthétique.

   Si cette image n’était qu’une idole, à savoir l’adoration de quelque image païenne sans autre intérêt qu’un culte rendu à une divinité de carton, alors nous serions d’emblée en dehors de notre propos, quelque part dans un « musée imaginaire » si pauvre qu’il se dissoudrait à même son inconsistance foncière. Mais, en réalité, il ne s’agit pas d’une idole. D’une image d’Epinal qui pourrait trouver sa place entre une crédence Henri II et un compotier de fruits communs. Le « continent blanc » qui l’habite la place au rang d’icône, de représentation essentielle qui la transcende et en fait le lieu, non d’un sacrifice profane, mais d’une hiérophanie, de la manifestation du sacré. Oui, du sacré puisque toute œuvre d’art en son origine, en son essence est d’obédience religieuse, manière de posture mystique au regard de ce qui dépasse l’homme et le rend précieux, en raison même des objets qu’il place au centre de ses mystérieuses et, par définition, inconnaissables questions. C’est là le sort de toute métaphysique de nous arracher à notre condition terrestre et de nous inviter à notre intime dépassement, mais aussi à celui de la Nature, de l’Autre qui nous fait face, de toute cette galaxie qui nous environne et nous demande, instamment, d’être libres. Or cette liberté à laquelle chacun aspire, la Mort en est le dernier recueil, la borne indépassable, la ressource parvenue à son terme. C’est bien parce que la question fondamentale de l’exister nous taraude, nous angoisse, nous livre à l’infernale déréliction, que l’homme, tout homme, cherchant à s’en exonérer cherche dans l’art les moyens de sa propre assomption, de son salut. En attendant…

 

Sublime présence du kairos.

 

   Le propre de cette image qui s’assure, par son traitement, d’une possible « éternité », se tient tout entier rassemblé dans le fait qu’elle constitue un événement fondateur. Comme toute figuration de cette nature, elle entraîne, de facto, une mise entre parenthèses de l’espace, du temps, du réel. Elle est ce « kairos », cet instantané des anciens Grecs, cet « instant décisif » taillé dans le vif de l’exister, seule faille par laquelle connaître cette brève parution d’un temps infini qui est la scansion même de l’art. Demeurons en suspens. Ceci est le geste majeur auquel nous convient aussi bien la pose hiératique des mouettes, que le neutre blanc, que les touches grises si discrètes qui sont les médiateurs d’une perception accomplie des choses. Il n’y a guère d’autre à espérer d’une image que ce déport de soi qui est la condition même d’une aventure heureuse auprès du monde. Pour cette raison nous vivons les mains tendues vers l’avant en direction de ce qui pourrait étancher notre inextinguible soif. Or nous voulons boire jusqu’à la lie, jusqu’à la dernière goutte. Oui, la dernière !

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8 août 2016 1 08 /08 /août /2016 09:04
Fascination des formes.

Pascal Hallou - Peintures photos.

De l’étrange présence des formes.

C’est sûr, on ne sait pas très bien où l’on est. Il y a cette demi-obscurité, cette confluence des choses, cette complexité dont on ne saurait venir à bout. Pourtant on ne renonce pas à avancer, on immerge sa tête dans le massif des épaules, on aiguise ses pupilles, on fait de son regard ce dard rubescent, ce trépan de diamant avançant parmi les peuples de terre et de gravier, retournant les vagues de limon, perçant les plaques de schiste, abrasant les laves et les rivières de basalte. Ce qu’on veut : sonder, connaître, progresser avec la certitude qu’au terme de l’exploration jaillira la source, que s’élèvera son chant de cristal avec son amplitude à l’esprit géomètre, ses polyèdres aux faces rassurantes, toutes ces lignes tirant ensemble dans le même sens, produisant la beauté et l’harmonie qui y est associée comme l’écorce se lie au tronc dans la plus étonnante logique qui soit. Alors on sera apaisé, alors on s’abreuvera à la fontaine de jouvence, alors on se reconnaîtra comme homme pourvu d’un langage, ce bien si précieux qu’il nous mettrait en péril si, d’aventure, il venait à faire défaut, nous conduisant aux apories du silence, à la geôle de l’incompréhension. Ce qu’on refuse : le cheminement à tâtons, l’errance dans la clairière désertée de clarté, l’enchevêtrement des choses, leur sémantique obtuse, ce lexique si étroit qu’il nous éloigne de notre propre réalité alors que nous n’existons qu’à en commettre l’ordonnancement, à en édifier l’architecture.

Cette image nous la regardons comme nous le ferions d’une énigme ou bien de mystérieuses formes dissimulées dans le clair-obscur d’une grotte. Cela fourmille, cela tremble à la manière d’une gelée, cela se disperse en milliers de mots, cela fuse en un sabir dont nous ne percevons qu’une confuse mélopée. Ce pourrait être la surface d’un marais putride, le pullulement de lentilles sur l’eau usée d’une lagune, ou bien, peut-être, est-ce la croûte superficielle d’une lointaine planète dont quelque télescope nous livrerait l’esquisse d’un autre univers dont, jamais, nous n’aurions pu soupçonner l’inépuisable ressourcement, la prodigalité du paraître, la capacité de métamorphose comme si un métabolisme fou en entretenait, de l’intérieur, la multiple vision, manière de palingénésie inépuisable, de balancement immémorial pareil à l’alternance du jour et de la nuit, à la chute des secondes dans le col étroit du sablier.

Mais qu’avons-nous fait jusqu’ici, sinon remettre au goût du jour un jeu ancien ? Combien d’entre nous se souviennent avoir cherché à deviner, dans l’habileté d’un dessin brouillant volontairement les lignes, parmi les taches en noir et blanc d’une typographie ancienne, ici la forme de l’écureuil avec sa queue en panache, là le dessin d’une antique voiture, ici encore la lampe avec son abat-jour armorié, son aire de clarté. Genre de vertige visuel qu’alimente la faculté imaginative, que propulse hors de soi, peut-être, la violence d’un désir, que sous-tend le besoin immédiat, intellectif, de porter au devant du concept tout ce qui fait figure et se donne comme objet à connaître, hiéroglyphe à décrypter. Il y a une incroyable tension qui, toujours, fait son bouillonnement tel une lave, un geyser, juste au-dessous de la ligne de flottaison de la conscience, dont, le plus souvent, on ne perçoit guère que la trémulation lointaine, la vibration intime alors que le monde fait tourner les jours et que tout s’écoule à la vitesse des chutes d’eau dans la gorge des cirques. Pourtant combien il est satisfaisant pour l’esprit de se livrer à cet inventaire des signes et des sèmes qui, en tous sens, parcourent notre existence à la façon d’un subtil métier à tisser entrecroisant, sans cesse, les fils de trame de ce qui nous est étranger et les fils de chaîne qui sont les nôtres, avec lesquels nous tâchons de saisir ici, une bribe de sens, là un indice capable d’émettre une hypothèse, d’élaborer le début d’une fable, d’écrire les premiers vers d’un poème, de dresser les étais qui pourront concourir à mettre au jour une esthétique. Merveille que ce qui dresse pour nous le praticable des choses infinies dont nos yeux font l’inventaire rapide à défaut d’en pouvoir saisir la généreuse multiplicité.

Il y a un réel plaisir à énoncer, dans la grotte, la présence du perroquet en calcite translucide, les branches de corail, les efflorescences marines, les silhouettes animalières, les colonnes architecturées, les bourgeonnements floraux et légumiers. Cette sorte de loisir, qu’on dit volontiers populaire, n’en recèle pas moins une richesse dans laquelle puiser tout un catalogue de sensations, tout un clavier à partir duquel bâtir des fictions et donner assise aux rêves les plus divers. Mais ce qui paraît le plus important à saisir ici, c’est bien le lieu où s’origine la prégnance des formes, l’étrange fascination qu’elles exercent sur notre façon d’être au monde selon telle ou telle esquisse. Ce qui en constitue, sans doute, la matrice profondément ensevelie dans la psyché est, bien évidemment, constituée d’une expérience existentielle. La thèse qu’il faut poser d’emblée est la suivante : dans toute figuration, qu’elle soit naturelle ou bien artificielle, artistique ou artisanale, c’est la quête d’une présence humaine que nous manifestons. De toute présence humaine, à commencer par la nôtre puisque la subjectivité est la matière dont nous sommes modelés jusqu’en nos fibres les plus secrètes. Toujours nous sommes à la recherche de cette énigme fondamentale que suppose notre être-au-monde dont nous devinons les linéaments, ici ou là, s’enracinant, parfois, dans un sol qui les soustrait à notre regard, nullement à notre inconscient cependant. Nous appliquant à observer des configurations géométriques, à repérer la variété des profils d’une œuvre, à dénicher les tournures que prennent, tour à tour, les façons d’un langage, nous disposant à débusquer les modelés, à reconnaître les styles singuliers, à apprécier les éléments plastiques d’une sculpture, les aspects d’un paysage, à inventorier en un mot tout ce qui se catégorise sous l’intitulé de la pluralité, empreintes, textures des matières, traits et contours du dessin, galbes d’objets, lignes virtuelles ou réelles, de partage des eaux ou bien méridiens, frontières physiques et imaginaires, points de rencontre des ombres et des lumières, toute cette vaste alchimie visuelle ne fait sens qu’à nous situer par rapport à un environnement, à nous assurer d’une géographie qui nous est propre, à l’intérieur de laquelle nous installerons notre être et les prédicats qui en définissent l’allure, en précisent l’essence, cette singularité dont le caractère inimitable signe, sans doute, ce qui est le plus remarquable dans l’individu, cet inexpugnable fortin qui n’apparaît, en définitive, qu’à être posé vis-à-vis des autres formes que constitue toute altérité.

La Nature est le premier lieu dépositaire des formes, celle qui sollicite notre imaginaire, stimule nos capacités à produire du divers, à faire naître de l’onirique à partir de ce qui, dans sa simplicité, ne dit que la modestie de sa présence. Ainsi les forêts et les arbres sont-ils les prétextes à dresser telle ou telle chimère, les empilements de rochers à évoquer l’ombre tutélaire de géants, les nuages dans leur amoncellement mouvant à nous proposer toute une fantasmagorie dans laquelle puisent nos désirs de représentation, tantôt l’oiseau au corps de brume, la déesse voluptueusement allongée dans l’éther, le moutonnement de collines dans la lumière naissante. Mais toujours domine la dimension anthropomorphe comme si nous projetions sur le réel les images qui constamment nous traversent, celles d’êtres connus, parfois oubliés, notre propre identité avec laquelle nous n’en avons jamais fini. Etrange test de Rorschach dont les taches nous questionnent à même nos angoisses, nos ombres mémorielles, le passé qui tissa en nous le réseau complexe de notre histoire. C’est sans doute ceci, la vérité, reconnaître dans chaque tentative d’acte, chaque propos, parfois de simples lapsus, mais aussi dans la résille de nos créations l’empreinte que nous posons sur les choses, qui court à bas bruit telle une sournoise maladie qui nous visite de l’intérieur, dont nos gestes, nos façons d’être trahissent la récurrente et obsessionnelle présence. Avant d’être une question que nous posons au monde, nous sommes une interrogation en miroir, une voix dont l’écho ne touche des falaises parfois éloignées qu’à revenir livrer, dans l’enceinte de notre peau, la parole qui, un instant, s’est détachée de notre être avant d’y revenir avec un accroissement du sens. Comprendre les formes ne serait-ce pas se comprendre, d’abord, comme celle qui, jouant le rôle de tremplin, nous porte auprès des choses dans une manière de familiarité ? Toujours il est urgent de se posséder en son entièreté de manière à devenir, pour soi-même, un texte lisible, un livre fondateur de sa propre aventure. Plurielle herméneutique de l’ego par laquelle affirmer la certitude d’un cogito Je suis ce que je vois, lequel, nous installant dans notre être nous met en demeure de comprendre et de posséder le monde, d’abord le nôtre qui n’est qu’une réverbération de celui dans lequel nous jouons notre rôle, récitons notre partition, avançons sur la scène qui nous est allouée comme l’espace de notre propre dramaturgie. Certes le danger existe qui consisterait à se résoudre à sa propre fascination, autre nom pour la schizophrénie. Aussi, chaque image que nous prélevons du réel, convient-il de la métaboliser, d’en faire sa possession mais avec la visée éthique de la remettre à toute altérité afin que soit initiée la boucle infinie de la communication et la nécessité pour l’homme d’un vivre ensemble, d’une mise en commun des impressions, des sensations, des intellections qui nous traversent et constituent le fonds commun de l’humanité.

Formes et hypothèses psychanalytiques.

Mais se questionner sur la forme, comme toujours, c’est tâcher d’en connaître l’origine, d’en dévoiler la source donatrice de sens. Bien des théories psychanalytiques ont fait florès, parfois au prix d’interprétations si audacieuses qu’elles ne paraissaient constituer qu’un fragile édifice conceptuel. Cependant ces théories sont précieuses en ce sens qu’elles ouvrent un champ de réflexion et, provoquant notre curiosité, nous mettent au défi de comprendre aussi bien ce qui est soi que ce qui ne l’est pas. Au nombre de ces hypothèses fécondes, celle de l’objet primaire ou objet précurseur dont Winnicott endossa la paternité avec la belle exactitude d’un esprit ouvert à la vie, à ses frémissements, aux signes qui, pour être inapparents n’en sont pas moins fondateurs d’une psychologie, d’un fonctionnement de l’âme dans son sens étymologique. Objet précurseur, certes, mais précurseur de quoi ? Or, si le langage est l’événement le plus porteur de sens, accordons-lui le fait de nous éclairer. Deux définitions du Dictionnaire de l’Académie nous y aideront : Précurseur : « Personne clairvoyante qui donne l'exemple et ouvre de nouvelles perspectives » - « Objet qui en annonce un autre, plus perfectionné, plus élaboré ». Ces nouvelles perspectives, ces objets élaborés ne sont autre que les formes grâce auxquelles tout ce qui vient à l’encontre se révèle à nous avec la puissance d’une chose à connaître et à porter aussi loin que possible dans l’ordre d’une saisie afin que l’existence, prenant son essor, nous adresse le subtil lexique que nous sommes en droit d’attendre des phénomènes et autres manifestations sensorielles.

Du sein et du sourire comme formes premières.

A lire la littérature dans ce domaine, nous nous apercevrons vite que le sein est cet objet privilégié, cible originelle sur laquelle le nourrisson va focaliser ses premières capacités de représentation, projeter ses désirs, élaborer ses formes primitives d’amour, découvrir ce qui n’est pas lui et le place au seuil de toute altérité. C’est ce mécanisme inné, cette résurgence instinctive si semblable à une force animale, à une énergie naturelle qui le pousse en direction de cet objet-forme dont l’absence épisodique et la douleur qui en résulte feront surgir le mystère de l’objet halluciné, le pouce substitut ou bien le bout de chiffon dont Winnicott (encore lui) dira qu’il s’agit d’un objet transitionnel, découverte si féconde qu’elle ouvrira toutes grandes les portes de l’explication de la sphère immense du désir et de ses motivations, de la mise en place de l’activité fantasmatique qui lui est coalescente. Autrement dit c’est tout l’édifice du comportement humain qui est ici en jeu, aussi bien que les actes qui en découlent et qui sont au fondement de notre liberté.

Mais évoquer le sein ne saurait suffire à épuiser le problème, même si on lui reconnaît le rôle insigne d’alphabet de la relation, alpha d’une prise de conscience conduisant à l’oméga d’une aperception de la réalité. Il est nécessaire, cependant, de lui associer ce que René Spitz nommait stade du précurseur de l’objet, à savoir l’apparition du sourire dans les premiers mois de la vie du petit homme. Or ces deux faits, découverte du sein, émission du sourire sont concomitants dans l’expérience du bébé qui, inévitablement, les relie l’un à l’autre en tant que polarités essentielles de son développement. La thèse qui est à formuler ici est la suivante : toute forme ultérieure succédant à ces formes primitives prendra appui sur elles, si bien qu’on pourrait en retrouver la trace éminente dans toute archéologie du Sujet qui fouillerait en profondeur le sol constitutif des modes d’être, de se comporter, de faire saillie dans le monde de telle ou de telle façon. Tous, en nous, dans la complexité labyrinthique de notre psychisme, la trace primaire d’un sein, son gonflement lacté, l’empreinte d’un sourire, sa promesse de bonheur. Comprendre ceci c’est en même temps se donner accès au répertoire infini des formes qui nous habitent comme l’ombre tapisse la caverne ou bien le soleil éclaire le domaine du savoir au même titre qu’il illumine la terre.

Ce qui se laisse approcher dans cette photographie.

Comme tout acte de vision, ce qui vient à nous de la photographie, c’est d’abord son aspect global, sorte de conflagration des formes qui, au premier regard, ne livrent que l’indistinction et le flou, genre d’illisible chaos. Il faut alors prendre du recul, se dégager de son activité de synthèse, donner site à une analyse qui, isolant les formes, en tirera des significations. Il faut procéder par zones distinctes, délimiter des aires successives, établir des ilots, sans doute procéder par hypothèses et corrections, ajouts et effacements. Car la première saisie est abstraite, dénuée de sens et l’on se perd inévitablement dans ce maelstrom où se noient les lignes et s’emmêlent les couleurs. Nous sommes semblables à ces explorateurs qui, munis d’une machette, se fraient un passage dans la densité de la savane. Puis l’éclaircie survient, les formes se précisent comme si elles surgissaient d’un brouillard. Tout en haut de l’image, la granulation de graviers pris dans du bitume, alternance de teintes beiges et marron foncé qui font penser à une glèbe. Puis, allant vers le centre, la lunule d’une feuille morte. Puis, plus bas, d’autres feuilles plus claires dont beaucoup au limbe troué, puis une plume au centre de la composition, puis quelques monceaux non identifiables, agglomérat de goudron, terre, détritus divers.

Fascination des formes.

Voici, maintenant, ce qui était inconnu est devenu connu. Le réel tel qu’en lui-même avec son incontournable coefficient de lourde contingence et la limite indépassable selon laquelle il se donne à voir. La banalité du quotidien, sa densité têtue, son évidence si étroitement matérielle que, bientôt, nous détournons le regard, en quête du prochain spectacle. A aller regarder de trop près, à vouloir sonder l’insondable nous avons fini par trouver ce que, jamais nous n’aurions cherché au hasard de nos promenades. Combien nos pas d’automne piétinent de telles inconséquences dont nous n’avons même pas conscience ! Le monde, tout comme le firmament est constellé de milliards d’étoiles, est le lieu de rassemblement d’une infinité de minuscules dramaturgies (la mort d’un oiseau ; la chute d’un grésil dans le blanc de l’hiver ; la queue d’un cerf-volant envolé par une tornade ; la touffe de goémon sur les eaux vertes de l’océan et encore mille minuscules faits sans importance qui sillonnent la Terre et le ciel de leur trajet invisible), le monde donc est la scène sur laquelle, à chaque seconde, se produit un événement qui disparaît à même son apparition. Nous n’y sommes pas attentifs et voilà que notre destin ne s’en trouve nullement atteint. Pourtant, combien de charge de poésie dans la modestie de ce mince tableau d’automne, combien l’atmosphère en évoque, pour qui les a lues, les belles pages de « La Mare au diable » au travers desquelles Georges Sand, dans cette belle langue lyrique qui était la sienne, nous décrivait une scène de labour dans son Berry natal, cette terre si bien disposée à accueillir les phrases amples et les descriptions bucoliques correspondant en tous points à l’esthétique du romantisme. Regarder le simple, pourtant, ne nécessite aucune propédeutique intellectuelle, ne suppose aucun préliminaire à la saisie de la beauté. Il faut, tout simplement se confier à sa propre intuition, méditer, rêver, contempler, seules conditions préalables à la perception de ce qui veut bien se dévoiler à un regard curieux.

Mais nous étions partis des formes, nous avions évoqué le jeu qui consistait à les débusquer au milieu des mailles complexes du réel. Jouons donc maintenant et éprouvons la joie inépuisable des significations que, souvent, nous traversons sans les voir, qui nous traversent sans que nous y prenions garde. L’énigmatique peinture-photo de Pascal Hallou, nous avons pris la liberté d’en effacer quelques fragments afin de rendre visibles, ces formes si fascinantes, parfois animalières, souvent humaines puisque de l’humain nous sommes le support et que notre propre subjectivité trouve toujours à s’y loger en quelque manière. Ce que nous regardons, ce qui nous regarde, tout ceci nous constitue comme notre monde le plus proche, celui que nous pouvons nous approprier car si nous sommes au monde, nous ne le sommes qu’à être auprès des choses. Là est sans doute notre plus grande vérité. Sachons cueillir ce qui est à notre portée !

Fascination des formes.
Fascination des formes.
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11 juillet 2016 1 11 /07 /juillet /2016 08:31
Du clair-obscur à l’obscure clarté.

"(...) La peinture au couteau c'est beau,

quand la lame est mûre."

Avec Zoé Mozart.

En écho avec l’image. (Voir l’image ci-dessous).

C’est à peine si la présence du jour fait signe dans le genre d’un retrait. Au-dehors les bruits sont cotonneux, comme étrangement absents à eux-mêmes. Une diagonale de lumière traverse la chambre, glisse sur les murs de plâtre avec la lisibilité d’un songe. Plus haut, une zone d’ombre dit encore la persistance de la nuit proche, son insistance à être, le passé qu’elle porte avec elle, l’empreinte de la mémoire dont elle est tissée. Le jeune enfant dort dans l’insouciance de son âge encore ressourcé à l’innocence du temps. L’image de lui qui nous parvient est hautement lisible, comme sculptée dans quelque marbre exact qui nous dirait la justesse de la présence, la richesse d’une expérience en train de se constituer, fût-elle inaperçue du Sujet, seulement esquissée sur la toile de la conscience. Les ombres n’effacent nullement les zones de clarté, elles jouent simplement en mode dialectique, elles affirment, elles élèvent une belle géométrie qui nous invite à découvrir le luxe de l’instant, l’éclair aussi prompt que non renouvelable. Ici, dans cette intersection de l’espace et du temps, se donne à voir, comme dans une salle de musée, une forme arrêtée, une esquisse sûre d’elle-même, la figure d’une durée suspendue, la mesure de l’homme jeune telle qu’elle pourrait être infiniment si les grains du sablier consentaient, soudain, à se figer, à suspendre leur course dans la gorge étroite de sa geôle de verre. La certitude que de l’être est à profusion, que le sens se condense ici et maintenant, que le réel est ceci, cette attitude d’abandon à soi dans la plus belle confiance qui se puisse imaginer. Il y aurait cet enfant au monde, cette superbe insularité et, tout autour, l’océan de la manifestation, mais comme un murmure, un flux et un reflux si inapparents qu’on n’en saurait rien, ici, entre les cloisons blanches d’une apparition ancrée dans la vérité. Le vrai est toujours ce qui se donne dans la verticalité d’une exactitude, telle le fil d’une lame qui ne brille qu’à être précisément un fil, c'est-à-dire l’unique parmi la pluralité des apparitions possibles.

Cette photographie se propose à la manière d’un oxymore, tout comme celle placée à l’incipit de l’article, dont nous tâchons de comprendre le fonctionnement interne. Oxymore donc. Cette figure de rhétorique réunissant deux termes de sens contraire afin de réaliser un effet de surprise, d’étonnement, telle « l’obscure clarté qui tombe des étoiles », dans Le Cid, nous place au cœur de la nuit, dans le surgissement tragique de la flotte ennemie, ces Maures inquiétants qui semblent une émanation même de l’ombre. Identique effet saisissant, écoulement temporel suspendu, dans El Desdichado de Gérard de Nerval : « Ma seule Etoile est morte, - et mon luth constellé / Porte le Soleil noir de la Mélancolie ». Le Soleil noir campe une vision de fin du monde par laquelle le poète devenu impuissant, serait assailli par l’impossibilité de créer, le luth devenant le symbole d’une mutité que cerne la folie. Ce qui est à remarquer dans l’utilisation de l’oxymore, aussi bien dans l’œuvre littéraire que dans les deux images que nous abordons ici, c’est moins un effet de style purement littéraire, donc une habileté de langage, que la constitution d’une esthétique abrupte, aux angles vifs, aux ombres et lumières tranchées, à l’évidente clarté, au propos si précis qu’il ne laisse aucun doute sur le contenu intentionnel de l’auteur : nous livrer une perception du monde aussi exacte que possible, une dramaturgie dont l’interprétation monosémique nous reconduit à nous situer, d’emblée, dans le domaine des certitudes, à écarter toute ambivalence qui nous égarerait dans d’invraisemblables hypothèses ou bien des suggestions sans fin. Corneille, Nerval, Ronis, le Photographe de l’œuvre placée en épigraphe veulent tout simplement nous amener à l’évidence d’une situation : le tragique dans Le Cid ; le surgissement de la folie dans El Desdichado ; l’innocence originelle dans Vincent dormant ; la quiétude dont Zoé Mozart est l’exacte illustration. Hors ceci, hors le sceau imprimé dans la cire de notre entendement de cette justesse du regard, tout autre essai de prononcer le réel serait mis hors jeu. Il y aurait, à seulement contempler ces belles images, à lire ces inoubliables vers, comme la fulgurance d’une apodicticité, laquelle serait l’exact envers de l’illusion, du soupçon ou de l’indécision. L’oxymore serait le procédé par lequel, élevant de clairs contrastes, la vision se doterait d’une manière adéquate de considérer les choses.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

« Vincent dormant »

Willy Ronis

Source : Pinterest

L’image en elle-même.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Les ombres nocturnes sont encore si présentes qu’elles sembleraient vouloir faire le siège du jour, ne pas céder la place, garder encore cette trace du passé qui renonce à mourir. Le travail de la mémoire n’est rien d’autre que ceci, garder la saveur du fruit, son goût sucré, glacer le palais des fragrances qui l’ont habité, l’ont porté à la plénitude d’être dans un sentiment si ineffable que procéder à son effacement serait un acte de pure inconscience, de renoncement à soi. Alors la densité noire veut continuer à se dire bien au-delà de ce qu’elle fût dans l’instant, revendiquant sa part d’éternité. Mais le jour est là qui se lève, polit son arête de silex, entaille la nuit de sa nécessité de figurer, d’imprimer une nouvelle temporalité, d’écrire une fable neuve sur la page de l’exister. Lutte immémoriale qui fait s’affronter le blanc et le noir, la brillance et son contraire, cette suie du sommeil, ce bitume de l’inconscience, ces ténèbres de l’inconnaissance. Quiétude est là dans le luxe du paraître. Sa chevelure est un buisson noir qui se hisse des limbes avec la douce certitude d’en être séparée, d’en constituer la forme heureuse s’esquissant sur un fond incompréhensible, mais mis à distance, reconduit à son abstraite texture, à la confusion d’un langage venu de si loin qu’on n’en perçoit plus que des mots indistincts, des balbutiements, des bruits de galets roulés par les flots de la nuit. Le visage resplendit, demi-ovale que rehausse la palme d’une douce lumière, pareille à un lac couché sous l’opalescence de la Lune, l’œil vient s’y inscrire à la manière d’un simple feu-follet, d’une persistance de la conscience dans la dérive de l’heure, l’arête du nez en interrompt le voyage afin que tout demeure dans l’aire ouverte d’une compréhension. Au loin, une épaule émerge d’une brume indistincte pour mieux affirmer sa présence discrète. Le bras, l’avant-bras sont un pur mystère s’extrayant du silence de la nuit. On les dirait presque immatériels, animés d’une clarté interne alors que la partie invisible de la tête y prend appui tel un enfant conscient de trouver sur le sein maternel la patrie dont, jamais, il ne pourrait se séparer qu’à mettre son existence en danger. L’opacité est si effrayante qui fait sa mare cernée de mort, de repli dans la bouche négative du Néant.

Image portée à son acmé. Puissance des contrastes, nécessité de l’oxymore à se dire dans « l’obscure clarté », dans cette parution de l’être qui annule le Néant, lui substitue le jeu de la pure présence. Quiétude qui pourrait encore se dire Sérénité, Clairière de l’être dans la densité ombreuse de la forêt. Tous prédicats faisant se lever la justesse d’un langage qui parle tout autant au souci esthétique, à l’inclination de l’âme à trouver son exacte courbure, à l’exigence de l’intellect à découvrir le concept qui l’accomplit comme son intuition la plus aboutie.

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Ce qui paraît ici avec la plus belle pertinence, c’est la distance, l’opposition, la dialectique pour le dire en terme plus exact qui fait se dresser comme deux entités antagonistes deux esthétiques irréconciliables. Ce que le clair-obscur fait apparaître tel que chez ses Maîtres les plus éminents (Léonard de Vinci ; Georges de La Tour ; Rembrandt), sous la forme d’une réalité aussi intuitionnée que floue, indistincte, simple suggestion dont le Voyeur de l’œuvre aura à accomplir la synthèse à l’aune de son propre regard, « l’obscure clarté » (l’oxymore) le livrera dans une manière d’évidence, de totalisation à laquelle, bien évidemment, il n’y aura rien à retrancher ou à ajouter, tant l’apparence si parfaite, le jeu fini des ombres et des lumières, la netteté de la rhétorique, la précision des lexèmes constitueront les fondements mêmes d’une vérité à l’œuvre. Face à Quiétude, face à Vincent dormant, nous demeurons en silence, nous n’avons nullement à nous questionner, à saisir quantité d’esquisses signifiantes puisque, en une seule et unique représentation plastique, tout est dit d’une position de l’être-au-monde, une pause dans le mouvement du quotidien, une halte entre ce qui fut et ce qui sera qu’affirme l’éclair d’une parution, la mise entre parenthèses de la thèse par laquelle l’univers nous apparaît comme un inaccessible, un divers, une profusion, une corne d’abondance, un irrépressible flux parmi lequel nous nous débattons à défaut d’en pouvoir saisir l’essence.

A la vue polychrome, fuyante, à la multiplicité des perspectives qui peuvent toujours se glisser dans l’intervalle ménagé par le clair-obscur puisqu’il oscille toujours entre deux formes, deux modes de figuration, l’obscure clarté substitue l’unique vision de ce qui pourrait apparaître en tant qu’un intelligible dont l’aspect invariant nous rassurerait et nous mettrait en mesure de fournir à notre naturelle curiosité les assises par lesquelles, au moins temporairement, apaiser nos doutes. Merci Quiétude de nous ménager cette halte. Le repos est toujours un luxe !

Du clair-obscur à l’obscure clarté.

Autoportrait avec fourrure,

chaîne en or et boucles d'oreille (ca 1656-57)

Rembrandt.

Source : Wikipédia

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