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24 février 2023 5 24 /02 /février /2023 08:45
Chair ou Ombre ?

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

 

Existiez-vous au moins avant

 que je ne vous imagine ?

Vous surgissez comme

d’une nuit lointaine,

aussi irréelle

qu’imprécise.

D’une nuit de chair,

d’une pulpe soyeuse,

d’une nacre solaire.

C’est ceci qui a retenu

mon attention : nullement

Vous au premier regard,

 nullement Vous en une

première intention.

Le VOUS était

 barré, occlus,

privé de quelque

signification.

Le VOUS exultait en Soi

mais y demeurait, pareil au

limaçon dans sa

 conque d’écaille.

 Le VOUS ressemblait

à cette touche d’Infini,

 un Bleu indéterminé,

sans contours,

sans origine ni fin.

Le BLEU pour le BLEU

 et nulle autre explication

qui l’eût porté à une

possible connaissance.

Le fond sur lequel

vous apparaissez et cependant

ne VOUS donnez nullement

est tout à la fois ce Retrait,

à la fois cet Appel dont les signes

 voguent et poudrent l’espace

d’un bien curieux frimas.

Une intime pulsation, un flux,

une oscillation, un rythme

identiques à celui, merveilleux

 entre tous, du nycthémère.

Un jour, une nuit ;

une nuit, un jour.

  

   Le fond qui vous produit, vous porte à la naissance, le fond dont vous êtes une simple émanation, un détachement, un étoilement, le fond est l’hymne secret par lequel vous venez au Monde. Nul n’en peut percevoir la pure irisation qu’à transcender le massif plein de son corps, à le rendre diaphane, éthéré,

 

à peine un souffle exsudant

d’une illisible matière,

à peine une floculation

au large des yeux,

à peine le liseré

 du Printemps

sur le froid boréal.

 

   D’emblée, il me faut en faire l’aveu, j’ai plongé dans cette fibre colorée, je m’y suis immergé comme la flamme monte du bois dans l’invisibilité de son être propre, j’ai troqué le coutre de ma conscience contre

 

cette pure affabulation

d’un réel évanescent,

une pluie, un nuage,

 une brume.

  

   Avant même que mon regard ne vous découvrît, Née-du-Bleu, j’étais déjà ballon captif, aliéné à votre cruelle Présence (oui, « cruelle » d’être trop présente, « cruelle » de jeter en moi les motifs de ma propre absence, de ma dissolution, sans doute de ma proche disparition), je n’étais plus qu’un invisible trait dans un dessin sans consistance. N’allez nullement croire que ma parole soit une plainte, qu’une perte divise nom corps et ne l’éparpille aux quatre horizons de l’insignifiance. Je ne suis en Moi qu’à être en Vous-même si votre apparition tarde à venir, victime des ellipses au sein desquelles vous êtes censée produire la possibilité de qui-Vous-êtes.

 

Chair ou Ombre ?

Ombre ou Chair ?

Chair ou Ombre ?

 

   Cette litanie m’habite bien plus que Vous ne m’habitez, bien plus que Vous ne peuplez la coursive de mon imaginaire. Pour autant, je ne renonce nullement à Vous porter au jour, à esquisser les scansions de votre Temps, à tracer le galbe de l’Espace qui Vous accueille, à faire de Vous plus qu’une cendre se diluant dans les marges d’un clair-obscur. Savez-Vous combien il est rassurant pour une âme fragile, inquiète de Soi, de vous porter dans l’approximation, le tremblement d’un Signe ? Ainsi, de cette irisation, de ce reflet, de cette opalescence vous sortez grandie, multipliée,

 

mille images en une,

mille femmes reflétées,

 mille songes

 

   naissant à même le vertige que Vous instillez dans le doute qui m’étreint et me définit, dans l’instant, bien mieux que ne saurait le faire un croquis, un lavis d’encre, une aquarelle ou même une pâte lourde, dense, chargée d’une multitude de sèmes. Mais qu’ai-je donc de Vous qui brasille en moi et éclaire ma peau du luxe de l’indéfini, de l’inaccessible, de l’étranger, de l’insondable, sans doute du paradoxe le plus vif qui se puisse imaginer ? Vous n’êtes qu’Ombre et Clarté assourdie, une manière de lave refroidie, de basalte non encore venu à son être.

 

Vous êtes Question dont nulle Réponse

ne vient adoucir l’ardeur.

Vous êtes pur Mystère dont nul réel

ne vient révéler l’intime dimension.

  

  Le massif de vos cheveux est nocturne de même que les lisières en lesquelles votre corps s’enclot. Le triangle de votre visage, bien plutôt que de dessiner les frontières d’une humaine présence, est une simple figure géométrique, une abstraction, une énigme pour tout dire. Du Bleu, lequel eût pu appeler une fraîcheur, se diffuser une sagesse, se déployer une sérénité, du Bleu ne monte qu’une profonde mélancolie comme ces êtres qui traversent les rêves et ne laissent, au réveil, qu’une large empreinte de vide. On essaie d’agripper un copeau du songe, une simple pellicule, mais ne demeurent jamais que d’étiques scories, de minces ruines dont on ne peut rien faire, sinon la fosse en laquelle s’abîmer sans possibilité aucune de retour.

   Votre buste est plat, sans relief et vos seins sont un si mince monticule que la fugitive tache de vos aréoles est pareille à ces points de suspension qui, après quelques mots, n’indiquent rien, se fondent à même le vierge du papier. Que puis-je dire de vos bras, ces tiges frêles qui ne pourraient embrasser que l’inconsistance, le peu, le rien ? Que puis-je dire de vos jambes croisées, de l’abritement de votre sexe, du refuge de Vous en lequel vous semblez vous perdre, telle une Petite Fille que la simple clarté effraierait ?

   Comment, à partir de Vous, pourrais-je m’extraire de mon silence ? Et ces mules étranges qui vêtent vos pieds, quelle est leur valeur, quelle est l’inquiète teneur que vous leur attribuez ? Avancez-Vous dans le Monde à pas feutrés, comptés, dissimulés ?

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair 

 

  voyez-vous, je ne peux vous évoquer qu’au gré de cette constante hésitation, de ce frisson, de cette longue convulsion, de ce vibrato infini qui est celui-là même par lequel je demeure dans le puits de mon corps, ébranlé par la vastitude du Monde, par son rythme fou, sa vibratile trémulation. Sans doute, pour Moi, serez-vous dans l’étonnement infini du Temps, ce sémaphore flou agitant son signal dans le songe d’une brume.

 

Le songe ! De lui j’attends

qu’il vienne me délivrer

de Vous, me délivrer de moi.

Vivre est aliénation.

Qu’une extinction,

qu’un silence infini viennent

nous dire ce que, pour nous,

a été ce curieux cheminement

sur des sentiers dont encore,

au seuil de notre perte,

nous n’avons exploré

que la poussière.

Les racines sont loin,

les racines sont blanches

qui réclament une

pluie de signes.

Les Signes, seuls

nous les Hommes,

vous les Femmes,

 le pouvons.

Mais, au moins

le savons-nous ?

 Il fait parfois

si ombreux

dans la meute de

 la chair humaine !

Si ombreux que

la lumière efface !

 

Ombre, Chair 

Chair, Ombre 

Ombre, Chair

 

 

 

 

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22 février 2023 3 22 /02 /février /2023 09:12
Le Monde vu des coulisses

 Photographie :  Nicola Perfetto

Å partir du profil de Milou Margot

 

   Le Pouvoir. Le Pouvoir orthographié avec une Majuscule à l’initiale. Sans doute un vieux rêve de l’humanité que, tous, toutes, nous portons en nous-mêmes à défaut d’en vouloir témoigner, d’en exhiber ce qui pourrait figurer telle une paranoïa, telle une mégalomanie. Car l’Homme, tout homme est bien plus riche en vices de toutes sortes que paré des mille vertus auxquelles sa présence sur Terre devrait le destiner. Même les plus discrets, même les plus pudiques portent en eux, gravée au fer de la splendeur, cette nécessite de se dégager du troupeau, de marcher en tête, de prendre de la distance par rapport aux Autres, de se désigner tel le Héros qui a vaincu les parties adverses, a imposé sa loi et règne en Maître sans que quiconque puisse remettre en question sa naturelle légitimité.

   Alors que fait donc ce Titan parvenu au faîte de sa gloire ? Il parade, il reçoit avec tous les fastes dus à son rang, il organise des réceptions dont il occupe le centre et la périphérie, il claironne et papillonne, il se perd en mille représentations, en mille chamarrures, il se croit au sommet mais la réalité est plus abrupte et ses Obligés ne l’admirent qu’en apparence, ils rient sous cape de tant de naïveté, de tant de suffisance ne reposant que sur de vaines certitudes. Ivres de Pouvoir, ils ne sont ivres que d’eux-mêmes et vivent de cette inconscience tels des enfants capricieux qui n’en font qu’à leur tête, hissant leurs propres jeux à la hauteur d’un impératif existentiel.

   Mais admettons qu’un tel Homme, maniant les leviers du Pouvoir, puisse le faire en toute légitimité, en « tout bien tout honneur » et que ses actes soient ceux d’un Prince préoccupé du seul sort de ses Sujets. Déjà ceci serait suffisamment admirable et l’essence humaine serait atteinte au motif que servir ses Semblables est louable et ne saurait mériter nul reproche. Mais que serait donc, en son fond, la vie de ce Prince ? Sur quoi reposeraient ses joies successives ? Ce Prince se saisirait-il lui-même au plus profond de ce qu’il est ? Ne vivrait-il que d’illusions et d’apparences ?  Son âme ne lui renverrait-elle la vérité que d’une manière tronquée, genre de miroitement, de vitre qui ne réfléchirait que le rayonnement d’une naïveté, d’une croyance aux sincérités du Monde qui ne seraient que façade, mystification, imposture ? Les soi-disant « Grands de ce Monde » ne seraient-ils, en toute analyse, victimes de leur propre ego, ne s’arrogeraient-ils des faveurs et des grâces qui ne seraient que de simples buées, de simples vapeurs sans consistance ? C’est bien ceci qu’il faut croire car les « Grands » sont démunis comme tout un chacun dès que la maladie survient, que se profile le spectre de la Mort.

   Aussi, ici, faut-il faire le pari que le « vrai pouvoir », mais un pouvoir plus secret, plus subtil se donne à Ceux, Celles qui, demeurant dans l’ombre des coulisses projettent sur le Monde réel, un autre monde, virtuel, imaginaire, doté de mille ressources dont le Pouvoir des Princes n’aurait même pas l’idée, que leur ambition sans limites ne saurait porter au-devant d’eux comme le fruit le plus délicieux que leur esprit aurait créé, dont ils jouiraient à l’abri des regards, dans la partie impartageable, intime de leur être. Car l’exposition du Soi, sa mise en lumière, sa rotation selon mille esquisses, loin d’en accomplir l’essence, la réduit, la circonscrit et, pour finir, l’exténue, la conduit au Néant.

 

Nulle félicité n’est plus réelle

qu’à être dissimulée, qu’à se confier

d’un cheminement du Soi à Soi,

la distance la plus courte,

la plus efficace pour que le Sens,

nullement atténué par

quelque détour inutile,

puisse se donner en son entier,

en sa mesure la plus parfaite.

  

   Il y a toujours danger à s’exiler de Soi, à se livrer aux meutes aiguës des regards, à se donner en pâture aux Anonymes de l’agora qui auront vite fait de mettre à bas votre château de cartes, de démolir le pâté de sable avec lequel vous jouez innocemment, sans même vous rendre compte qu’il porte en lui les ferments de votre perte. Le Luxe immodéré au motif duquel vous pensez être à l’abri est la meurtrière même par laquelle vos Ennemis s’introduiront dans votre forteresse, en lézarderont les murs ; il ne demeurera bientôt qu’un champ de ruines dont vous aurez été, à votre corps défendant, la victime expiatoire. Oui, les Riches, les Puissants, les Importants sont à plaindre et, bien évidemment cette affirmation n’est paradoxale qu’aussi longtemps qu’elle n’aura reçu de justification. Ce qui pourrait paraître d’Eux, comme une force, n’est vraiment qu’une faiblesse. Il n’y a pas deux places pour une Gloire qui revendique le sommet, le sommet ultime, il y en a Une Seule. C’est pourquoi les Grands arment en permanence leur arquebuse vengeresse, abattant ici et là tous ceux qui osent se mesurer à leur Puissance. Bientôt le Puissant sera seul et totalement désespéré car il n’aura plus nulle cible à viser, sinon la sienne propre qui, étonnamment, se constituera selon la figure de l’Ennemi.

   Car le propre du Puissant est bien de s’adonner à la « dialectique du Maître et de l’Esclave », mais nullement dans le renversement de la situation qui l’aliènerait et ferait de lui un Dominé. La logique du Puissant est d’aller à l’extrême limite de son pouvoir, là où la colère adverse rougeoie sans pour autant s’enflammer, sans que Lui, Le Puissant, ne soit condamné à monter sur le bûcher. Tel Néron, il regarde Rome livré à l’incendie, il regarde les Romains succomber, du haut de sa tour d’ivoire il vit une joie sans pareille, il est le Surhomme et les autres Hommes, les Pauvres, les Nécessiteux, les Indésirables ne sont promis qu’au péril que, sans doute, ils méritent. Le Puissant demeurera seul au-dessus du brasier qu’il a lui-même allumé. Y survivra-t-il ? La Morale, vraisemblablement, le condamnera à endosser un sort aussi peu enviable que celui de ses Martyrs. Mais le problème, le plus souvent, c’est que la Morale tousse, trébuche et ne sait plus où est la Vérité, où est le Mensonge.

   Mais toutes ces méditations, cette longue fable n’ont pour objectif que de poser les perspectives selon lesquelles un autre regard pourrait viser le monde que celui de la « logique » affectant les rapports des Suzerains et des Vassaux. Entrons maintenant dans la peau d’un Vassal bien ordinaire, d’un Homme que n’effraie nullement la nature foncière de l’humanité, d’un Homme somme toute Simple qui ne cherche ni les louanges de la lumière, ni les applaudissements de la scène. Un Homme qui sache demeurer Homme dans sa tunique de modestie, sinon, parfois, de retrait. Il y a un évident bonheur à vivre dans le silence, à cultiver l’humilité, à tisser sa propre vêture des fils de l’anonymat. La photographie débutant cet article se veut la métaphore d’une existence discrète, retirée à même son cercle étroit, une manière d’eau de source qui suinte entre les pierres et les mousses sans que quiconque n’en perçoive le « luxe » immédiat, la féerie incomparable, un germe éclot dans le clair-obscur qui viendra au jour tel le dépliement léger d’une corolle.

  

Derrière les persiennes

à demi repliées,

dans la clarté naissante,

dans le cendre de l’heure,

dans l’aube à elle-même

sa propre promesse,

le silence est posé telle

la brume d’automne

sur le faîte des arbres.

Nul mouvement.

Tout est au repos.

Tout est versé à la méditation.

Tout fait signe vers le recueil.

Tout est Soi en Soi

dans le sans-distance.

Tout vit de sa propre vie.

Nul être à chercher ailleurs.

Nulle lumière à faire briller.

Chaque chose à sa place.

Le mur est brun qui,

encore, retient la nuit.

L’avenir est promesse.

L’instant est lumineux de Soi.

L’attente est belle.

Elle est pure halte.

Elle est pure décence.

 Elle est l’avant-Parole.

Un rai de clarté. Simple,

troué de l’image de

 quelques feuilles.

 La pièce dans sa mutité.

Signe avant-coureur du Monde.

La pièce demande l’ouverture.

Mais dans la discrétion.

Dans le repli.

Dans l’encore

 non-proféré.

Dans l’espérance vive.

  

   Le fauteuil. Vide. Libre de Soi. Vide ? Nullement. Occupé dans l’entièreté d’une Présence disponible. Occupé d’Invisible. Y aurait-il sur Terre plus grande beauté que celle qui se retient, qui sinue ici et là, pareille au cours du ruisseau parmi les lames des herbes ? Oui, ici, sur l’assise « orpheline », un Homme est venu.

 

Dans le mystère.

Dans le plus grand secret.

Dans la totalité d’une quiétude.

 

    Seulement cet Homme est invisible aux Autres, seulement présent à Soi. Cet Homme n’est l’Homme de nulle Richesse, de nulle Gloire, de nul Désir de Paraître, de nulle Envie d’une Avant-Scène, de nul Besoin d’un Public. Homme en tant qu’Homme au plein de qui il est. Sa Puissance est sa non-Puissance même. Au travers des persiennes, il regarde le Monde. Il en prend Possession sur le mode d’une Dépossession.

 

Il est libre.

 D’aller là où il veut.

De penser ce qu’il veut.

D’imaginer ce qu’il veut.

 

    Il ne connaît nullement le joug des contraintes. Il n’éprouve ni jalousie, ni envie d’être à la place des Autres, ces Esquisses de papier qui s’agitent et virevoltent tels des nuages de phalènes. Afin de rendre cet Homme visible, afin de le rendre réel, il faut, Soi-même, demeurer en Soi, ne nullement offenser les ombres, ne nullement dissoudre le silence. Cet Homme sans Parole n’est pas sans Langage. Si nul Verbe ne franchit ses lèvres, ce n’est nul défaut, c’est le souhait d’être entièrement disposé à Soi, dans le pli intime de l’être.

  

C’est dès l’instant

où l’Homme se lève,

dès le moment où il s’arrache

à sa propre assise,

dès l’heure où il prononce

ses premiers mots,

où il initie ses premiers actes

que les choses basculent,

 

   que les flux impétueux de l’Altérité le fouettent en plein visage, le débordent. Et c’est dans le basculement du jour, dans la survenue parmi les complexités du Monde que les problèmes surgissent, que la coque de noix se fend, que les premiers assauts du réel fissurent les cerneaux, que les cerneaux sécrètent une huile qui, déjà, n’est plus pure, qui déjà cherche la main qui flatte, la parole qui encense, les yeux qui charment, les soupirs qui séduisent et alors

 

l’Homme,

l’Homme discret,

l’Homme sobre,

l’Homme pudique

est en grand danger

de se perdre lui-même

parmi les bigarrures,

les chatoiements,

les mouchetés

du manifeste,

du palpable,

du matériel,

du tangible.

 

Oui, la tentation est grande !

 L’Homme en tant qu’Homme

 saura-t-il résister au chant

de Circé-la-Magicienne ?

Il faut la forme et la

détermination d’Ulysse

pour regagner sa patrie,

retrouver Ithaque, Pénélope

 et vivre selon son cœur,

nullement selon les feux

chamarrés qui partout

 sont allumés.

Oui, une grande force !

 

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18 février 2023 6 18 /02 /février /2023 09:46
« Écrit sur le Grand Rouleau »

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

 

                                                    Ce vendredi 17 Février depuis mon plateau de pierres

 

 

                                                                             Å toi, ma Libre Boréale,

 

 

   Sais-tu, Sol, combien il m’est doux de te rejoindre en ta septentrionale contrée. Près de toi, je viens trouver un peu de la paix qui me manque, un peu de la paix qui manque au Monde. Il y a tant d’agitation ces temps-ci, tellement de vents contraires, tellement d’abîmes qui s’ouvrent devant les pas pressés de la Destinée Humaine si bien que, cette dernière connaitrait sa fin et nul sans doute, ne s’en étonnerait, sauf les incurables Optimistes, sauf ceux dont l’illucidité est la marque de fabrique la plus visible. Le Monde va mal. Le Monde semble atteint d’un mal incurable, une « oublieuse mémoire » l’affectant, et cette amnésie partout répandue a vite gommé de son champ de vision, les guerres, les génocides, les pogroms et toutes les tragédies qui en ont tissé le cruel Destin. C’est tout de même affligeant cette inclination de l’humain à s’empresser de biffer les empreintes de sa félicité, à se précipiter, tête la première, dans l’aporie la plus vertigineuse, fût-elle dissimulée, isolée de quelque regard que ce fût ! On croirait avoir affaire à enfant insolent et terrible, une manière de petit sauvageon à la Gavroche qui ne vivrait qu’à maculer la beauté, qu’à tremper ses mains dans la boue, à badigeonner tout ce qui brille, à ôter la lumière, à la métamorphoser en ces ténèbres dont toujours nous redoutons la venue, nous en sentons l’haleine acide tout contre le coutil de notre peau.

   Certes tu me trouveras bien pessimiste à l’orée de cette année qui commence à peine. Mais, parfois, l’analogie est-elle troublante qui relie en un unique endroit, Pessimisme et Réalisme, comme s’il s’agissait en fait, d’une seule et même substance, d’une seule perspective faisant son clignotement double, faisant son illusion, nous trompant à l’envi. Ne penses-tu, Solveig, que la Réalité est le plus souvent triste, que pour cette raison nous l’affublons de masques, que nous la vêtons de brillantes passementeries mais qu’elle n’en demeure pas moins une préoccupation de tous les instants. Nous feignons de marcher d’un pas sûr, mais en réalité nous louvoyons, nous tâchons d’éviter les obstacles, nous essayons de passer « entre les gouttes ». Mais toujours la contingence nous rattrape qui nous confronte à nos propres démons, qui nous place face au miroir déformant où, surpris, nous découvrons notre propre anamorphose avec quelque stupeur. Mais plutôt que de prendre acte de notre dénuement, de notre cruelle fragilité, nous grimons notre visage, nous dissimulons nos rides sous des couches de « couvre-misère », nous mimons le Carnaval alors qu’il ne s’agit que de Noces tristes, d’Épousailles rompues bien avant que d’être consommées.

   Je n’aurai cependant nullement la cruauté de faire surgir devant toi ces séismes dévastateurs, ces guerres froides qui renaissent de leurs cendres, ces maladies sournoises qui nous jettent dans le plus vif désespoir. Oui, le Principe de Réalité est cruel et le soi-disant « optimisme » n’est jamais que « l’habit de lumière » qui dissimule nos hardes et nos guenilles, nos cruels lambeaux et nos défroques les plus pitoyables. Mais peut-être, déjà, en ai-je trop dit et la journée sera grise et la cendre poudrera le ciel de sa longue effusion. Ne serais-tu d’avis, comme moi, qu’à l’aune de tous ces sombres événements, nous les Humains, ne sommes nullement libres ? Une constante épée de Damoclès oscille au-dessus de nos têtes, le fil qui en retient la chute menaçant à tout instant de rompre, de consommer cette Finitude dont nous faisions nos délices lorsqu’elle n’était qu’une vague théorie accrochée au ciel du Monde et des Idées, mais qui, devenant réelle, signe notre disparition et nous conduit au cachot.

   Si tu veux le fond de ma pensée, très Chère du Nord, je crois que notre supposée liberté est uniquement tissée d’utopie ; que nos actes, que nous croyons nôtres, nous sont dictés depuis une zone mystérieuse et illisible ; que nos décisions, que nous jugeons la conséquence de notre volonté, ne sont que des « miroirs aux alouettes », des sortes d’artefacts ; que nos mouvements sont actionnés par d’étranges attaches ; que nous nous agitons sur la scène du Monde telles ces marionnettes à fil qui, supposément, se pensent elles aussi libres et qui ne sont qu’aliénées, tirées à hue et à dia sans qu’elles ne puisent en rien influer sur leur existence de bois et de chiffon. Une simple mécanique, des rouages d’horlogerie qui font leur tictac temporel dans l’inconscience la plus grande qui se puisse concevoir.

   Je pense que, sous mon écriture allusive, tu auras reconnu l’empreinte de « Jacques le fataliste », que tu auras saisi d’emblée la métaphore du « grand rouleau du Ciel » et sa mesure inéluctable, « tout est écrit là-haut ». Combien les paroles de Jacques paraissent une condamnation de la marche vers l’avant de la Destinée Humaine :

 

« Jacques : (...)

 Un homme heureux est celui

dont le bonheur est écrit là-haut ;

et par conséquent celui dont

le malheur est écrit là-haut,

est un homme malheureux. »

 

   Comment sortir de ce violent paradoxe, lequel pointant les hasards de la naissance, promulgue Celui-ci « heureux », celui-là « malheureux » sans que quiconque puisse en inverser le cours ? L’Aveugle a-t-il un jour choisi de ne pas voir, ? Le Sourd de ne pas entendre ?  Le Paralytique de ne pas bouger ? Le fossé creusé entre les Hommes est si abyssal que même la raison la plus étayée n'en saurait démêler le motif, en comprendre la cause.

 

Nulle égalité entre les Hommes.

Sauf le Souveraine Mort

 

   Les Hommes seraient-ils factuellement égaux et l’on pourrait proclamer, haut et fort, leur inaliénable liberté.

 

Nul n’a choisi de naître,

nul n’a choisi de mourir.

 

   Chère Sol, je crois, selon la formule canonique, que « la messe est entendue », qu’il n’y a plus, dès cet instant, de parabole divine à interpréter, plus de miracle à espérer et que les Religions ont les mains vides, que leur ballon de baudruche se vide aussitôt la supercherie déjouée. N’en déplaise au très estimable Sartre, l’Homme n’est nullement « condamné à être libre », il n’est que « condamné à être », c’est-à-dire à être selon les hasards de la vie qui l’auront balloté ici et là, abandonnant sur la grève quelque Miséreux, portant au zénith tel Autre qui aura hérité de supposés « mérites » et qui, pour autant, n’en pourra mais. Il faudrait être de « mauvaise foi » pour reprendre l’expression sartrienne, pour continuer à affirmer la Liberté dès l’instant où l’évidence indique la réalité contraire.

   Libre, ma chère Sol, nous ne le devenons que le jour de notre Mort, ainsi se profile un Sentier Lumineux au milieu des froids dessins de la Camarde. Tu voudras bien m’excuser de t’infliger de si lourdes assertions en cet hiver teinté sans doute encore, en tes hautes latitudes, des chagrins et des frimas qui plongent l’âme en ses délibérations les plus noires, en ses pensées les plus désolées, mortifiées. Mais connais-tu au moins quelqu’un qui ne se soit jamais exonéré de ses chagrins, de ses peines ? Faut-il confier sa tête, pareil à l’autruche, au premier sable venu, plongeant en la cécité afin d’éviter la cruelle blessure du jour ?

   Å observer l’image que je joins à ma lettre, cette œuvre de Barbara Kroll, à laquelle j’affecterai volontiers le titre de « Perdus en Eux », tu saisiras aisément le motif de mon écriture, cette désolation qui en ombre les mots, cette pure ténèbre secrétée tel un violent venin, tel un acide qui ronge les chairs, bientôt il ne demeurera qu’une vague tache bue par la poussière du sol. Car vois-tu, je crois qu’il faut, une fois porter haut la bannière de la Joie, une fois abattre la voile et naviguer dans la Douleur, proue face à la tempête. Nulle autre façon de naviguer, le Réel n’est nullement évitable. C’est lui qui nous détermine et non l’inverse.

   Je ne sais si l’Artiste, brossant ces Figures, pensait à quelque Destin. Si l’image de la Liberté l’emportait sur celle de l’Affliction. Ce que je puis cependant énoncer avec certitude c’est ma conviction que cette Triste Procession porte l’empreinte d’une pesante Métaphysique, que la Mort, la violente Mort pourrait surgir à tout instant, transformer ces Existants en spectres, en revenants, que sais-je en fantômes, en ectoplasmes à la forme fuyante, des êtres en partance pour un inconnu vertical. Le jour est vert, pareil à ces fonds marécageux dont j’imagine qu’ils reçoivent cette clarté d’aquarium, cette clarté qui est bien plus teinte de la psyché que délibération de la somptueuse Nature. Le sol est blanc. Blanc de neige taché de gris, on dirait la métaphore de jours anciens dont la mémoire ne retiendrait que la tristesse, l’incoercible chagrin, comme si l’Aventure Humaine ne pouvait jamais conquérir son futur que dans cette lumière avare, à peine un bourgeonnement, une rumeur. Certes il y a un mur, une falaise du mur qui porte sur sa surface un peuple de cœurs rouges, mais un peuple surtout reconnaissable à son empreinte de sang, non à l’aune de l’Amour dont il pourrait se faire le porte-voix. Du reste, ne ressens-tu, comme moi, cette manière de lourde hébétude, deux cœurs jonchent le sol de leur inutile présence, signe infini d’une vacuité qui en creuse le centre, en épuise la possible pulsation. Un cœur inerte qui est pareil à la feuille morte. Son dernier battement est encore visible dans la texture du dessin qui s’épuise à en dire la forme reconduite au Néant.

   Et les Personnages, les Spectres glissent en eux comme s’ils se précipitaient dans l’étroite gorge d’un puits. Vois-tu, Sol, ils me font une drôle d’impression, je les perçois telles des pièces d’un cruel Jeu d’Échecs, bien entendu tels des Fous girant au sein même de leur folie sans même en éprouver la mortelle essence. Autrement dit leur Histoire empreinte de Finitude pourrait se résumer à cette formule-couperet, à cette métaphore-guillotine :

 

ÉCHEC & MAT

 

   Tels d’infortunés scolopendres, ils se traînent vers ce qui va les détruire sans pitié aucune, leurs milliers de pattes ne leur servant qu’à les conduire vers ce précipice qu’ils ont longé toute leur existence, faisant mine de l’ignorer. Et ce qui est vraiment tragique ici, c’est qu’ils n’auront même pas la consolation de la lucidité, c’est que l’exercice de la Raison leur sera ôté. Ils iront à l’échafaud, avec, au cœur, une sorte de Joie poisseuse, gluante, s’élevant à peine plus haut  qu’une comptine pour enfants, pétrifiée dans le brouillard d’un songe étroit. Combien cette étique procession me fait penser à quelque cortège funèbre d’où le Mort lui-même serait absent, genre de cérémonie de la Mort pour la Mort. Mais que pourrait-il sortir de ces Silhouettes informes, ourlées de nuit, perdues en elles-mêmes qu’une antienne douloureuse, une antienne écrite avec des larmes de sang et de suie « sur le Grand Rouleau » ? Je te le demande. Je sais, tu ne profèreras nulle réponse car l’Absurde n’en exige aucune.

 

Il est lui-même le sans-réponse,

l’effacement du Verbe,

le Vide sidéral, le Rien

dont nous les Hommes,

vous les Femmes sommes tissés

jusqu’en notre fond

le plus abyssal.

Le plus abyssal !

 

   Chère Solveig, voici qu’enfin ma parole s’épuise, que mon sang se fige dans mes veines, que ma respiration est à la peine d’avoir tant dit et rien exprimé. Envoie-moi un peu de ton air du Septentrion, un peu d’air vif et frais, il sera ma consolation en attendant…

 

Ton impénitent ratiocineur Métaphysique

 

 

  

 

 

 

 

 

 

  

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3 février 2023 5 03 /02 /février /2023 08:37

   [Écrire, tantôt l’Ombre, tantôt la Lumière

 

   Parfois l’on se lève, les pensées mobiles, l’esprit alerte disposé à l’accueil de ce qui va venir. Le ciel est lumineux, infiniment tendu d’un horizon à l’autre, les bruits sont cristallins, pareils à une pluie libre s’égouttant sur le bord du Monde. Tout va de soi dans le pli du naturel, tout s’inscrit à merveille dans les lois de la logique, tout trouve sa place sans qu’il soit besoin d’en montrer le lieu. Les rouages, bien huilés, s’enchaînent avec harmonie sans même faire entendre leurs cliquetis. Le feraient-ils, ils nous raviraient, car il en est ainsi des Matins de Claire Lumière, ils sont une ambroisie dont chaque goutte est un ravissement, un exhaussement au plus haut de Soi. La crète des montagnes brille à la façon d’un acier poli. Les oiseaux sillonnent le ciel avec facilité et désinvolture. Les arbres en fleur distillent leur écume blanche à qui veut bien s’en saisir, orner sa boutonnière d’une once de joie. On gazouille aux terrasses des cafés. Les Hommes ont des chemises blanches ouvertes sur des torses puissants. Les Femmes sont des jambes de soie et leurs jupes sont de minces nuées. Dans les cours des écoles, les troupes d’enfants joyeux s’égaillent dans un jeu de marelle qui les conduit au Paradis, là où leurs rêves se déplient à la manière des pochettes-surprises. Le soleil est au plus haut et les visages sont hâlés qui profèrent en mode de félicité. On parcourt les larges avenues des villes avec légèreté. On écoute la musique qui s’échappe des fenêtres grand ouvertes. Ne le connaissant nullement, on aime le Quidam croisé au hasard de ses pas. Ses propres limites se sont dissoutes dans le matinal qui paraît s’ouvrir sur l’infini.

   Parfois l’aube est teintée de gris et le regard bute sur ce qui devrait être visible et se dissimule dans la touffeur des arbres, glisse sous les vagues de bitume noir. On avance sur le trottoir de ciment et de poussière. On avance avec le pas lourd et hésitant de Ceux dont le destin bifurque à chaque instant, ne sachant quelle voie emprunter, quel chemin prendre, tout se fond identiquement dans une même glu, tout ne fait signe qu’à être immédiatement gommé. Dans le Village Blanc au bord de la mer, nul bruit ne s’élève qui dirait la vie. Le Grand Café est vide et ses verrières sont des yeux glauques, des surfaces qui réfléchissent le vide de l’heure. Parfois, pareilles aux effusions glacées de la Tramontane, de noires Silhouettes traversent rapidement la place, gravissent avec peine les lourdes plaques de schiste, bientôt effacées par le porche d’ombre et alors, plus rien ne subsiste que cette mortelle angoisse, que ce sulfureux ennui qui suintent des pores des murs avec des convulsions de résine blanche. On avance mais dans le mode du sur-place, de ses pieds on foule un éternel présent, on renvoie le passé aux oubliettes, on biffe toute possibilité d’avenir. La Traversée que l’on aurait pu faire, le voyage dans le Vaste Monde n’est plus qu’une Traversée de Soi à Soi, qu’un piétinement dans l’étroite geôle dont notre existence nous fait le don, tout s’étrécit soudain à la taille des confettis de Carnaval, un Carnaval si triste que sa fin et son début coïncident étrangement. Ceci se dit en Matin de Sombre Venue.

   Ici donc s’enchaînent, Matins de Claire Lumière et Matins de Sombre Venue, comme si un ténébreux adagio succédait aux notes claires et cuivrées d’une cavatine. Ce que je nomme, dans le texte ci-après « Traversée » (qui est aussi le nom de la Mystérieuse qui y inscrit ses pas), c’est bien l’épreuve existentielle qui, de la Cavatine à l’Adagio, puis de l’Adagio à la Cavatine, nous fait penser à des temporalités aux registres opposés, ce que le Philosophe Allemand nomme du beau nom de « Stimmung », cette manière singulière d’être-au-monde, ce Ton Fondamental qui est le nôtre, qui nous définit et trace les limites de nos propres frontières. Si l’épreuve de la Stimmung est particulière, intime, déterminée au plus près du Sujet qui en est affecté, cependant son continuel bourgeonnement est d’essence universelle au motif que nul Existant ne saurait se distraire de cette nature foncièrement humaine dont l’aventure la plus fréquente consiste à cheminer par monts et par vaux, à s’élever au plus haut et au plus clair, puis, dans l’instant qui suit, de connaître les affres de l’abîme, de chevaucher de Charybde en Scylla, de pousser, tout en haut de la Montagne, la pierre de Sisyphe qui n’a de cesse de rejoindre l’abime qui, par nature, lui est destiné.

   Ainsi, à la manière d’un diapason un peu fou qui vibrerait une fois dans le Haut d’une éclatante Félicité, une fois dans le Bas, dans une mutilante Affliction, Traversée en son cheminement connaît, successivement, aussi bien « la ligne lumineuse d’une allégie », aussi bien « la lourdeur de la terre, le creusement du sillon en son noir humus, la force incoercible du roc du Destin ». Ainsi se dessine sous nos yeux, au travers de Matins Lumineux, de Matins Sombres, la « Carte de Tendre » de nos errements les plus étonnants, manière de « Jeu de l’Oie », lequel, de villes en rivières, de rivières en mers, de mers en lacs, ferait de notre parcours sur Terre, la plus capricieuse des Traversées, la plus périlleuse, mais aussi la plus belle qui soit. Nous sommes des êtres en chemin.]

 

*

 

Sur Traversée :

  

 

Elle, dont la silhouette

est à peine visible

sur la courbe du Monde,

Elle discrète au plus haut point,

elle l’eau limpide de la Source,

elle l’Inapparente dont le

corps ressemble

 à une simple risée de vent,

elle ne s’appartient guère,

elle diffère de soi, si bien que sa

 forme pourrait se dédoubler,

se multiplier, image reflétée

dans des milliers de miroirs,

juste remuement à la

surface des choses,

poudre légère qu’un vent soulèverait,

brume montant de la surface unie de la mer.

Elle que, sans délai,

 nous nommerons Traversée,

elle qui toujours nous sera distante,

elle en son infini glissement,

nous voulons la faire nôtre

et la loger en notre intime à la

façon d’une pensée secrète,

du rougeoiement d’un sentiment,

de la soie d’une caresse.

 

Savez-vous combien

ces Êtres de vapeur

et de frimas sont attachants ?

Les apercevoir au loin,

tout contre l’épaule du nuage

est déjà pur prodige et nous tendons

 nos bras dans le geste du saisissement,

sachant en notre for intérieur

que nous n’en connaîtrons

que la fuite à jamais,

la brillante lisière

 posée sur la frange de l’horizon.

Nous voudrions, qu’en un point

de notre regard, au foyer désirant

de qui-nous-sommes,

s’inscrivissent pour l’éternité

 cette manière d’Elfe gracieux,

cet Ange tout droit venu du ciel,

 Ce Chérubin, toute une

 Procession Céleste

qui nous dirait la

lourdeur de la terre,

le creusement du sillon

en son noir humus,

la force incoercible

du roc de notre Destin.

 

Ce que nous souhaiterions,

au plus vif de notre chair,

que Traversée y traçât la ligne

lumineuse d’une allégie

au motif de laquelle,

ôtés à nous-même,

nous flotterions

entre deux eaux,

celles des abysses

 lestés de Tragique,

celles de surface telle un

ondoiement de Bonheur.

Mais qui donc n’a jamais rêvé

de voler au plus haut de l’air,

de se confondre avec le

sûr trajet de l’hirondelle,

avec l’assurance de l’aigle à régner

sur toute cette mesure d’invisible,

à être le Maître que nul

autre n’oserait tutoyer,

sa royauté est hors de toute limite.

 Car, oui, nous avons besoin, tout à la fois,

de cultiver les certitudes terrestres,

d’éprouver le doute céleste,

celui-là même qui, nous arrachant

à qui-nous-sommes,

nous portant hors nos propres limites,

nous apprendrait à percevoir

cette texture d’Infini qui nous habite,

dont cependant,

l’origine est si cachée,

si énigmatique,

que nous n’en ressentons parfois,

dans le jaillissement de l’instant,

que le vif et altier aiguillon,

il est déjà loin et nous sommes

orphelins de qui il a été,

que nous aurions pu rejoindre,

 abandonnant notre peau

sur le sol de poussière,

rapide exuvie qui nous eût

métamorphosé

en cette Idée qui

parfois nous obsède

et nous conduit sur le bord

vertigineux d’une angoisse :

être Soi et Non-Soi,

être l’Existence même et

Le Néant qui en est

le brillant contretype.

Nous croyons que le SENS

est dans l’intervalle,

dans la subtile jonglerie

entre ÊTRE et NON-ÊTRE,

 dans cette jointure,

cette étonnante liaison

qui un jour se donne

en tant que Parole,

 au autre jour

en tant que Silence.

   Mais rien ne sert de tirer des plans sur la comète tant que nous n’aurons pas touché du bout du doigt, de l’extrémité de l’âme, cette Évanescence de Traversée, tant que nous serons éloigné de son Essence. Oh, bien sûr, il ne s’agira que d’une approche, c’est la loi de tout Exister que de ne pas se confondre avec ce qui nous détermine en tant qu’Essence. Mais, c’est pareil à une touche à fleurets mouchetés dans l’art de l’escrime, passer au plus près d’une ultime signification sans risquer le naufrage dans le feu qui nous est tendu comme le plus grand péril. Car, oui, il y a péril à tenter de connaître ce qui est inconnaissable qui, certes, nous invite, nous fascine et nous conduit à la lisière de notre propre faille.

 

Ce qui habite le centre même

de notre interrogation,

ce qui habille nos nuits

de songes blancs,

ce qui sème nos jours de brusques

mais inquiétantes illuminations :

notre sentiment de dépossession.

 

Nous nous appartenons

sur le mode

du fragment,

de la division,

de l’éparpillement et

notre point d’équilibre

n’est qu’éternelle oscillation,

flottement ici et là,

comme si notre peau était

une voile tendue que le Noroit

 ferait se gonfler d’une sourde violence.

 

 

En réalité, Traversée

ne s’appartient pas,

elle est constamment

dans la posture paradoxale

de répondre au désir du Monde,

puis de s’en affranchir.

Tantôt elle est immergée en elle

au point de ne plus voir

que son propre horizon,

puis elle sort de qui-elle-est,

traversée du rythme léger des étoiles,

 traversée des houles et des vents,

 traversée du sillage des comètes,

des marées solaires,

des lueurs vertes des aurores boréales,

traversée des arcs souples des barkhanes,

traversée de l’eau limpide des rizières,

traversée des herbes jaunes des steppes.

 

Traversée est tout ceci à la fois,

un tropique, un méridien,

de hautes latitudes,

de profonds abysses,

puis, parfois, PLUS RIEN,

une perte au large de Soi,

une musique ancienne,

 une fugue qui s’éteint

dans les plis du silence.

Elle est Elle et

Non-Elle à la fois.

 Nous regardons Traversée,

sa transparence de cristal,

 son tissage de fin coutil,

son éphémère buée et,

ce que nous voudrions,

depuis que le Monde est nôtre

Être Nous, être l’Autre

Être qui-nous-sommes,

être Traversée en Soi

Être Présence, être Absence

Être Plénitude, être Vacuité

Être Recueillement,

être Dispersion

 

Ce que nous voudrions être

Le Mot et l’Intervalle

entre les mots

Le Mot nous rassure

L’Intervalle nous transit

La Parole nous fait tenir debout

Le Silence nous terrasse

 

Traversée qui est-elle, elle qui

nous met au défi de la comprendre ?

Traversée est l’Intervalle entre les Mots

Traversée n’est plus et déjà

est au-delà de toute saisie

Traversée est le mouvement

qui tisse le Temps

Elle est constant

aller-retour de navette

 

Traversée est l’espace plein

Entre L’Amant et l’Amante

L’espace discret

entre la Nuit et le Jour

L’espace indicible

entre la Vie et la Mort

 

Traversée est cette puissance

 qui nous fait aller de l’avant

elle est cette halte qui nous maintient

longuement au-dessus des choses

dans leur inquiétant suspens

Traversée c’est Nous,

c’est l’au-delà de Nous

Traversée est cet innommé

que nous hélons depuis

la nuit qui parfois,

 qui toujours

nous étreint.

Y a-t-il une lumière

quelque part

dans notre étrange Traversée ?

Parfois le corridor est si sombre

comme si les étoiles

éteintes l’une après l’autre

avaient écrit dans le Ciel

le Silence de leur propre désarroi.

Et le nôtre qui n’en est que le reflet

un écho se meurt qui ne dit son nom

 

 

 

 

  

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31 janvier 2023 2 31 /01 /janvier /2023 10:23

 

   [Avant le texte – Ce mixte de prose et de poème, si du moins il en peut être ainsi, ne vous rencontrera qu’à vous poser problème. N’en serait-il de cette manière et vous auriez lu seulement la surface, non la profondeur, non la ténèbre qui se dissimule derrière chaque mot, tel un piège dont les mors pourraient se refermer sur la fragile toile de votre conscience. Les mots de ce texte parlent de la Mort. Cependant, de la Mort Majuscule qui n’est, en toute hypothèse, que l’ombre portée de NOTRE FINITUDE. Oui, en Grandes Lettes car cette vérité, il faut l’afficher, la porter à la cimaise, là où notre regard distrait voudrait seulement la confondre avec la feuille flottant dans le vent, la blanche giboulée, l’écume du nuage. Toutes des légèretés, des nuées qui nous exonèreraient de penser plus avant, de tresser les fils de bien plus noires préoccupations. Car, nous les « Hommes de bonne volonté », nous ne voulons l’exercer, cette volonté, qu’à saisir les bulles qui crèvent à la surface de l’étang, non à fouiller la vase qui en tapisse les abîmes. Nous voudrions un flux apaisé, une onde de cristal sur laquelle nous pourrions flotter tout comme de lumineux cerfs-volants, fouettant l’azur de leur queue enrubannée, polychrome. Oui, c’est ceci que nous voudrions mais nous savons bien, en notre fond, qu’alors, nous ne sommes jamais que des rêveurs debout, des genres d’amusantes cocottes en papier qui n’interrogent nullement les plis qui en constituent la structure, pas plus que le lieu de leur provenance.

   Mais ici, convient-il de laisser la métaphore à son propre destin, cette atténuation du réel et donner, précisément à CE RÉEL le visage qu’il requiert en propre, face auquel, le plus souvent, nous sommes démunis. L’écriture ci-après est noire, chargée d’un sens mortifère. La Mort y surgit à chaque ligne ou presque, comme si, embusquée en quelque sombre ornière, elle attendait notre marche sur le chemin pour lancer, sans retard, et avec quelque véhémence, cette liane élastique qui fera de nos jambes des bouts de bois paralytiques. Ainsi la Mort nous cloue-t-elle au sol sans que, parfois, nous ne puissions nous relever sans dommage. Si j’énonce le fait qu’au motif du Langage en tant qu’Essence, les mots ne peuvent qu’être lumineux, je n’ai aucun doute que des Lecteurs et Lectrices emboîteront mes pas sans l’ombre d’un quelconque regret. Bien évidemment, il en ira bien autrement si chaque mot écrit s’abreuve à une source mortelle, infiniment mortelle. Parlant du vaste Désert Humain, si j’écris, comme ci-après : « Un tel vertige s’y annonce, porteur de bien des inquiétudes. », je sais que, d’ores et déjà, l’acte de lecture se verra teinté de gris, que de funestes ombres planeront ici et là, qui prendront le visage de la déréliction. Certes, il ne peut qu’en être ainsi.

   Mais, que nous souhaitions contourner l’affliction, nous soustraire aux griffes de la tristesse, de la mélancolie, ce qui est une inclination naturelle, ceci, bien évidemment ne modifie en rien la texture du réel, il adhère à notre peau comme le lierre au tronc. Le geste d’écriture, sauf à être pure gratuité, ne saurait rien laisser dans l’ombre. Une fois la face de Lumière, une autre fois la face d’Ombre. Lorsque l’on se met en quête d’explorer le langage, son sens, l’on s’aperçoit vite qu’il ne fait que mimer le paradoxe humain, l’on découvre vite que, sous la Vie, se dissimule la lame aiguisée de la Mort. Si, de nos énonciations, nous ôtons la Funeste Camarde, alors nous amputons le réel de sa moitié, si ce n’est de son fondement, de ses assises. Car écrire s’abreuve à deux sources opposées mais logiquement complémentaires. L’écriture, et ceci de façon essentielle, a partie liée avec la Mort. Chaque mot qui surgit sur la page blanche, d’où tire-t-il sa soudaine existence ? Il est tout simplement exhumé du Néant, cet autre nom pour la Mort. Tel le Phénix qui renaîtrait de ses cendres, autrement dit s’abreuverait à sa propre inexistence.  Tout mot prononcé, tout mot écrit, brillent d’un soudain éclat, leurs corps sont le lieu d’une fulguration puis d’une disparition qui leur est coalescente. Le Monde du Langage est une immense célébration que recouvre aussitôt une épaisse et lourde taie de silence. Tel mot d’anthologie écrit par Ronsard, Rabelais ou Montaigne, ne soutient sa profération qu’à bientôt être versé aux archives de l’oubli. Qui, aujourd’hui encore, se soucie des « Odes », qui parcourt les merveilleuses pages des « Essais », qui se distrait des facéties de Frère Jean des Entommeures en son abbaye de Thélème ? Sans doute est-il « naturel » qu’il en soit ainsi, chaque époque vivant en synchronisme avec « son temps ».

   Si nous regardons la genèse du mot, nous nous apercevons bien qu’il s’agit de l’extraire du Néant, en attendant qu’il retourne au Néant dont il provient. Selon ce cycle immémorial :

 

Néant du Mot

Naissance et Vie du Mot

Mort du Mot

 

   Que ceci nous affecte, ne change en rien le destin lexical, nous en faisons une simple constatation. Si, dans quantité de textes, nous nous appliquions à découvrir, sous l’énoncé, la résurgence mortelle qui en parcourt la chair, nous serions sans doute décontenancés de la même manière que nous le sommes, lorsque, sous l’écorce de l’arbre, nous découvrons sa fragilité, son abandon, parfois, au sourd labeur des xylophages. C’est bien là la loi de l’entropie, toute matière porte en elle les germes de sa propre destruction. Si, par l’imagination, nous essayons de poser devant nous la figure de l’Écrivain qui vient de mettre le point final à son œuvre, nous ne pouvons jamais l’envisager tel un humain heureux du travail accompli, bien plutôt tel l’enfant aux mains vides qui, un matin de Noël, découvre la vacuité, l’inanité du sapin dont il ne demeure que quelques aiguilles dispersées au hasard des tomettes. Tout est toujours ailleurs qui fuit de soi.]

 

**

Depuis la fente où mes yeux

s’allument à la clarté du réel,

 je Vous observe comme

le Biologiste interroge

le cristal d’une diatomée.

Vous êtes mystérieuse

et, de ce mystère, s’accroit

l’interrogation de ma vision.

Aperçue, surgie du

plus loin de l’irréel,

je crains et souhaite,

 tout à la fois, la persistance

de Votre image,

son incrustation à même

la conque d’ivoire de ma tête,

ce Désert qui, le plus souvent,

sollicite la venue de

quelque étonnement.

Un tel vertige s’y annonce,

 porteur de bien des inquiétudes.

Vous que je ne connais pas,

qui sans doute demeurerez un

territoire à jamais secret,

Vous arrive-t-il de Vous interroger,

de Vous déporter de qui-Vous-êtes,

de Vous pencher sur la limite du Monde,

de tâcher d’en découvrir l’essence cryptée,

oui, cryptée au-delà de toute logique,

 cryptée au-delà de toute raison ?

Le ciel est gris-blanc,

cette hésitation entre une nuit,

un jour, un long suspens,

le fléau d’une balance

que nul mouvement,

désormais, n’animera.

L’instant devenu éternité.

Ne croyez-Vous

qu’il ne s’agisse là

du don le plus précieux, ?

l’heure immobile

et le soleil cloué

dans sa boule blanche

au plus haut du zénith.

N’êtes-Vous identique

à ce cosmos figé,

à cette matière

dense et nébuleuse,

inconsciente de son

propre abîme ?

Oui, car tout est abîme,

le mouvement

comme son absence,

la parole

comme son silence,

la puissance

 comme la faiblesse.

 

Nous sommes des

Êtres désarticulés,

 des mannequins de bois,

les pièces gisent au sol, identiques

 à de tristes fragments, semblables

 à des jeux d’enfants avec leurs

osselets disséminés.

Je ne sais si c’est la texture

granuleuse du ciel de neige

qui m’incline ainsi à tant de noirceur,

si le tragique vêt mon corps

 à la manière d’un terrifiant suaire

 si, en qui-je-suis, un éparpillement

 n’a été semé comme ma

marque distinctive.

Et je crains fort que ma

maladie ne soit contagieuse,

qu’elle ne pollue

chaque Quidam

qui en croisera le chemin,

chaque Nomade

qui en apercevra

la biffure en croix,

l’indice

 mortel plus

que mortel.

 

Mais j’ai assez parlé de moi,

je Vous ai assez reléguée

 dans d’insondables oubliettes.

Il me faut Vous exhumer

de cette fosse triste et, à défaut de

Vous donner des couleurs, au moins

Vous décrire en Noir et Blanc,

Vous approcher avec le fol espoir

de soulever un pan du voile

qui ne Vous restitue à mes yeux

que sous le signe

paradoxal d’une arrivée

à Vous qui, en réalité,

n’est que fuite imminente,

manière de songe-creux,

de résille onirique

si souple, si ténue,

elle se dissoudrait dans

l’illisible trame de l’air.

 

Je ne Vous appréhende qu’à

mieux Vous éloigner de moi,

je ne suis en Vous qu’à

mieux Vous considérer

sous la forme de la nuée,

de l’étincelle d’eau, d’une fumée

qu’un ciel vide aspirerait de toute la

persuasion dont il est capable.

 

   Je crois que notre « possession » mutuelle ne peut se sustenter qu’à l’aune de deux abstractions, deux lignes convergeant à défaut de ne jamais pouvoir se rejoindre. Les arbres, devant Vous, sont une immense gerbe de noir, une flamme cernée de la plus vive angoisse et, aussi bien, Vous pourriez y disparaître dont nul sur Terre n’aurait perçu l’effacement. Savez-Vous, même les Puissants de ce Monde ne sont qu’une suite de zéros devant un chiffre. Leur stigmate mortel est celui-là même

 

de l’Égaré,

 du Chemineau,

du Roturier,

 

   tous ils sont des Serfs de l’exister, tous ils sont condamnés à errer sans fin dans la vacuité de leur propre corps. Ils ne sont que de vains drapeaux de prière et nul Dieu ne répond à leurs sombres incantations.

   Tous, nous sommes tressés de vide et le vide gagne chaque jour qui nous accule à la toile sans issue de notre peau. Nous n’avons plus de recul. La barbacane de notre corps est notre tombe. Oui, ceci est cruel ! Mais une chose s’annule-t-elle à ne jamais être nommée ?

 

La Mort, la Divine Mort

est-elle soluble

dans l’eau,

dans l’acide,

 dans la magie du Poème ?

 

   Un Homme Mort a-t-il jamais pu, tel le Phénix, renaître de ses cendres ? Vous voyez bien qu’il n’y a nulle issue, que la Grande Falaise Ultime nous toise de son regard blanc, éblouissant, que nous nous dirigeons vers elle, certes avec Terreur, certes avec Angoisse et le fol espoir que, peut-être passée la Limite Blanche, nous découvrirons quelque Pays de Cocagne, dont même la plus vive de nos lucidités n’eût pu tracer le moindre portrait, envisager la stupéfiante genèse.

   Le sol est de grise texture, une sorte de laine qui court au-devant, ne sachant rien ni du-devant, ni de ce qui fut, dont l’empreinte a disparu des mémoires. Dans l’Illimité qui Vous reçoit, Vous n’êtes nul diadème ornant la tête d’une Déesse, non, Vous êtes cette marche sur place qui vous tient lieu d’identité, ne Vous reconduit qu’à votre site mortel, infiniment mortel.

 

Signe noir

pareil à l’aile du corbeau,

pareil au charbon sous la cendre,

pareil à une sombre humeur

 

   ne trouvant en elle que des motifs étranges girant tout autour de mots qui n’ont plus de sens que leur extinction au large des consciences. Vous êtes debout, tel un pieu planté dans la neige solitaire. Vous n’avancez, ni ne reculez. Vous êtes un Mot perdu dans le vierge d’une immense page blanche et nul lecteur ne vous inscrira jamais dans son « oublieuse mémoire », nul enfant joyeux ne Vous archivera à la manière d’un jeu égaré dont il tirera, un jour futur, la plus vive joie, celle-ci accrue du prestige de l’oubli, du redoublement de la perte.

 

Non, n’essayez pas de Vous

distraire de Vous-même,

d’attendre du secours de l’Autre,

Vous êtes à Vous-même

votre propre problème,

Vous êtes l’insoluble énigme,

Vous êtes le Sphinx dans

sa mutité de pierre.

   

   L’ombre, oui cette Ombre longue, infinie, Vous auriez pu en faire un début d’explication avec celle que-Vous-êtes, interroger le Passé, dresser, tout le long de cette ombre, des degrés qui eussent été autant de points de repères, autant de cailloux blancs semés sur votre trajet de Petit Poucet. Malheur à Vous, ces menus viatiques se sont effacés au fur et à mesure que Vous progressiez en direction de Votre Destin ou de ce qui en tenait lieu, cette manière de parole sur place, de bégaiement qui, bientôt se métamorphosa en sourde aphasie,

 

Vos propres mots

Vous ne pouviez les entendre,

Votre bruit intérieur Vous assourdissait,

Vos méditations tressaient

autour de Votre cou les lianes

qui fomentaient Votre perte.

 

   Oui, le constat de l’aporétique Condition Humaine est pareil à la gifle assénée avec toute sa violence sur le visage de l’enfant innocent qui meurt avant même d’avoir compris quel est le lieu et la nature de sa faute. Mais, nous les Humains, tous autant que nous sommes, nous errons au sein même de la Faute de Vivre. Car cette Vie qu’on nous a donnée, que nous avons explorée sous toutes ses coutures, que nous avons exposée aux plus vives lumières puis immolée au sein de l’ombre, nous ne parvenons pas à en tracer la moindre esquisse, elle glisse entre nos doigts et il ne reste qu’un fin grésil dont l’étique et fragile forme ne convient nullement à quelque interprétation que ce soit.

 

Alors, comme Vous,

 l’Inconnue de l’Image,

plantés dans cet immense

Désert blanc, nous rassemblons

 nos mains dans le geste de

 la prière et de l’imploration.

Mais nos jointures

sont blanches

où rien, ne s’inscrit

que la fuite à jamais

de qui-nous-sommes

vers d’invisibles territoires,

des mirages au loin qui faseyent,

nous croyons y lire notre image

mais nos yeux sont

des boules blanches

 que ne perce nulle pupille.

Et nous pleurons sur Nous

puisque personne ne nous

vient jamais en aide.

 

Le ciel est gris-blanc,

 Le sol est de grise texture,

L’Ombre est longue

qui ne connaît ni le

chiffre de sa venue, ni la

 mesure de sa perte.

 

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21 janvier 2023 6 21 /01 /janvier /2023 10:51
Du Noir au Blanc, l’espace  d’une venue à l’Être

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

Il faut partir d’un Noir

primitif, archaïque,

d’un Noir pur si l’on peut dire.

Le Noir est entièrement à lui,

sans que quelque différence

ait pu se longer en son sein,

le souci d’une flamme,

le déploiement d’une clarté,

l’amorce d’un sens qui,

en quelque manière,

le feraient étranger

 à lui-même,

doué de quelque prédicat

dont il n’aurait

souhaité la venue.

 Le Noir pour le Noir

 en sa fermeture

la plus radicale,

la plus absolue.

 

Le Noir voulant

se connaître jusqu’en

son abîme même.

Le Noir qui cogne

contre ses propres parois.

Le Noir reclus

en son domaine

 qui est absence de visibilité,

 maculation de la Parole,

taie posée sur

les yeux des Voyeurs

qui n’en peuvent

pénétrer le secret.

 Le Noir du Bitume.

Le Noir de la Suie.

 Le Noir en sa ténèbre

la plus profonde,

la plus énigmatique.

 Le Noir et rien au-delà

qui dirait le Monde

 en sa multiple parution,

qui dirait le rivage de la Mer

avec ses étincelles de lumière,

qui dirait la Beauté faite Femme,

des yeux d’opale,

une joue poudrée de rose,

la perle menue de l’ombilic,

 la fente adorable du sexe

pliée en son tissage de soie.

 

Le Noir ne veut rien

que cette immense solitude,

que ce Désert aux

barkhanes mystérieuses,

que cette Nuit que

ne troue nulle étoile.

Le Noir veut cette Monade

 sans portes ni fenêtres

 car à quoi servirait

 de différer de Soi,

de s’ouvrir à l’altérité

avec ses masques,

ses meurtrières,

ses faux-semblants ?

 Il y a trop de risques

à un décalage de Soi

qui pourrait

 bien s’avérer suicidaire,

sinon mortel.

 Il faut demeurer au sein

même de sa crypte,

tendre l’oreille et n’écouter

que ses déflagrations intimes,

ses borborygmes

pour seul langage,

son immobilité

 pour seul chemin.

 

Le Noir n’est le Noir

 qu’à demeurer dans

ce trait d’invisibilité,

dans cette gerçure

 à elle-même

sa propre profération.

Le Noir n’est le Noir

qu’à la mesure

de son autarcie,

de son autisme

où les questions

sont des réponses

où les réponses

s’abreuvent

aux questions.

Nul besoin d’être

ailleurs qu’en Soi.

 Et, du reste,

un ailleurs existe-t-il,

n’est-il seulement

dérive à l’infini

d’une méditation

sans objet ?

 

***

 

Le Blanc.

Le Blanc sur le Blanc.

 Le Blanc comme la neige.

Le Blanc comme l’écume.

Le Blanc comme le silence.

Le Blanc ne dit rien,

le Blanc demeure en Soi

au pli même de sa virginité.

Le Blanc comme a priori,

comme ce qui précède

toutes choses,

annonce leur venue depuis

une haute sphère d’invisibilité.

Rien n’existe

encore et le Blanc

est une vague rumeur,

une comptine en sourdine,

une fugue à peine plus haute

qu’une réserve, qu’une pudeur,

le Blanc est tout ceci

qui pourrait advenir

mais se retient encore

en d’inaccessibles limbes.

Le Blanc ne le sait pas encore,

au motif de sa pensée

lilliputienne,

microscopique,

mais il ne pourra jamais

advenir à son propre être

qu’à être relié,

qu’à être taché

en quelque sorte

par quelque chose

qu’il ne connaît pas encore,

 qui lui est extérieur,

qui lui est totale distance,

complet éloignement,

clignotement inaperçu

au large de qui-il-est,

dissemblance qui, pourtant,

sont tous les signes

qui l’accompliront

au-delà même

 de ce qu’il pourrait

imaginer

de plus étonnant,

de plus inouï.

 

Depuis l’Origine où il sommeille,

le Blanc ne peut rien formuler,

ne peut appeler les mots,

 les organiser en phases,

les édifier en pensée.

Le Blanc est pur silence

et, par opposition au Noir

 totalement refermé

sur son fondement,

 il est, à son insu, demande,

il veut connaître des signes,

s’ourler de caractères,

s’armorier de lettres

et d’espace entre les lettres,

 il veut que son immense

 Plaine Blanche

devienne le lieu

du Pur Langage,

qu’un Sens se lève

de ce qui, autrement,

ne serait

que le sombre

visage de la dévastation,

la figure du dénuement

en sa plus verticale angoisse.

Ceci ne serait-il envisageable,

une terreur se dresserait

qui le clouerait à trépas

pour le reste de l’Éternité.

LE BLANC VEUT LE NOIR,

comme l’Enfant veut le Jeu,

comme l’Amante veut l’Amour,

comme le Ciel veut le Terre.

 

Volonté qui, inconsciemment,

forge les objets de sa

propre désocclusion,

de sa sortie dans le monde

des significations plurielles.

Du fond même de son

attente silencieuse,

le Blanc sent comme

 une fermentation,

un à peine remuement,

une inaudible floculation.

Mais voici que ce qui

demeurait en retrait,

qui sommeillait

lourdement

au plein de son

opaque matière,

voici que Le Noir,

simple ligne d’abord,

puis belle efflorescence

 de signes,

 le Noir s’anime au sein

même de la Pure Blancheur.

Ce sont les premières

« Noces barbares »

de principes qui,

 jusqu’ici, s’ignoraient,

se tenaient à distance

 sur des « Monts Éloignés »,

 tel l’intervalle qui sépare

la Poésie de la Pensée.

Mais la Poésie n’est rien

sans la Pensée.

Mais la Pensée n’est rien

sans la Poésie.

Mais le Blanc n’est rien

 sans le Noir.

Mais le Noir n’est rien

sans le Blanc.

   

   Enfin la rencontre a lieu qui initie les premiers balbutiements d’une Genèse. Nullement biblique, seulement langagière, profération des Mots à la hauteur desquels l’Homme existe et existe seulement à l’aune de ceci :

 

PARLER – LIRE – ÉCRIRE

 

L’Homme n’est que ceci :

une suite de Mots,

un enchaînement de Phrases,

un empilement de Textes.

 

   L’Homme est strictement Babélien, c’est pourquoi il use de signes, c’est pourquoi, sur l’ardoise Blanche et livide du Jour, il trace avec application les Graphies nocturnes du Sens.

 

HOMME = LANGAGE = SENS

 

   Nul autre mystère à éclaircir que de lire, dans l’immense livre du Monde, l’Histoire des Hommes et des Femmes, les traces qu’ils déposent sur la croûte attentive de la Terre.

 

Être Homme,

être Femme, ceci :

 tracer, jour après jour,

les contours de qui-l’on-est,

 ici déposer la douceur d’un chant,

là imprimer un geste signifiant,

là encore poser son pied dans l’argile

afin que, de Soi, quelque chose

témoigne dans la merveilleuse

 aventure anthropologique.

  

   Le Noir veut le Blanc (car c’est une nécessité, une Loi dialectique). Le Blanc veut le Noir, c’est ce que nous dit, en termes métaphoriques, cette esquisse de Barbara Kroll mais c’est nous les Hommes qui restons fermés aux signes de l’image au motif que notre naturelle torpeur, sinon notre paresse, ne veulent guère s’enquérir de ce qui gît au-delà de l’horizon et, pourtant, là est notre avenir, ce pour quoi nous sommes venus à la Lumière alors qu’encore notre dos connaît la ténèbre, y retournerait pour peu que notre vigilance baisse, que nos yeux se ferment à la clarté du jour, cette dimension du SENS qu’il nous est intimé de connaître. C’est là notre Destin le plus heureux, le sillage que nous pouvons laisser dans le sourd massif des ombres qui toujours nous menacent et pourraient nous reconduire au Néant si nous perdions notre position de Vigie tout en haut de la proue de cette frêle embarcation qui se nomme « VIE », dont, le plus souvent, nous ne percevons que la surface et les flots courent en direction des abysses sans même que leur clapotis ne nous alerte.

   Mais maintenant, il nous faut dire à propos de l’image car nous ne saurions la laisser en friche. Car toute image n’est riche de significations qu’à l’aune de ce que nous y semons et, plus tard, de ce que nous y récolterons, qui ne sera jamais que l’écho de notre propre image.

 

Se connaître soi-même

 est connaître le Monde.

Connaître le Monde est

se connaître soi-même.

C’est curieux, tout de même,

ces enchainements logiques,

ces retours en forme de chiasme,

ces significations qui appellent

d’autres significations selon

un incroyable cercle

herméneutique.

 

Cheveux noirs.

Visage noir.

Vêture noire qui fait

sa sombre cascade

tout le long du corps.

Les yeux ?

Où sont-ils ?

Ils émergent si peu

de la confusion

qui les entoure.

Le nez n’est sollicité

par nulle fragrance.

La bouche : à peine un pli

à la commissure des lèvres.

 

   A voir ceci, ce spectacle de pure incompréhension, nous sommes égarés, nous ne savons plus qui nous sommes en notre être. Mais quel est-il ce domaine nuitamment reconduit à sa marge d’invisibilité ? Ne serait-il simplement la figure dissimulée de l’INCONSCIENT, lui dont on parle, dont on ne sait s’il existe vraiment sous la ligne de flottaison existentielle ? Ici est l’espace sans nom des choses informelles, un simple grouillement, une soupe de particules d’où rien ne monte qu’une confondante angoisse. Ici, nous sommes dans l’innommable, dans la pure digression fantasmatique, bien plutôt des ombres que des mots. Ici gît, telle une sourde matière, le roc biologique en sa mesure la plus étroite, en sa posture la plus réifiée. Nul mouvement, si ce n’est un genre d’activité uniquement cellulaire, peut-être une translation égale à l’arc réflexe du batracien cloué sur la planche d’anatomie du laboratoire. On est immergé dans le tissu glauque de la mangrove (métaphore récurrente dans mon écriture), avec les sinistres enlacements de ses racines noires, avec son eau à la teinte de goudron, avec le tohu-bohu des crabes à la cuirasse d’acier. On est tout en bas de la forêt pluviale avec son humidité, le cri lancinant d’aras inaperçus, on est si loin du vertige de la canopée où fulgure la belle lumière. On est un Soi nullement encore parvenu à la lucidité d’un Soi plein et entier.

   Puis un plastron blanc. Certes un blanc un peu éteint pour la simple raison que le noir y diffuse sa mortelle potion. Le blanc est semé de traits : les premiers mots qui vont dire la présence de l’Être à la face du Monde. Une épiphanie en appelle une autre.

 

Sans le monde nous ne serions pas.

Sans nous, le Monde ne serait pas.

 

   Dans son opposition frontale au Noir, que peut donc être le Blanc sinon la lame ouverte de la CONSCIENCE, sa belle floraison à l’horizon des yeux ?

   Ici est le lieu du vaste altiplano avec la marée de ses herbes jaunes, avec la laine des lamas qui flotte au vent, avec ses « salars » de minéraux étincelants, ils portent jusqu’au Ciel le message d’espoir de la Terre.

   Ici nous sommes sur le miroir des rizières qui, de terrasse en terrasse, comme un accroissement de Soi, s’extraient de la lourde Matière, se métamorphosent en pur Esprit, ce rayonnement sans fin qui, d’espace en espace, de temps en temps, se donne comme image de la Liberté la plus exacte.

   Cette image est belle car elle nous situe dans le plein d’une Métaphysique, d’une Philosophie, elle nous étonne et nous reconduit à la seule Question qui vaille :

 

QUI SOMMES-NOUS ?

 

   Toutes les interrogations qui en découlent ne sont que des conséquences, des hypostases de cette position essentielle face à l’exister. Cette image est forte pour la simple raison qu’elle s’imprime en nous avec la puissance d’un cyclone.

 

Là, au centre du corps qui est nôtre,

elle fera ses vastes marées,

ses flux et ses reflux,

 ses brusques équinoxes,

elle tracera en nous,

au pli intime de qui-nous-sommes,

ses méridiens les plus exacts,

elle tracera ses lignes de feu,

elle installera ses longues diaclases,

ses failles tectoniques,

elle fera surgir une lave

incandescente dont le feu,

jamais, ne s’altérera.

 

   L’Art en son geste le plus accompli a ceci de remarquable qu’il sème en nous d’irrémissibles germes, qu’il loge en nous quantité de spores, que ces germes et spores parcourent notre psyché à bas bruit, qu’un jour viendra où les épis seront mûrs, qu’il faudra moissonner, réduire en un prodigieux froment. Ce dernier sera pareil à un levain faisant gonfler la pâte de l’exister, lui donnant son plus bel essor, le délivrant du « péché » de la lourde matière (il n’était que véniel, mais combien réducteur !),

 

le lançant en plein ciel,

 là où soufflent les

vents de la liberté,

où brillent les

rayons de la joie,

où se diffuse le nectar

d’un mince bonheur.

  

   Oui, il y a bien des raisons d’être lyrique, de se dire en tant que pures délibérations de qui-nous-sommes, d’ouvrir la trappe de l’espoir et de déserter tous ces espaces clos, enduits de Noirceur et de porter au-devant de Soi, telle la flèche de l’arc tendu vers sa cible glorieuse, le trajet s’un Soi plus loin que Soi, autrement dit la pluralité lumineuse d’un SENS qui nous attend et s’impatiente de ceci.

 

Du Blanc au Noir,

du Noir au Blanc,

se dit la lisière,

se dit l’intervalle

d’une félicité.

Elle est en nous comme

la goutte est au ruisseau ;

le rayon au soleil ;

la brume au lac.

 

De ce constant clignotement,

de cette belle alternance

nous sommes les

 Gardiens privilégiés.

 Du Noir hissons le Blanc.

Du Blanc appelons le Noir.

Ainsi s’épanouissent,

depuis les éclatantes corolles,

les pétales de la signification !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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19 janvier 2023 4 19 /01 /janvier /2023 08:36
 Sommes-nous plus et autres  que de simples esquisses ?

Esquisse : Barbara Kroll

 

***

 

[Incise : une écriture du flottement – Parfois, les choses sont-elles stables, notre avancée sur les chemins de glaise, assurée de ses pas. Nos assises sont concrètes, notre profonde nature amarrée au socle de la terre. Nous sommes semblables à ces rochers diluviens qui n’ont cure ni des ans, ni des siècles et vivent leur vie de rocher à l’abri de quelque servitude que ce soit. Parfois, au contraire, nos pas sont-ils fragiles, légers, à la limite d’être dénués de sens. Nous devenons alors ces êtres de l’incertitude, de l’irisation, livrés pieds et poings liés au caprice du Noroît, aux sombres humeurs de l’Harmattan, aux coups de boutoir du Ponant. Mais si nous devenons diaphanes, ceci n’incline guère en direction d’une ataraxie qui nous indiquerait le lieu atteint de quelque sérénité. Nous devenons, à notre grand désespoir, de célestes courants, certes, mais infiniment ballotés, livrés aux mouvements divers, perdus en quelque sorte à eux-mêmes, manières de ballons captifs dont les amarres soudain rompues, les livreraient aux affres d’une errance sans fin. C’est toujours un sentiment de perte, l’écueil qui nous livre, hagards au vertige d’un abandonnisme. Notre être est fragmenté, notre esprit délié de lui-même, notre intellect aux abois et nos percepts deviennent si flous que rien ne nous rencontre plus qu'un "vide sidéral" comme il est dit dans le texte qui suit.

   Alors, comment continuer à se dire alors que l’œil du cyclone se rapproche et menace de nous engloutir ? Les pouvoirs du langage, par essence, sont immenses mais il arrive que les mots s’effraient, se retirent sur la pointe des pieds et nous laissent en plein Désert, les yeux vides, les mains ne traçant plus, sur le papier, que des pleins et des déliés sans réelle consistance. Malgré tout on veut écrire à l’aune de ce fourmillement intérieur qui nous étreint et menacerait de métamorphoser notre horizon en un simple raz-de-marée lexical dont nous aurions bien du mal à émerger encore, n’assemblant des phrases que de pur hasard, convoquant les mots d’une armée en déroute. Et cependant nous ne nous résolvons nullement à demeurer en silence. Nous écrivons, tantôt en prose, tantôt sur le mode poétique. Nous sentons bien qu’il y a un flottement, que la « logique » du langage est malmenée, que bien plutôt que de s’enchaîner selon une naturelle inclination, les mots glissent, sortent de leurs coques, poudroient l’espace en une manière d’illisible frimas. Mais renoncer serait pire et les phrases, peu à peu, titubant et claudicant, sortent de leur étui d’étoupe afin de témoigner. Mais témoigner de quoi ? Non du langage mais de la torsion que nous lui faisons subir, des contraintes et des déformations que nous lui imposons. Certes, en arrière-plan de notre pensée, nous savons qu’il faudrait avoir recours à un paralangage, à un métalangage mais alors nous serions seul à nous comprendre et nos essais se solderaient par des énonciations surréalistes sans signification pertinente.

   Tout langage structuré repose sur les principes indépassables de la dialectique dont le fondement ultime est la Raison et seulement la Raison. Sans doute, lors des périodes de plus grand tangage, conviendrait-il de créer la catégorie de « l’ir-raison » afin que le langage, coïncidant enfin avec notre état d’âme, les mots que nous jetons sur le clavier soient autre chose que des coquilles vides, bien plutôt des sécrétions immédiates de notre esprit dont la Folie, un instant maîtrisée, se donnerait de telle ou de telle manière, sans doute un sabir pour le Lecteur, mais une jouissance intime pour nous, Écriveur. Dès lors, pourrait-il y avoir liaison Lecteur/Écriveur au travers de phrases qui tanguent et oscillent ? Ceci pose le redoutable problème de la compréhension/interprétation d’un texte, ce processus n’étant jamais doté d’une naturelle évidence, loin s’en faut.

   Ce que je dis là, dans mon texte, comme dirait Marguerite Duras en substance : « ce que j’écris là, j’ai mis vingt ans à l’écrire ». Oui, nous ne sommes jamais que des Insulaires qui tâchent de rencontrer d’autres Insulaires et le projet est aussi périlleux qu’incertain. Quand bien même, adeptes de l’introspection, nous nous connaîtrions « sur le bout des doigts », comment l’Autre, l’Étranger, par définition, pourrait-il sculpter notre propre statue autrement qu’au prix d’hypothèses nécessairement fallacieuses, dentelles infinies d’approximations, plans sur la comète dont le palimpseste usé ne révèlerait plus que quelques traces diluées aux confins du temps ?

 

Ce dont il faut convenir,

c’est que toute Écriture

demeure un mystère,

que le Lecteur lui-même

est mystère,

que l’Écriveur

est mystère

 

   et que cette abrupte tautologie ne saurait trouver d’explication hors d’elle-même. Tout langage, par destination, décrit toujours un large cercle herméneutique, éparpillant, ici et là, quantité de sèmes dont même l’analyse scrupuleuse du plus habile Investigateur d’une antique Babel ne parviendrait nullement à traduire le hiéroglyphe. Il nous faut nous l’avouer, et je crois déjà avoir écrit ceci quelque part, nous sommes des Champollion aux mains vides.  Chers Lecteurs, Lectrices, les hiéroglyphes vous attendent ! ]

 

*

 

Cela vient du fond des âges.

Cela vient du fond du temps.

C’est au plus loin de l’espace,

en quelque endroit qui ne dit

nullement son nom.

C’est une simple lueur.

C’est un signe

avant-coureur

de la lumière.

Cela n’a pas de parole.

Cela se vêt de silence.

Et c’est précieux ainsi,

de se retenir

au bord des choses,

de ne nullement

en offenser la forme.

Et c’est ce qui confirme

le tragique de notre condition.

Sa possible joie aussi

qui en est le revers.

 

Nous, les Vivants sur Terre,

que faisons-nous,

sinon attendre un signe

qui nous dise le lieu

de notre être ?

Il y a tellement de brume

 au large des yeux !

Il y a tellement d’étoupe

au large du corps !

Il y a tellement de doute

quant au fait d’exister !

Du Néant nous sentons

 le souffle livide,

du Néant nous dessinons

les contours à même

le tissu sidéré de notre peau.

Mais nulle réponse.

Ni de ce qui vient de loin,

ni de ce qui n’a nul visage,

ne saurait en avoir.

Car exister est ceci

qui nous fixe à la toile de la vie

sans qu’il ne nous soit possible

d’en évoquer la mesure.

Tout est toujours en fuite de soi.

Tout est toujours ce nuage léger,

ce vent qui se distrait de lui-même,

ce flocon perdu parmi les lames du blizzard.

  

   Alors, afin de ne nullement désespérer, nous tressons, tout au creux de notre imaginaire, des images qui toujours se dissolvent comme sur la cendre des ardoises magiques. Tantôt, sur cette nappe de gris infini, nous sommes de Blancs Pierrot, d’impalpables Colombine mais le jour nous rattrape qui efface nos songes, les reconduit à l’abîme, dans un gouffre si profond qu’il semble privé de fond, que ses parois flottent dans quelque infini dont nous ne possédons nullement le chiffre, seulement la vibration d’une fugue quelque part bien au-delà de nos pathétiques figures.

Ce que nous aurions voulu :

déborder de nos êtres,

posséder un corps léger

doué d’ubiquité,

ici sur les sillons de glaise,

là-bas en de célestes altitudes,

là-bas encore avec notre

corps démultiplié,

dédoublé en écho,

amarré à Soi avec l’ardeur

de quelque certitude.

 

   Nous aurions voulu, au terme d’une profonde méditation, nous révéler tels qu’en nous-mêmes nous nous éprouvions depuis la margelle luxueuse de notre espoir. Mais, rêvant les yeux ouverts, nous savions, depuis la nuit des temps, que nous ne serions jamais qu’un flottement, un esquif sur des flots tumultueux, une simple girouette avec laquelle le Noroît jouerait, en réalité nous serions sans attache réelle, livré à qui-nous-sommes, sans que nous ne puissions tracer le premier mot de notre propre histoire. Un genre de mutité, de parole sourde à ses propres incantations, de formule alchimique creuse, infiniment creuse.

   Alors, parfois, depuis l’événement indicible qui nous étreint, à défaut de parole, en l’absence de tout geste qui en évoquerait le galbe, nous nous livrons, sans délai, à quelque fantasmagorie dont nous sommes, tout à la fois, le centre et la périphérie. Appuyé sur le vide, c’est à peine si nous émergeons de l’indistinct, c’est tout juste si notre image se maintient au-dessus des grands fonds, si un flux aussi soudain que violent ne nous enjoindrait de rejoindre l’obscurité des abysses. Cette forme humaine plus qu’humaine, dont nous eussions souhaité qu’elle fût notre emblème, voici qu’elle paraît se dissoudre en une manière d’étrange gémellité sans consistance.     

   Nous nous hallucinions entiers, finis en quelque sorte, même doubles si c’était le prix à payer, mais d’un double logique, possédant ses abscisses et ses ordonnées, sa position dans l’espace, son caractère aisément déterminable, son objectité en quelque sorte et nous n’étions jamais que le résultat provisoire d’une genèse douloureuse, un corps glauque non encore séparé de la blanche résine qui le portait au jour. Cette existence que nous projetions unique, singulière, insolite à plusieurs titres, elle ne faisait que se confondre en un bien étrange maelstrom avec une Forme Homologue, véritable bégaiement du vivant cherchant à s’extraire de sa douloureuse tunique.

Tout à la fois, nous étions

et n’étions pas.

Tout à la fois nous pensions

et ne pensions pas.

 

   Nous étions en dehors de toute syntaxe, absents d’une sémantique qui eût pu traduire en nous les sentiments que nous ne pouvions exprimer. Quelqu’un au Monde imagine-t-il plus grande aberration, mal plus incurable que le fait de ne nullement s’appartenir,

 

d’être une simple Esquisse,

une Forme double,

 une Aberration,

un Être nullement

parvenu à l’Être ?

 

   Mais comment donc exister sous les fourches caudines d’une Réalité Siamoise : être, en un seul et même mouvement, Soi et l’Autre ; l’Autre et Soi, l’Unité et le Multiple, le Multiple et l’Unité sans même qu’il y ait de césure, de virgule pour séparer les Deux Mots de cette phrase elliptique ? Une manière d’énonciation aphasique girant tout autour du Verbe sans en reconnaître la riche texture, le tissu sans pareil.

   Décrire suffirait-il à donner du sens ? Un sens peut-il émerger du non-sens ? Mais qui donc pourrait le savoir ? Il faut plonger au cœur de l’événement et attendre que ce dernier, de lui-même, vienne jusqu’à nous et nous tienne quelque langage qui nous placerait au cœur de qui-nous-sommes, cette Étrangeté d’Être dont nul, jamais, ne parviendra à décrypter le secret. Alors, parlant de cette image qui a servi de prétexte (pré-texte), à mon texte, je ne sais de qui je parle vraiment.

Si c’est de Vous.

Si c’est d’un Homme

abstrait en son essence.

Si c’est de moi, du pli

dolent de ma conscience.

  

   Le Réel est si multiforme, si imprécis parfois que l’on ne sait plus si c’est lui qui nous visite, si c’est nous qui le visons à l’aune d’une vision trouble, si même il possède une substance tangible, si l’on peut l’étreindre et le placer dans l’écrin de quelque certitude. Alors, il n’est pas rare que l’on progresse à l’estime, que l’on se place sur le mât du Hunier, tout en haut de la goélette, que l’on visse la lunette au bout de ses yeux et que l’on décrive, dans une sorte de vertige, ce qui nous provoque et nous met au défi, sinon de le comprendre, du moins de le dire selon essais et approximations, selon tâtonnements et hypothèses hasardeuses. Parfois, le langage, le subtil langage hésite-t-il à se prononcer tellement la tâche de décrire le Réel semble être une entreprise sans fin, nul mot ne coïncidant avec ce qu’il souhaiterait évoquer. Et même le langage intérieur tourne à vide et les mots sont de grosses boules d’ouate qui, faute d’être entendus, s’abîment dans une illisible parole, coups de gong inaperçus qui se dissolvent à même leur chute dans la citadelle étroite du corps. Mais il faut bien proférer, n’est-ce pas ? Ne le ferait-on et les mots retourneraient contre nous leurs salves soudain devenues meurtrières et nous pourrions mourir de n’avoir point reconnu notre essence, de l’avoir conduite dans une voie sans issue.

Forme blanche

contre Forme blanche.

Deux opalescences en miroir,

deux reflets l’un en l’autre confondus.

 C’est la Blancheur qui domine

en tant que nature même

de l’effacement.

Mais qui sont donc

ces mystérieuses Formes ?

Est-ce simplement NOUS,

notre statuaire autistique,

un redoublement de Soi,

un enfermement cellulaire,

une prison sans murs,

ni barreaux, ni fenêtres ?

Le Vide est absolument sidéral.

Le Vide meurt de

n’être point nommé.

Le Vide réclame sa part

et voudrait nous manduquer,

afin que de cette appropriation

naisse, en lui,

l’amorce d’une plénitude.

Car, savez-vous,

rien n’est pire,

pour le Vide,

pour Soi,

que d’éprouver,

dans l’espace libre

de son corps, une faille,

l’immense vacuité

que rien n’habite si ce n’est

 la rigueur de quelque vent hivernal

avec ses breloques de givre,

avec ses boules de gel

 et alors on est réduit

au moins que Rien,

alors on connaît

l’effroi de ne plus vivre,

de hanter de sombres coursives

où hurle un infini silence.

  

   Mais Qui est Qui dans cette approximation visuelle ? Dans cette mare de Blanc qui nous égare et nous ne sentons plus ni les contours de notre corps, ni la consistance de notre esprit ni la légèreté de cristal de notre âme.  Partout est la nappe sourde de neige qui nous ensevelit. Partout sont les congères qui obturent nos oreilles, emplissent la libre cavité de nos yeux, scellent notre bouche comme si nous étions de simples Gisants dans la lumière avare d’une crypte. Certes, il y a bien l’ébauche d’yeux. Mais que peuvent donc voir des yeux qui ne sont pas finis, qui n’ont ni cristallin, ni pupille, des yeux aveugles qui ne verraient même plus l’intérieur du corps, cet impénétrable cachot livré aux seules rumeurs du sang, aux déflagrations ossuaires ?

   Certes, il y a une amorce de bouche. Mais c’est bien d’une longue balafre dont il s’agit, d’un meurtre, d’une fête sanguinaire et barbare. Mais que pourraient donc articuler ces lèvres, si ce ne sont de terribles imprécations, sinon proférer des condamnations à mort ? Et l’épiphanie de ces visages, n’est-elle qu’une représentation minimaliste du Néant, lequel toujours rôde et nous menace continûment du meurtre auquel ses couleuvrines sont, par essence, destinées ? Et les deux corps soudés, sont-ils encore des corps ? Ne seraient-ils plutôt de simples linges fantomatiques qui auraient pour seul but de nous immoler dans leurs rets, d’annuler notre incompréhensible prétention à vivre ? Certes, au bas de ce qui pourrait être des corps, comme des jambes repliées qu’enserre un étroit fourreau de laine noire. Mais ce n’est pas la « laine » qui nous interroge, mais c’est le « noire », cette dimension d’un deuil à peine avoué, chuchoté du bout des lèvres.

 

Le Blanc est Néant.

Le Noir est Deuil.

 

   Comment sortir de cette aporie, sauf à s’y précipiter tête la première et renoncer enfin à Être, puisque, cette image nous le dit,

 

nous ne sommes qu’un Zéro

avant  la suite des nombres,

qu’un silence avant la parole,

qu’une blanche méditation

avant la pensée,

qu’un souffle avant

le saut dans l’amour.

Nous ne sommes,

et ceci pour l’infini

des temps à venir,

de bien Étranges Esquisses

et notre Être supposé se dissout

 dans cette mare de blanc,

dans ce marigot de cendre,

seul espace possible pour

une impossible présence.

 

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16 janvier 2023 1 16 /01 /janvier /2023 09:47
En l’absence de Soi, de l’Autre, du Monde

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   [Incise avant lecture - Chacun, chacune qui me lit s’apercevra de thèmes récurrents qui hantent mes textes. Souvent c’est la dimension du Tragique qui, ici et là, soit de manière hautement visible, soit de façon latente, circule à bas bruit sous la ligne de flottaison des mots. Bien plutôt que d’incliner à une « sombritude » (pardonnez le néologisme), ceci n’est que le revers bien naturel d’une exigence de perfection, le rêve éveillé de quelqu’un qui se définit volontiers tel un Idéaliste. Déjà le mot « d’Idée » en soi est tellement beau qu’il pourrait, à lui seul, effacer, sinon la totalité du Réel, du moins en gommer les saillies qui, pour être « normales », n’en sont pas moins dérangeantes au plus haut degré. Une sorte de prurit qui gâche la vie et empoisonne à ce point notre cheminement que, parfois, l’on se demande quel lien nous relie à elle, la vie, s’il ne s’agit simplement d’un fragile fil d’Ariane qui, à tout moment, pourrait biffer notre nom de l’existence. Ce qui est heureux au plus haut (peut-être histoire de se faire peur et de se rassurer à la suite), placer au firmament le luxe des Idées justes et claires, puis, dans un geste qui lui est naturellement corrélatif, dissimuler en quelque sombre réduit les ombres mortifères qui en animent les mystérieux mouvements.

   En cette époque si troublée par les guerres, par les aberrations climatiques, par les comportements ego-narcissiques, par l’amoindrissement de la figure de l’altérité, convient-il, simultanément et dans un esprit de simple ouverture à ce qui pourrait se manifester sous la forme d’événements heureux, de placer en abîme, la peur, l’angoisse, les actions négatrices de l’exister sur Terre, de manière à ce que, grâce à un jeu de simple réverbération, du négatif puisse se lever du positif, que du dénuement puisse sortir une manière de plénitude à laquelle, silencieusement, nous vouons un culte secret à défaut d’en lire clairement le signe dans les plis complexes de notre inconscient ou bien de notre conscient. Si vous préférez, faire s’exhausser du Principe de Réalité, ce souverain Principe de Plaisir qui est la seule architectonique qui soit capable de tracer la voie lumineuse en direction d’un au-delà de Soi et nous mettre en mesure  de nous excepter, sinon de toute situation fâcheuse, au moins tracer l’esquisse d’un avenir un peu plus radieux ! Ceci est un « péché » humain, entièrement humain.]

 

*

Les lunettes sont noires.

Noires de nuit.

Noires de suie.

Rien ne bouge à l’horizon

du Monde.

 Rien ne frémit.

Immense est la solitude

qui fait ses résineux vortex.

Immense est le vide

qui fait sa lumineuse absence.

On croirait la Terre dévastée.

On croirait les Hommes

bien au-delà d’eux-mêmes

en de profondes et inimaginables coursives,

peut-être n’en pourraient-ils jamais revenir.

 

Les lunettes sont noires

sur lesquelles ricoche la clarté,

sur lesquelles convergent

les multiples rayons de l’angoisse,

sur lesquelles s’abîment les griffes de l’aporie.

 

Y a-t-il au moins un regard

derrière ces vitres compactes,

une conscience brille-t-elle,

une âme s’anime-t-elle

de son feu intérieur ?

Les cheveux sont verts,

vert-de-gris peut-être,

semblables à des guirlandes de lichen,

à des guirlandes éteintes

après que l’heure festive est passée.

 

Le visage est blafard,

entre plâtre et chaux mourante.

Les lèvres sont violemment purpurines,

signe de sang dont la trace est ineffaçable.

Elle survivra même à Elle qui la porte

tel un emblème vengeur.

Elle est l’illisible figure de l’Humain

en son ordinaire détresse.

La robe est entre Rose et Mauve,

pareille à un désir éteint,

à une gloire non encore atteinte,

à une puissance qui tarde à venir,

pourrait bien se retourner

en son contraire,

une immense faiblesse

qui serait la macula,

 l’ombre portée

de la vénéneuse Finitude.

 

La Mort rôde en ces parages

avec son haleine acide,

avec ses os qui claquent,

on dirait les assauts du Noroit

contre la sombre mutité de la pierre.

Bras soudés le long du corps.

Marque de soumission ?

Reflux de la Vie ?

Perte de Soi en

de ténébreuses douves ?

 

 Le mur est Bleu Pervenche.

Le mur est Jaune avec

des éclaboussures Orange.

Le mur est Noir que Nul,

 jamais ne saurait habiter.

Le mur est Parme,

comme un signe avant-coureur

d’une imminente disparition.

 

   Puis, là, sur le fond du mur anonyme, l’Étrangeté en son visage le plus énigmatique, le plus effrayant aussi. Mais Qui donc se présente ici avec si peu d’empreinte sur les Choses ? Qui donc arrive ainsi, surgit du Néant, ne fait phénomène que dans un genre d’abstraction puisque, dans un premier geste de la vision, nous n’apercevons guère que son foulard, comme si ce dernier signait la forme la plus confondante d'apparition : une venue sur le point de s'absenter définitivement. C’est comme si, soudain, tirés brusquement d’un rêve, nous surgissions au milieu du réel dans la complexité d’une savane dont nous ne reconnaitrions rien, sauf cette immense vacuité qui nous reconduirait dès avant notre naissance.  Oui, cet Être au premier plan nous cloue au pilori et nous devenons identiques à ces chauve-souris qu’on fixait, antan, sur les portes des granges pour effrayer les Braves Gens, peut-être les placer sous le boisseau, les contraindre à accepter les fourches caudines d’une puissance qui les dépassait et leur enjoignait de n’être que des Vassaux sous la tyrannie d’un invisible Suzerain. « Détruire ! », disaient-ils et leur condamnation s’accroissait de cette insaisissable menace.

   Mais revenons à Qui nous interroge et nous met au défi d’en dévoiler la native noirceur. De rapides et menaçantes corneilles criaillent dans le ciel livide du Causse et l’on n’en perçoit que cette clameur qui déchire l’éther et l’on demeure pliés au sein de qui l’on est, pareils à ces tas de chiffons qui rêvent l’Éternité dans leurs sarcophages richement armoriés.

 

La plaque des cheveux est Verte,

d’un Vert Bouteille qui ne dévoilerait

que le sinistre de son chiffre.

Le visage est de terre cuite

et l’on penserait

à ces visages mayas

qui dorment dans leur

immémoral linceul.

L’arc des sourcils,

l’arète aiguë du nez,

 le trait Rouge des lèvres,

 autant de formes qui chantent

l’hymne funèbre de qui est déjà

au-delà de sa propre vie.

Et les lunettes d’écaille noire,

et les verres fumés,

et les yeux par défaut

qui ne semblent

qu’attendre l’occasion

de lancer

leurs éclairs venimeux

contre Quiconque

oserait en croiser l’étrange

et mortifère destinée.

Et cette chemise informe

venue de la nuit des temps.

Et cette dentelle

qui feint de s’ouvrir

sur une poitrine malingre,

tout le chétif résumé

en un seul mot de l’image.

 

Seule une frise végétale,

bien qu’immobile,

bien que frêle,

vient à notre rencontre

afin de nous persuader que

nous sommes encore vivants,

que nous pouvons chanter

lors des matins de claire venue,

que nous pouvons écrire des poèmes

sous le regard de la Lune gibbeuse,

que nous pouvons encore accomplir

le geste d’amour en une étreinte ultime

avant même que notre souffle,

pris à rebours,

n’entame son chemin

 en direction du Néant

dont nous ne chantons

jamais le refrain

qu’à le tenir éloigné,

qu’à le tenir pour une légende,

une antienne ancienne

faite pour endormir les enfants

dans leurs berceaux ornés

des dentelles de l’espoir.

 

Oui, cette peinture est sombre.

Oui cette peinture est tragique.

 

   Elle est la face inversée de ceci même que toujours nous attendons faute d’en émettre le vœu à haute voix, cette claire félicité que nous nous octroyons en silence comme si un simple songe pouvait nous sauver de qui nous sommes, de simples fétus de paille que la première crue livrera à l’abîme. Pour autant, y a-t-il motif à désespérer ? Nullement car selon la loi des contrastes, selon la logique des contraires, la Tristesse, fût-elle infinie, n’est que la face cachée de la Joie.

 

Oui, toujours la Joie est à portée.

Décillons notre regard.

Tout au bout sont des braises

 qui brillent dans la nuit.

Brillent dans la Nuit !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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10 janvier 2023 2 10 /01 /janvier /2023 08:42

Voyez-vous, parfois

l’on ne sait

si l’on est éveillés,

si l’on est au bord d’un rêve,

si la réalité a quelque consistance,

si l’on peut faire confiance

à ce que voient nos yeux.

 

   Et, ceci, bien loin d’être une affliction, est peut-être le lieu, non seulement d’un contentement de soi (la piètre consolation !), le lieu d’une félicité dont, le plus souvent l’on s’absente bien avant que d’en avoir sondé la profondeur, bien avant que d’en avoir éprouvé le rare, bien avant que de s’être persuadés que la vie est pure offrande et qu’en conséquence, il nous reviendrait, à nous humains, d’en ressentir la texture inimitable, la chair douce et somptueuse. Et moi qui décline ceci sur une manière de ton prophétique, je vous en fais l’aveu, je suis l’être le moins assuré du Monde.

Un rien m’effraie,

un vide m’effarouche,

une absence creuse en moi

de si profonds sillons que

 

   mon existence ne se pourrait guère comparer qu’à celle, végétative de la chrysalide, cet état intermédiaire qui, une fois penche vers la Vie, une autre fois vers la Mort. Je sais, je n’énonce que des truismes puisque, aussi bien, vous l’Étrangère, vous la Pure Illusion, posée sur la plaine de votre couche, dans cette pose alanguie qui ne saurait recevoir nul autre prédicat que celui de « retrait », de « fuite », de « néant », en quelque sorte, Vous, tout comme Moi sommes les acteurs d’une scène qui nous dépasse, sans doute « primitive », sans doute archaïque et il s’en faudrait d’un rien que nos corps, à même le sombre écho de nos paroles, ne parte à trépas, ne se dissolve dans les plis complexes du jour.

  

Ceci mérite-t-il que nous

ne connaissions plus, désormais,

qu’une lourde exténuation,

que notre horizon se voile de cendres,

que nos bouches se scellent,

que nos yeux semés de cataracte

 n’aperçoivent même plus

leur trace dans le miroir ?

 

   Mais quel est donc, aujourd’hui, sous la glaçure hivernale qui point, la forme de notre Destin ? En avons-nous encore un ? Les doigts de la Moïra nous guident-ils sur l’étroit chemin d’un lumineux adret ?  Nous précipitent-ils, au contraire, dans l’humide labyrinthe d’un ubac dont nous pressentions la présence sans jamais pouvoir en estimer le tracé si proche, le piège tendu comme celui qui va clouer la sauvagine à son propre effroi ? Certes, Vous que je ne connais qu’à l’aune d’un reflet, surgissant auprès de vous à la façon d’un voleur, sans doute me trouverez-vous bien audacieux, bien téméraire en même temps que lesté du souci de vivre jusqu’en ses plus extrêmes conséquences. En ceci, je vous donne mille fois raison, en ceci je reconnais à mon erratique discours des allures de rapt. Je m’empare de vous sans qu’une quelconque permission m’autorise à le faire. Peut-être est-ce même une relation de Maître à Esclave qu’inconsciemment j'établis comme si, de mon pouvoir, pouvait se lever quelque prestige qui me sauverait de moi-même ? En cet instant de ma méditation, une image de moi s’impose à ma conscience.

 

Je suis au milieu du vaste Océan,

tout entouré de brumes,

balloté par des flots d’écume,

tiré à hue et à dia si bien

que je ne sais plus

où commence mon corps,

où il finit.

 

Å la lisière de mes yeux,

une masse noire flotte à la dérive.

Un tronc d’arbre ?

Le mât d’une antique goélette ?

 Ou bien une hallucination

devenue, soudain, réalité ?

 

 Je ne sais et peu m’importe que les choses soient de telle ou de telle manière. Cet écueil qui me fait signe et promet de me sauver, n’est-ce Vous, n’est-ce votre haute et belle image à laquelle je m’accroche, moi le promis à une proche disparition ?

  

    Savez-vous, dans la vie ordinaire, nous sommes, les uns pour les autres, tantôt des Désespérés sur le point de s’effacer, tantôt des Écueils auxquels viennent s’amarrer Ceux, Celles dont le désarroi est bien proche de la Mort. Je ne parle guère de choses plaisantes. Mais l’existence est-elle une chose de cette nature ? Est-elle si fardée de multiples faveurs qu’à sa lumière tout s’éclairerait et se donnerait dans la joie, dans l’insouciance, dans le trajet clair que nul incident ne troublerait ? Si vous voulez, au point où nous en sommes, je veux bien troquer mon Principe de Réalité contre celui qui lui est logiquement opposé, le Principe de Plaisir et dire votre vie telle une fête et dire ma vie telle une pure félicité. Mais vous avez assez de lucidité pour ne nullement vous laisser prendre au jeu de ce tour de passe-passe, à ce geste de prestidigitateur. La magie n’a guère de valeur qu’au-dessus des berceaux des nouveau-nés ou bien dans la tête éthérée des fous, ils vivent à une autre altitude que nous et, peut-être sont-ils dans une forme de Vérité que jamais nous ne pourrons rejoindre puisque, guidés par le souverain Principe de Raison, nous n’accordons guère d’intérêt qu’aux choses tangibles, démontrables, aux enchaînements de causes et de conséquences.  

  

   C’est bien là notre naturelle surdi-mutité, à nous les Hommes, à vous les Femmes, que de croire que la Raison viendra à bout de tous nos doutes, qu’elle nous octroiera une place stable et fixe dans l’Univers. Je crois, du plus profond de mon pessimisme, qu’il faudrait créer, de toutes pièces, un Principe de Déraison afin que, mettant à mal nos habituelles certitudes, une lueur pût poindre à l’horizon, tissée des plus belles interrogations dont notre actuelle vision est désertée puisqu’elle ne cherche guère à s’assujettir qu’aux pierres angulaires qu’elle a façonnées, tout au long de son histoire existentielle, pour la rendre vraisemblable, pour la rendre simplement vivable.

 

C’est ainsi, malgré

l’accumulation de nos biens

(et ils sont nombreux !),

nous ne sommes que

des individus aux mains vides,

des genres de mendiants,

de chemineaux qui de route en route,

de chemin en chemin,

de sentier en sentier,

dévidons les graines

d’un chapelet dont,

depuis longtemps,

nous avons perdu le sens.

  

   Vous, ma « Chimère », Vous mon « Mirage » (combien ces noms sont beaux alors qu’ils ne sont censés dépeindre qu’une triste réalité !), vous êtes un fanal au large de qui-je-suis, une étincelle brillant au fond du diamant de la nuit. C’est seulement de vous apercevoir au loin, de me heurter à votre invisibilité, de ne pouvoir vous effleurer que vous devenez infiniment Réelle, infiniment Précieuse. Seriez-vous en mon logis à me côtoyer et, bien plutôt que d’en éprouver une immense gratitude, chose parmi les choses (excusez ma brusquerie), vous vous seriez fondue dans la contingence dont nul ne ressort qu’au prix de son absence définitive. Que reste-t-il pour moi de plus urgent et de plus délicieux que de vous décrire.

 

Logée au sein même

de mon langage,

portée au cœur même des mots,

vous devenez pur Poème

auquel je peux m’abreuver

 lorsque mes lèvres brûlent,

que mon esprit divague,

que mon âme menace

de me quitter et de prendre

son envol définitif.

  

   Dans le bleu indéfini, sans doute celui qui précède la levée du jour, vous reposez dans le calme et la douceur. Sous le dais de votre corps, que je présume souple et léger, je vois le plissement de vos draps, ils me font penser à ces rides de sable que les ris de vent ont sculptées aux hanches voluptueuses des rivages. Alanguie sur cette mesure de bleu, c’est le dessin de votre épaule qui s’imprime à la manière d’un fin et élégant liseré. Combien cette ligne me rassure, combien cette ligne m’apaise. Elle est semblable aux mouvements premiers d’une origine, elle naît à peine de soi et semble se sustenter à cette immobile supplique.

 

Et votre visage, cette unité

qui me fait penser

à la beauté d’un céladon

dans la demi-ombre d’une étagère.

La rivière de vos cheveux.

La pommette discrètement saillante.

La fugue presqu’inaperçue de votre joue.

Tout ceci dessine l’esquisse

la plus heureuse,

le motif le plus simple

qui vous portent au jour

dans l’heure silencieuse

de la venue des

choses essentielles.

 

   Inévitablement, cela me fait penser aux premiers pas d’une Danseuse, aux touches tout en effleurement de chaussons de soie qu’une musique lointaine appelle et rend possible alors que les Hommes, pliés dans leur nasse de chair, ne sont vivants qu’au rythme, au halètement de leur poitrine, ils reposent en eux comme l’alizé dans une conque marine.

  

   Face à vous, dans un illisible miroir, votre Reflet. Est-il vous plus que vous ? Est-il la figure de votre avenir, lorsque levée au jour, vous rejoindrez le tumulte du multiple, que des voix napperont votre corps, que des gestes traceront votre profil, que des yeux vous détermineront en votre Être, bien plus que vous n’auriez jamais pu le faire, fixant pour toujours celle-que-vous-êtes dans une manière de tunique existentielle à laquelle, peut-être, vous n’adhèrerez nullement, un genre de cocon qui vous ôtera toute liberté d’être Vous, jusqu’au faîte de Vous-même. Avez-vous déjà éprouvé cette remise à l’Autre, cette douce aliénation (l’oxymore, je le souhaite, atténuera votre douleur),

 

et, soudain, vous êtes l’insecte

au centre de la toile d’araignée,

et soudain, vos mouvements

ne vous appartiennent plus,

et soudain votre propre image

se dissout sur l’onde lisse du miroir

et, soudain, il ne reste plus que

Vous en voie de disparaître,

il ne reste plus que Moi

dans le vortex de mon esseulement.

Puissiez-vous,

Pur Mirage

me visiter

et me visiter encore !

 

 

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22 décembre 2022 4 22 /12 /décembre /2022 08:57
Inclinée à la tristesse

Peinture : Barbara Kroll

 

***

 

   Vraiment, je ne sais où je vous ai aperçue. Peut-être sur le quai d’une gare, dans un couloir d’hôtel, parmi les rayons d’un Grand Magasin, au hasard d’une rue. Mais qu’importe ! L’essentiel est bien ce qui reste de vous, comme lorsque, au détour d’un chemin de printemps, après avoir dépassé un bouquet de lilas, la fragrance généreuse vous suit longtemps sans que vous puissiez connaître, dans l’instant de votre souvenir, la cause qui en a produit la subtile efflorescence. Sans doute n’existe-t-il pas de plus grande joie que d’éprouver quelque gratitude face à la vie, que de sentir, en soi, ce bourgeonnement dont nul dessin ne pourrait tracer les contours. Il y a comme une divine excitation à situer son plaisir dans le flou, à obombrer son désir de quelque obscurité qui en accroît indéfiniment le charme. Alors on se croit sur le rivage lumineux d’un rêve avec, cependant, suffisamment de zones indistinctes pour qu’il n’apparaisse nullement à titre de facsimilé de la réalité, mais bien en son essence dont vous conviendrez avec moi, combien elle est fugitive, combien cette eau limpide qui s’écoule de vos doigts est le lieu d’un ineffable sentiment de Soi. Parfois faut-il instaurer quelque distance avec sa propre chair pour en sentir la texture nacrée, y deviner de larges rivières de sang qui charrient, en un seul flot pourpre, nos souhaits les plus intimes, nos secrets les plus anciens, ils dormaient dans la nuit d’une crypte, voici qu’ils brasillent dans le bleu de l’aube à la façon d’étoiles nocturnes mourant au seuil du jour. On est ébloui, on se sait plus quel est le lieu de son être, l’ubac dans lequel notre repos se dissolvait, l’adret qui nous convoquait à la fête des sens.

   Ce qui m’apparaît, ici et maintenant, à la façon du plus grand mystère, la précision quasi-chirurgicale avec laquelle votre portrait se donne à moi, il pourrait être une toile posée sur le mur de ma chambre, qu’un premier rayon de soleil viendrait visiter de sa douce insistance, à la manière de ces lames de palmier qu’un harmattan discret fait osciller sans que nul n’en perçoive l’invisible flux. Ce qui, sans délai, s’imprime dans le creuset de ma volonté, restituer votre image telle que mon imaginaire la reçoit, un don infini que nul temps ne pourrait faire se dissoudre. C’est sur un fond Bleu de Nuit avec quelques traînées d’Azur et d’Électrique, un genre de marée océanique venue du plus loin du temps, une sorte de chaos liquide, de naissance vénusienne étonnée de surgir à même la peau agitée du Monde. Et je ne cite le chaos nullement en un sens de pure gratuité. Du chaos, en effet, vous semblez être l’effusion simple, votre visage témoignant à l’évidence d’un tumulte intérieur dont votre air sérieux ne parvient guère à dissimuler le charivari. 

   Savez-vous l’amplitude du trouble qui s’instille en mon âme lorsque je me mets en quête de découvrir la VRAIE nature d’un Être, que ce dernier fasse partie de mon horizon habituel, qu’il s’illustre à la manière d’une fiction, qu’il se lève des images d’un songe. C’est toujours un grand bouleversement, c’est identique au fait de pénétrer dans la « Cité Interdite », d’en franchir les multiples portes, d’en contourner les tours, de parvenir enfin au « Pavillon de la Pureté Céleste », d’y déchiffrer, dans d’énigmatiques sinogrammes, les Mystères du Monde. Mais je ne filerai davantage la métaphore car c’est de Vous dont il est question, uniquement de Vous.

   Donc, sur ce bleu qui est votre nuit, vous émergez mais à presque vous y confondre tellement le nocturne parait vous habiter tout comme il définit la dame blanche, cet oiseau maléfique, funèbre, qui passait jadis pour le messager de la Mort, cette chouette effraie que l’on clouait sur les portes des granges pour se protéger du mauvais sort.

   Oui, je dois bien l’avouer, ma description est noire, pessimiste, semée des flèches du plus pur effroi. Mais comment pourrait-il en être autrement, votre visage est si blafard, si lunaire, effigie de Colombine triste livrée aux affres d’un destin dont on suppute qu’il ne peut que vous être funeste, vous poinçonner à l’aune d’un irrémissible chagrin. Cet air penché que vous affectez, est-il le signe de quelque irrémédiable affliction dont vous seriez atteinte, dont, comme au fond d’un puits, il vous serait impossible de remonter au grand jour ? Et vos yeux, ces immenses soucoupes, cette aire dévastée que de violents cernes reconduisent à une mélancolie sans fond, à une perdition en voie de s’accomplir, peut-être de parvenir à son terme, autrement dit sur le point de vous conduire à trépas ou, à tout le moins, à vous précipiter dans de bien étranges et douloureuses douves. Rien en vous qui manifesterait le signe d’une possible joie. Face à la lumière de l’existence, vous êtes une braise qui gît sous la cendre, dont jamais vous ne pourrez ressortir.

   

  

Inclinée à la tristesse

   La femme à la cravate noire »

Source : Le Spirituel dans l’art

  

   Å vous observer depuis la meurtrière de mon imaginaire, voici que surgit en moi une pure évidence. Ne seriez-vous pas la réincarnation de cette « femme à la cravate noire » peinte par Modigliani ? Tellement d’analogies de Vous à Elle, si ce n’est que le Modèle du Peintre est bien plus coloré, rose aux joues, pulpe carmin des lèvres. Mais c’est moins de couleurs dont il s’agit que de cet incoercible penchant à se réfugier dans les fondrières d’une introspection ne tutoyant que le vide. Ceci, cette insondable incomplétude, est-elle liée à la perte d’un être cher ? A un chagrin d’amour inconsolable ? Ou, tout simplement, est-ce la tonalité de votre caractère qui vous place ainsi dans des rets dont il semble que nous ne puissiez vous en exonérer ? Peut-être même, est-ce vous qui en fixez les conditions d’apparition, liée que vous êtes par une manière de serment personnel à la dimension d’une angoisse, d’une inquiétude permanentes ? Comme si l’abîme de la tristesse était à jamais le seul endroit dont vous puissiez quotidiennement faire l’épreuve. Étincelle s’abreuvant à sa propre condition, en réalité un feu brasillant avant de s’éteindre définitivement, de connaître les rives étroites d’une ombre éternelle.

    Il m’aurait été bien plus agréable de vous situer dans ces zones d’immédiate beauté, là où vivent les Êtres élus par le destin à la manière de brillantes comètes. Mais, la cruelle évidence est celle-ci, même un unique fil de cheveu lumineux ne vient nullement rehausser le portrait que j’ai tracé de Vous. Mais je crois qu’il ne vous faut nullement désespérer. Vous n’êtes pas la seule à être dans ce cas, à tutoyer ravins ombreux et combes humides, tout un peuple de Quidams y grouille et y persévère, tout comme moi, l’Écriveur de votre étrange dérive. Et si j’ai pris quelque plaisir à vous décrire, certes altéré par tant de tristesse vacante, c’est bien au motif de vous rejoindre en qui vous êtes, Vous l’Exilée, moi l’Apatride car nul sur Terre ne l’habite vraiment en sa forme pleine et entière. Tous, nous tâchons de plaquer notre territoire mouvant, selon les limites de tel Pays, de tel Continent, tous nous sommes à la recherche de nos propres tropiques, de méridiens clairs qui nous fixeraient de façon indubitable dans les limites de notre Humaine Condition.

   Mais loin s’en faut que notre propre silhouette ne coïncide avec ce qu’elle devrait être, une ligne sûre d’elle, de son tracé, une ligne qui nous déterminerait selon nos vœux les plus chers. Condamnés nous sommes à errer dans de sinueux chemins longés de fondrières, assurant l’un de nos pieds sur un sol ferme, alors que l’autre ne connaît que la boue en son illisible retrait. Mais, si cela peut en quelque manière vous rassurer, le fait que j’ai pu me glisser en vous quelques instants, je suis moi-même un peu plus rasséréné de vous avoir connue aussi bien que je pouvais le faire à partir de cette image flottant parmi tant d’autres. Et s’il existe une possible réversibilité des situations, ce que je crois au plus profond de moi, sans doute pourrez-vous à votre tour disserter sur qui je suis, m’inclure dans vos rêves, me modeler au gré de votre imagination. Je ne doute guère alors que nous serons deux sosies, deux destinées communes naviguant de concert sur la même chaloupe pour une destination inconnue. N’est-ce pas là l’une des plus belles tâches qui incombe aux « Voyageurs de l’inutile » que, par définition, nous sommes Tous et Toutes ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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